Comment la France se rend complice de l’incarcération d’un citoyen américain innocent, sur demande du lobby israélien.
« L’épreuve subie par Hassan Diab », par Judith Deutsch*
En décembre 2014, Hassan Diab, ancien professeur de sociologie à l’Université de Carleton, époux de Rania, père d’une petite fille, a été arrêté chez lui par des officiers de police canadiens un mois avant la naissance de leur fils, puis extradé en France. Pourquoi ? On le soupçonnait d’avoir participé en 1980 à un attentat à la bombe contre une synagogue parisienne, alors qu’il se trouvait à Beyrouth au moment de l’attentat.
Ses empreintes digitales ne correspondaient pas à l’évidence, et l’analyse graphologique était incorrecte, mais cela importait peu aux autorités canadiennes et françaises. Rien dans l’histoire personnelle d’ Hassan Diab, n’avait de lien avec cet acte. Le juge Maranger, canadien, a déclaré que l’évidence était « très problématique, alambiquée, très embrouillée » et « les conclusions, suspectes ». Et peu importait que la politique d’extradition canadienne ne protège pas les droits des citoyens canadiens.
L’épreuve d’Hassan Diab a commencé en octobre 2007, lorsqu’il s’est rendu compte que des agents non identifiés le suivaient et que quelqu’un avait tenté de s’introduire chez lui. Il a signalé ces incidents à la police d’Ottawa mais la surveillance intimidante et intrusive a continué. On l’a arrêté en 2008, puis en 2014, après de nombreux recours juridiques, on l’a extradé en France. Il a maintenant passé presque 1.000 jours dans une prison française sans être accusé. Jusqu’à ce jour, le gouvernement canadien reste silencieux. Pas un mot de la part du Premier Ministre Justin Trudeau, ni du Ministre des Affaires Étrangères, Chrystia Freeland, ni du Ministre de la Justice, Jodie Wilson-Raybould. Pas de mea culpa de l’ancien gouvernement Harper.
Le 24 avril 2017, les juges d’instruction français donnent l’ordre de libérer Diab, pour la sixième fois, et indiquent les preuves que M. Diab était à Beyrouth lors de l’attentat de Paris. Tous les six ordres de libération sont rejetés expéditivement en appel. Le 15 juin 2017, Amnesty International (Amnistie internationale – AI) publie un communiqué de presse qui s’inquiète de « l’emploi présumé, par la France, de preuves anonymes, de sources inconnues, non justifiées, qui ont peut-être été obtenues sous la torture ». Parmi les défenseurs d’Hassan Diab, se trouvent Amnesty International, the Canadian Civil Liberties Association, the B.C. Civil Liberties Association, the Canadian Association of University Teachers, Independent Jewish Voies, Union Juive Française pour La Paix (France). Ceux qui, parmi tant d’autres, le soutiennent, sont Noam Chomsky, le cinéaste canadien John Greyson, Monia Mazigh, et Hassan Yussuff (Président du « Canadian Labor Congress »).
Protestations au Canada : « La France a incarcéré un innocent »
L’Injustice – au Passé et au Présent
Le Canada vient de fêter ses 150 ans et la République française ses 225 ans, mais les innombrables injustices persistent. Hassan Diab en est un exemple : ce qui lui arrive est une étrange copie du passé. Toute personne éduquée en France et de nombreux Canadiens connaissent l’Affaire Dreyfus : À l’aube du vingtième siècle, le soldat juif français, Alfred Dreyfus est accusé de trahison et condamné à la déportation à vie sur l’île du Diable. L’accusation se base sur une analyse graphologique frauduleuse. Émile Zola, le grand écrivain français, écrit un article sur l’incrimination de Dreyfus, intitulé « J’accuse », cri de ralliement contre le racisme et l’injustice d’état :
« … gifle ultime contre la notion de vérité ou de justice. Dreyfus est innocent…On se cache derrière cet odieux antisémitisme qui tuera la grande France libérale. C’est un crime d’exploiter le patriotisme pour des œuvres de haine ».
L’auteur avéré était connu des autorités françaises mais on ne l’a jamais accusé. Dreyfus est resté en prison et n’a été exonéré que bien des années plus tard. Tout comme celui de Dreyfus, le cas Diab repose sur une analyse graphologique frauduleuse, tandis que le racisme s’exprime maintenant par l’islamophobie. Les autorités françaises et canadiennes semblent méconnaître cette partie de l’histoire.
