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« Le fait d »immigrer en Israël m’a fait renoncer au judaïsme ».

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Jotam Confino, journaliste à Haaretz raconte ses tribulations en tant que « demi-juif » vivant en Israël.

« Cela fait trois ans que je suis arrivé en Israël, m’embarquant dans ce que je pensais être un voyage pour explorer mes racines, pour vivre et travailler dans le pays dans lequel je suis né. Mais la conjonction d’un processus d’immigration dégradant et de questions constantes sur mes antécédents m’a fait me sentir moins juif que jamais. En fait, je ne me sens plus du tout juif.
Je suis le produit d’une histoire d’amour classique de kibboutz de la fin des années 1980. Ma mère danoise a travaillé comme bénévole dans le kibboutz que mes grands-parents paternels ont fondé, et elle y a rencontré mon père israélien et juif. Mais le traumatisme de la guerre du Liban en 1982 l’a poussé à convaincre ma mère de s’installer au Danemark, pour éviter que ses propres fils vivent les mêmes horreurs que lui. Donc, six mois après ma naissance dans la petite ville d’Hadera, nous avons déménagé au Danemark.

À l’époque, nous n’avions pas le droit d’avoir la double citoyenneté, alors mes parents ont renoncé à nos passeports israéliens en échange de la citoyenneté danoise. 
En 2017, j’ai décidé de retourner en Israël et de travailler comme journaliste au Moyen-Orient. Je suis né en Israël, mon père était israélien et un ancien combattant de Tsahal, mes grands-parents étaient israéliens et pionniers kibboutzniks. J’avais un statut spécifique de « katin chozer », un mineur de retour, l’enfant d’un citoyen israélien. J’ai supposé que récupérer mon passeport israélien serait une simple formalité.

Mais le pouvoir de l’establishment religieux en Israël m’a rapidement prouvé que j’avais tort. Le premier obstacle majeur s’est produit lorsque, dans le cadre du processus d’immigration, on m’a demandé une lettre signée par le rabbin local au Danemark, « validant » ma judéité. Encore une fois, une simple formalité, me suis-je dit. Je n’aurais pas pu me tromper davantage.
« Votre mère est-elle juive ? » demanda le rabbin.
« Non, mais … ». J’ai commencé à répondre.
« Alors je ne peux pas vous aider. Vous n’êtes pas juif. Et comme je ne vous connais pas, parce que vous n’êtes pas membre de la communauté juive au Danemark, je ne peux pas me porter garant pour vous », a-t-il interrompu, et a mis fin à la conversation.
Me souvenir de l’incident me rend aussi furieux aujourd’hui qu’à l’époque. J’étais en état de choc. Mais j’ai pris une grande respiration, et j’ai demandé à mon père d’appeler le rabbin pour éclaircir les choses. Sûrement qu’il croirait mon père quand il lui raconterait son histoire, cette fois-ci en  hébreu ? Mais le rabbin a dit à mon père qu’il ne pouvait pas assurer qu’il était juif. Son raisonnement, et par extension celle de l’État d’Israël, était que seul un certificat de mariage avec la signature d’un rabbin serait une preuve suffisante dans une situation comme celle-ci. Ou un document similaire avec la signature d’un rabbin.

À leurs yeux, les trois générations d’Israéliens dans ma famille n’étaient pas suffisantes. Tout se résume à savoir si votre mère était juive ou si vous avez un document religieux prouvant votre judéité.

"Le fait d"immigrer en Israël m'a fait renoncer au judaïsme".
Ces trois générations d’Israéliens n’ont pas suffi au tout-puissant rabbinat d’Israël, et donc à l’État israélien.Credit: Yonit Schiller

Mon père a finalement trouvé un rabbin qui était lié au kibboutz de ses parents, qui pouvait « vérifier » que, oui, la famille Confino était juive. Ce n’est qu’à ce moment-là que le rabbin arrogant et bien-pensant de Copenhague nous donna la lettre dont j’avais besoin pour retrouver ma citoyenneté.
Cela ne l’a pas empêché de terminer la lettre au ministère israélien de l’Intérieur par les mots « Je ne connais pas Amatzia Confino » (mon père). Le dernier commentaire ne pouvait être interprété que comme sa façon de montrer à quel point il était réticent à se porter garant de ce jeune « demi-Juif » sans attachement à la communauté juive.

