Le Mouvement de la Résistance Islamique (Hamas) est apparemment venu à bout des protestations qui ont secoué la bande de Gaza la semaine dernière, mais au prix de la perte d’une partie de la popularité dont il a joui jusqu’à présent au sein d’une population étranglée par plus de 10 ans de blocus israélien, analyse la journaliste du Haaretz Amira Hass.
(Une manifestation de soutien au Hamas, dimanche à Gaza, après la répression de mouvements de protestation)
Cette Israélienne est peu suspecte, et elle l’a montré tout au long de sa carrière, de complaisance, ni vis-à-vis bien sûr du régime de l’apartheid, ni de l’Autorité Palestinienne dont elle dénonce régulièrement la collaboration avec l’occupant. Ce n’est pas non plus, tant s’en faut, une adoratrice du Hamas, ses sympathies allant au Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP), dans les limites, pour ce qui est de son expression publique, de son statut de citoyenne israélienne (le FPLP, qualifié de « terroriste », étant aussi réprimé que le Hamas par le régime israélien).
Nous avons fait le choix de traduire l’article qu’elle vient de consacrer au territoire martyr. Il est publié ci-dessous.
« Le Hamas réprime les manifestations, au prix de sa propre popularité.
« Même si les manifestants n’osent plus descendre dans la rue, le gouvernement du Hamas s’est infligé à lui-même un coup sévère.
Amira Hass, Haaretz, 19 mars 2019
« Il semble que pour le moment, l’intimidation a produit ses effets. Le Hamas a réussi à stopper les manifestations. Mais le caractère immédiat et cruel de la répression de celles-ci en a choqué plus d’un, y compris parmi ceux qui prennent généralement le parti du Hamas face à l’Autorité Palestinienne, et qui imputent à la direction de Ramallah la responsabilité première –après celle d’Israël, bien entendu- de l’énorme détresse dont souffrent les habitants de la bande de Gaza.
« Le Hamas a montré la semaine dernière à quel point il craint la contestation populaire, dont le point de départ n’était pas nécessairement idéologique ou politique. On a tendance à croire que la direction du Hamas est plus sensible aux doléances du public que ne l’est la direction du Fatah. La situation étant ce qu’elle est, le Hamas a effectivement eu la possibilité de montrer que ce pouvait être le cas, et gagner le soutien y compris auprès de citoyens qui n’adhèrent pas à son idéologie. Mais ce capital de sympathie a été dilapidé.
« Répliquant à la répression des manifestations et à la détention de journalistes (23 d’entre eux ont été arrêtés la semaine dernière, et 3 étaient encore en prison lundi), un appel a été adressé à la presse, l’exhortant à boycotter la couverture de la prochaine Marche du Retour du vendredi 22 mars.
« ‘Ce sera un test de la vigueur du mouvement des jeunes. S’ils ne manifestent pas vendredi et qu’ils laissent le terrain aux seuls sympathisants et militants du Hamas, ce sera une autre façon de montrer leur force, et la force de leur mécontentement’, déclare au Haaretz une habitante de Gaza.
» En dépit du prix très élevé qu’ils ont payé, en termes de morts et de blessés, et de l’impact qui en a résulté sur le (dys)fonctionnement du système de santé, les Marches du Retour ont jusqu’à présent perçues comme une action ayant un sens pour les habitants encagés de la bande de Gaza, et un succès politique pour le Hamas, artisan d’une protestation qui a eu un retentissement mondial. C’est pourquoi la menace –quand bien même elle ne serait pas suivie d’effet- d’un boycott de celles-ci, est une manière de dire au Hamas que son monopole, comme force de résistance à l’occupation, n’est pas éternel.
« Le Hamas a montré qu’il était déterminé à s’accrocher au pouvoir qu’il détient sur la bande de Gaza, tout comme le fait le Fatah dans les enclaves de la Cisjordanie occupée où Israël lui délègue un pouvoir de police.
« L’AP organise à intervalles réguliers des manifestations bidon de soutien à Mahmoud Abbas en Cisjordanie. Eh bien, le Hamas a fait exactement la même chose ces derniers jours à Gaza, tout en empêchant la tenue de manifestations authentiques. Dimanche, il a ainsi voulu exploiter à son profit l’annonce de l’attaque contre des soldats et colons à proximité de la colonie d’Ariel (opération non revendiquée à ce jour, NDLR), tout en interdisant à ses opposants de descendre dans la rue.
« De fait, le mouvement des jeunes à l’origine des manifestations de la semaine dernière avait prévu une nouvelle action dimanche, mais cela n’a pas eu lieu.
« Les gens avec qui j’ai parlé m’ont pourtant donné l’impression de ne pas craindre de parler ouvertement de la situation.
« Des vidéos ont tourné, qui montrent la brutalité de la police du Hamas à l’encontre des protestataires, et ce malgré la confiscation de leurs caméras à de nombreux journalistes. Les vidéos prises avec des téléphones à moitié cachés sous des vêtements ou des sacs à main, rappellent celles issues d’autres manifestations non autorisées, comme on a pu en voir en provenance d’Iran, par exemple.