Peu de temps après l’Affaire Dreyfus, Franz Kafka parla du secret judiciaire et de la détention arbitraire dans The Trial (Le Procès), roman sur la terreur psychologique, dans lequel on ne dit pas au prisonnier de quoi il est accusé ni quels sont ses accusateurs. Hassan Diab a écrit un poème intitulé « Le Procès » :
« Kafka m’a rendu visite… Je lui ai raconté mon procès et il m’a raconté le sien… Ça nous a fait bien du mal de voir que l’histoire se répète… Dreyfus, c’était il y a cent ans. A-t-on appris quelque chose ? Du changement ? »
Dans le beau poème contemporain, J’accuse, le poète israélien Aharon Shabtai écrit qu’il faut un orchestre au complet pour perpétrer des crimes d’état. Voici : « le présentateur de télévision et le professeur, une longue rangée d’Hommes de Lettres. Chacune de ces autorités remplit son rôle dans le plan : l’un ou l’une s’occupe de l’élimination, l’autre du harcèlement … mise en scène de négociations, stratégie de groupe… » Au moment de la première détention d’Hassan, il existait une culture d’indifférence à la violence d’état contre les civils, de la part des plus hautes autorités du Canada. L’ancien Premier Ministre Harper avait qualifié l’attaque monstrueusement disproportionnée contre la population civile piégée à Gaza, de « mesurée ». Le chef du Parti Libéral Michael Ignatieff, reconnu comme une autorité mondiale dans le domaine des droits de l’homme, dit au début que l’attaque contre les civils de Qana ne l’avait pas empêché de dormir. Ignatieff a contribué à élaborer les doctrines de la « Responsabilité de Protéger » et du « Moindre Mal », qui justifient la torture, la déportation, les assassinats extrajudiciaires de civils et les guerres, « pour prévenir les pires formes de violence ». Le militarisme infecte sournoisement la vie quotidienne.
Cui bono ? À qui profite d’inventer un méchant ? Hassan Diab est un homme doux et attentionné, un intellectuel ; c’est un bon père de famille qui aime faire la cuisine.
Au Canada, l’incarcération de Diab, sa suspension de son poste universitaire et son extradition ont en Avi Benlolo un avocat fort et puissant, Président-Directeur Général des Amis du Centre Wiesenthal. Simon Wiesenthal était un survivant de l’Holocauste, qui était devenu « Chasseur de Nazis » après la Seconde Guerre Mondiale. Le Centre Wiesenthal chasse maintenant les soi-disant terroristes islamistes. Le journal israélien Haaretz a rapporté que Benlolo avait qualifié la réintégration d’Hassan Diab à l’Université de Carleton de « scandaleuse… inexplicable, grotesque » …et déclaré que l’université traitait « un accusé, un terroriste, un assassin de masse, comme s’il avait été déclaré coupable de conduite en état d’ivresse ». Coupable jusqu’à la preuve du contraire ? Le réseau mondial de Benlolo comprend des « hauts fonctionnaires de police » et des « maîtres à penser », tels que G.W. Bush, Bill Clinton, Shimon Peres, Tony Blair, John Howard et Rudy Guiliani. Il est allé en Israël avec l’ancien Premier Ministre Stephen Harper et un membre de la violente et raciste Ligue de Défense Juive. Cette année, Benlolo a été nommé « personne honorée » par l’Université d’Haïfa, « en reconnaissance de son rôle prédominant comme militant des droits de l’homme, promoteur de tolérance et de démocratie… »
« La chasse à l’homme » permet aux victimes de devenir « perpétrateurs ». L’orchestre du militarisme permet la guerre totale, l’incarcération des innocents et les petits détails du mal ordinaire : ne pas permettre à Hassan Diab de dire au revoir à sa fille lorsqu’on l’a extradé. En ce qui concerne le Canada à l’âge de 150 ans et la France à l’âge de 225 ans, beaucoup de ceux qui détiennent le pouvoir ne comprennent pas encore ce que signifie la justice. »
*Judith Deutsch est chroniqueuse pour le magazine Canadian Dimension, ancienne présidente de « Science for Peace », et psychanalyste de profession. La contacter à judithdeutsch0@gmail.com
(Traduit par Chantal C. pour CAPJPO-EuroPalestine)
Source : https://socialistproject.ca/bullet/1450.php#continue
CAPJPO-EuroPalestine