Nous reproduisons ci-dessous l’analyse du journaliste israélien Nir Hasson, du quotidien Haaretz, qui salue comme une victoire historique celle que vient de remporter le peuple palestinien dans la bataille d’al-Aqsa (traduction CAPJPO-EuroPalestine)
Titre : les Palestiniens de Jérusalem ont goûté à la victoire au Mont du Temple (NDLR : le terme israélien pour désigner l’esplanade des Mosquées), et ils ont l’appétit pour d’autres succès
Par Nir Hasson (Haaretz) le 31 juillet 2017
« J’ai 28 ans, et je n’avais jamais ressenti quelque chose comme cela auparavant, un sentiment de fierté », déclare un habitant.
« Nous nous sommes prouvés à nous-mêmes que nous avions la capacité à nous exprimer, à dire ce qui était important pour nous. A savoir, qu’Al-Aqsa, cela compte pour nous, et çà n’appartient qu’à nous », déclare Tamer Saïd, du quartier Issawiyah de Jérusalem-Est, lorsqu’il décrit l’euphorie qui s’est emparée des habitants depuis la victoire remportée contre les portiques de détection installés par le gouvernement israélien aux entrées du site.
Après des années pendant lesquelles la Jérusalem palestinienne a été synonyme de faiblesse, de pauvreté, d’occupation et de division d’une société dépourvue de leadership, ce sont ses habitants, les Hiérosolymitains, qui ont brandi l’étendard de la révolte, et ont maintenant le sentiment d’avoir triomphé d’Israël, sur le terrain qui compte le plus à leurs yeux.
Tous les soirs, des centaines d’habitants se réunissent spontanément pour célébrer le succès, à Al-Aqsa et à ses portes. Dans les quartiers, c’est la fête, on distribue des friandises et on tire des feux d’artifice.
« Vous partez en voiture vers Al-Aqsa avec un voisin avec qui vous vous engueliez deux jours plus tôt pour une place de parking », écrit Hamdan Abou Shamsia sur sa page Facebook. « Chacun est attentionné envers son voisin. C’est l’effervescence dans les cuisines, où tout le monde est invité. Je jure que c’est là un grand motif de fierté. N’ayant ni frères ni sœurs, je me sentais seul jusqu’à présent, mais je viens de découvrir que j’en avais en réalité plus que tout le monde ».
La question que tout le monde se pose est de savoir si cette lutte peut être étendue à d’autres domaines, comme la lutte contre les démolitions de maisons, le manque criant d’écoles, les tracas de l’administration, voire l’occupation elle-même.
En d’autres termes, est-ce que ces deux semaines correspondent à un tournant historique pour la Jérusalem palestinienne ?
Il y a quinze jours, quand la police a rétabli l’accès à l’Esplanade après sa fermeture consécutive au meurtre de deux garde-frontières sur le site, les Palestiniens de Jérusalem ont lancé un défi. Sous la pression des masses, les clercs qui gèrent le Waqf ont refusé d’entrer dans Al-Aqsa, et de rétablir la routine rituelle tant que les portiques de détection seraient en place.
On pouvait avoir des doutes sur les chances de succès d’un tel boycott.
Mais en l’espace de quelques heures, un mouvement de lutte populaire a émergé, d’une ampleur inédite à Jérusalem-Est depuis des dizaines d’années. Des milliers de manifestants se sont rassemblés à la Porte des Lions (NDLR : la porte de la muraille de la Vielle Ville ouvrant à l’est), où ils ont organisé un sit-in permanent fait de discours, de prières de masse et d’appels à défendre Al-Aqsa, alors que l’Esplanade elle-même et ses mosquées restaient vides.
Le boycott a été un succès inimaginable.
Tout au long de cette campagne, les Palestiniens se sont efforcés de lui conserver un caractère non violent. La plupart des prêches se sont achevés de manière pacifique. Et la plupart des interventions brutales de la police n’avaient que des prétextes insignifiants, comme le jet d’une bouteille d’eau par exemple.
« Je pense que les gens ont compris que c’était la carte à jouer, que moins de violence leur donnerait plus d’espace et gênerait la stratégie israélienne », commente Ahmed Asmar, 30 ans, de Wadi Joz.
« Longtemps, l’occupant a cherché à nous séparer et à nous isoler ‘Untel est du Fatah ! Untel est du Hamas ! Untel est de Jérusalem ! Untel est des territoires », commente Ahmed Sub Laban, de l’association de gauche Ir Amim. « Et là, c’est la première fois dans l’histoire du peuple palestinien que nous nous unissons d’une telle manière pour faire valoir nos droits ; c’est la première fois que notre peuple réalise le pouvoir qu’il peut avoir, et que ce pouvoir, il le tient de son unité. Toute la question est de savoir si on pourra l’utiliser à nouveau, et pas seulement pour défendre des droits religieux», ajoute-t-il.
LA FIN D’UNE LONGUE SECHERESSE
Ce succès intervient après des années où Jérusalem-Est a été considérée comme une ville sans leadership. Jamais depuis le décès de Fayçal al-Husseini en 2001, il ne s’est en effet trouvé quelqu’un qu’on pouvait considérer comme un leader politique accepté par les habitants de la ville.
Quand la crise d’Al-Aqsa a commencé, la police a coffré tous ceux qu’elle considérait comme des meneurs potentiels : des membres du Fatah, des membres du Hamas, des activistes de terrain. Les seules personnalités ayant échappé à l’arrestation ont été les responsables religieux. Mais la plupart des témoins nous disent que si le crédit initial doit être donné aux cheikhs qui ont lancé le mot d’ordre de ne pas entrer dans les mosquées du site, ce ne sont pas eux qui ont en pratique dirigé la lutte.
Les Hiérosolymitains ont également été vigilants face au risque de récupération. Lorsque Christine Rinawi, journaliste de la chaîne TV officielle de l’Autorité Palestinienne, a terminé son reportage depuis Jérusalem en remerciant le Président Mahmoud Abbas, elle s’est pris une volée de bois vert !
Mais il est également vrai que le mouvement n’a pas de claire direction politique, et par conséquent, même si des gens veulent l’entraîner dans telle ou telle direction, on ne sait pas qui en prendra la tête.
Tout le monde s’accorde à reconnaître à Al-Aqsa un formidable pouvoir d’attraction, loin devant d’autres thèmes de mobilisation pour les Palestiniens de Jérusalem.
Mais ce pouvoir n’a rien à voir avec le caractère religieux du site. D’ailleurs, Une majorité des manifestants étaient de jeunes Arabes laïques, qui ne vont pas prier à la mosquée de manière régulière.
« C’est un lieu qui a une importance religieuse, mais en tant qu’habitant de Jérusalem, c’est un lieu qui me parle directement, pas à travers Dieu ni à travers l’islam. C’est l’endroit où je me sens chez moi, où je me sens libre », explique Saïd.
De fait, de nombreux habitants décrivent l’Esplanade comme la dernière chose qu’ils possèdent, le dernier bout de la Palestine qu’Israël n’a pas vraiment réussi à occuper, un endroit où tout Palestinien, qu’il soit religieux, laïque ou même chrétien peut encore éprouver un sentiment de liberté », abonde Asmar.
« Que cela ait trait à la mémoire, aux matches de foot qu’on joue sur l’esplanade, à des excursions où à une carte postale montrant le Dôme du Rocher, c’est là qu’est notre honneur », conclut-il.
Source :
http://www.haaretz.com/misc/article-print-page/.premium-1.804220
CAPJPO-EuroPalestine