« On n’a pas de bilan du nombre total de personnes arrêtées, puis relâchées, et on peut douter de la possibilité de faire un calcul fiable. Pas plus qu’on ne sait combien de personnes sont encore détenues au moment où ces lignes sont écrites. Des cas de torture ont été évoqués, touchant y compris des participants réguliers aux Marches du vendredi. Mais nous ne pouvons pas confirmer ces rumeurs.
« Quand il n’y a pas liberté de la presse et que les journalistes ne peuvent enquêter correctement, le rôle des organisations de défense des droits humains présentes à Gaza n’en devient que plus important, notamment celui de la Commission Palestinienne Indépendante des Droits de l’Homme, (qui agit comme médiateur entre l’AP et le gouvernement de Gaza), le Centre Palestinien des Droits de l’Homme (PCHR), ou encore le Centre al-Mezan des Droits de l’Homme.
« On a là des organisations qui n’hésitent pas à critiquer l’AP, et qui bien entendu consacrent l’essentiel de leurs efforts à dénoncer les violations constantes, par Israël, du droit international.
« Au cours des attaques militaires israéliennes, les enquêteurs de terrain ont pris des risques considérables pour recueillir des témoignages et documenter les actions les plus dures de l’assaillant.
« Peu après la répression brutale des manifestations de jeudi dernier à Gaza, ces organisations ont publié des communiqués –en arabe et en anglais- ; elles en ont informé leurs homologues à Ramallah, et n’ont cessé d’envoyer leurs enquêteurs sur le terrain.
« Cela n’a pas plu au Hamas : sa police a attaqué deux responsables de la Commission Palestinienne Indépendante, Jamil Sarhan, et l’avocat Baker Turkmani. Cela s’est passé vendredi : les deux hommes se trouvaient au domicile d’un journaliste habitant le camp de réfugiés de Deir al-Balah, épicentre des manifestations actuelles. Les policiers du Hamas ont confisqué leurs portables, et les ont expulsés de la maison. Une fois dehors, alors que l’identité des deux hommes était connue de tous, d’autres policiers sont arrivés et les ont passé à tabac. Sarhan souffre encore d’une blessure à la tête.
« En outre, quatre chercheurs et un avocat appartenant à trois associations de défense des droits de l’homme (al-Mezan, Addameer, PCHR) ont été arrêtés samedi alors qu’ils recueillaient des témoignages, et emmenés au poste. Ils ont été relâchés au bout de quelques heures.
« Ces associations et leurs militants ont prouvé dans le passé qu’ils n’étaient pas du genre à se laisser intimider. C’est pourquoi la tentative du Hamas de les terroriser ne peut être qualifiée que de ridicule.
« On a enfin l’impression que la répression des manifestations a restauré, ne serait-ce que temporairement, le mur idéologique et passionnel qui, dans les années 1980, avant l’avènement du Hamas, séparait les formations nationalistes appartenant à l’OLP (Organisation de Libération de la Palestine) des organisations islamiques.
« Les Forces Nationales et Islamiques, une entité censée chapeauter les différents courants de la résistance palestinienne, s’est réunie vendredi et a demandé au Hamas de présenter des excuses publiques pour la manière dont il avait réprimé les manifs, et de libérer tous les manifestants arrêtés.
« Certes, cette entité ne représente a priori pas grand-chose, du fait que le Fatah et le Hamas ont refusé de longue date d’y siéger ensemble.
« Il ne faut pas pour autant négliger son importance. Par gros temps, elle conserve la capacité de réunir les responsables d’une majorité des partis et organisations, et constitue de ce fait une plate-forme permettant la reprise d’un dialogue et l’apaisement des tensions.
« Toutes les organisations ayant une assise nationale étaient présentes à la réunion de vendredi, à l’exception notable du Hamas et du Djihad Islamique. L’absence du Djihad Islamique à la réunion mérite qu’on s’y arrête : lors de phases antérieures de tensions aigues entre le Hamas et le Fatah, cette petite organisation avait opté pour la neutralité, et avait favorisé les efforts de réconciliation entre les deux grands. Là, il est permis d’interpréter leur absence à la réunion comme l’expression d’un soutien à la répression exercée par le Hamas, ou à tout le moins comme un signe de la dépendance du Djihad Islamique vis-à-vis de la grande organisation religieuse.
« Parmi les signataires de l’appel demandant des excuses au Hamas figure le Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP), qui a quasiment les mêmes positions que le Hamas lorsqu’il est question de critiquer les accords d’Oslo ou l’AP.
« Malgré son affaiblissement considérable, et le fait qu’il n’a plus de leaders en vue comme ce fut le cas il y a longtemps, il jouit encore de sa gloire passée, et sa prise de position sans ambages vendredi dernier a valeur de symbole.
« L’avenir nous dira combien de temps les protestataires seront dissuadés de descendre à nouveau dans la rue. Mais il est clair que dans la séquence qui vient de se dérouler à Gaza, le Hamas s’est porté à lui-même un coup sévère ».
https://www.haaretz.com/middle-east-news/palestinians/.premium-hamas-crushes-protests-at-cost-to-its-popularity-1.7039204
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