Tout le processus d’immigration m’a fait réaliser à quel point l’identité israélienne est conditionnée à la judéité, et à une judéité spécifique, intrusive et exclusive, comme j’en ai fait l’expérience maintes et maintes fois depuis que j’ai déménagé en Israël.
En tant que journaliste couvrant des événements dans tout Israël, j’ai perdu le compte du nombre de fois où on m’a demandé, soit agressivement ou poliment, si je suis juif ou pas. Le tout dans les 30 premières secondes d’une conversation, que ce soit dans ma vie privée ou au travail. Les Juifs israéliens en général semblent avoir besoin de  à me catégoriser : comme eux / pas comme eux, l’un d’eux / pas l’un d’eux. 

C’est souvent la même chose sur la scène des rencontres : certaines femmes israéliennes ne peuvent imaginer s’installer avec un « demi juif » comme moi, et mes copines non juives en Israël ont été larguées par des Israéliens pour la même raison.
Je trouve cela incroyablement raciste, mais j’ai de très bons amis qui prétendent que c’est seulement une question de tradition. Mais il n’y a pas que les vieux qui se comportent de la sorte. C’est une attitude répandue parmi la plupart des jeunes Israéliens que j’ai rencontrés.

Et avec un discours politique qui ne semble que renforcer cette obsession d’être pleinement juif, et une loi sur l’’État-nation qui indique clairement à qui appartient l’État d’Israël, il est tout à fait logique qu’Israël se dirige vers un abîme raciste où seuls les Juifs ethniquement purs font pleinement partie de la société. Je ne considère pas le judaïsme comme une ethnie mais comme une religion ; mais comme ceux qui sont au pouvoir considèrent en fait les Juifs comme une race, leur obsession de la pureté devient raciste lorsqu’ils légifèrent de ce point de vue.

Le meilleur exemple de la façon dont se traduit à mon avis le racisme en Israël, c’est  le contrôle du Rabbinat en chef sur le mariage et le divorce. Il n’y a pas de mariage civil en Israël. Seuls les « juifs purs » (ceux qui ont une mère juive) peuvent se marier en Israël, contraignant des milliers d’Israéliens « à moitié juifs » à se marier à l’étranger. 

Parce que les ultra-orthodoxes ont le pouvoir sur l’une des institutions les plus centrales et les plus importantes de la société, et parce qu’ils considèrent les Juifs comme une race, les parias, comme moi, seront traités différemment. Il en sera de même pour les nombreux « demi-Juifs » russes qui vivent en Israël et tout autre Israélien avec un père juif et une mère non juive. 

Ça fait qu’un « demi-Juif » comme moi se demande ce que ça veut dire être juif ? Je ne crois pas en Dieu et je ne célèbre pas la plupart des fêtes juives. Je ne respecte ni le casher, ni le Shabbat, et je ne pense pas que critiquer l’État d’Israël équivaut à de l’antisémitisme. Je ne pense pas non plus que la circoncision des nourrissons devrait être autorisée. C’est une tradition médiévale dépassée qui, quand elle tourne mal de temps en temps, affecte un homme pour le reste de sa vie. 

Credit: Lior MIrachi

Les choses que j’énumère ci-dessus ne sont en aucune façon des critiques des nombreux Israéliens laïcs qui bien que partagent mes vues, continuent à s’identifier comme juifs. C’est juste une prise de conscience que je ne souscris pas ou n’adhère pas à la plus fondamentale des valeurs juives et des traditions culturelles, et donc ne vois pas l’intérêt de m’identifier comme juif.
Je suis conscient qu’Israël n’a pas le monopole du judaïsme. En fait la plupart des Juifs vivent à l’étranger et sont libres d’identifier leur judéité comme ils le souhaitent. Ils ne sont pas subordonnés aux tribunaux rabbiniques fanatiques, comme ils le sont en Israël. Mais je ne peux pas échapper au sentiment que, où que je sois dans le monde juif, je suis disséqué pour savoir à quel point je suis juif ou, une fois qu’on m’a demandé si ma mère était juive, à quel point je suis «  non-juif ».
C’est une question posée par les Juifs dans mes deux pays d’origine, le Danemark et Israël, et par les Juifs que j’ai rencontrés lors de mes voyages à l’étranger. Il est toujours difficile de comprendre si la question est posée par curiosité, ou s’il faut vérifier si je suis « l’un d’eux ». Quoi qu’il en soit, j’ai toujours trouvé que c’était un échange odieux avec quelqu’un que je viens de rencontrer. 
Je me considère (danois) israélien, mais laïc. Tout au long de ma vie, j’ai toujours pris pour acquis que j’étais juif, à cause de mon père. C’était juste une étiquette (pas négative) attachée à ma nationalité danoise. Etre Israélien, à mes yeux, signifie pourtant croire en l’État d’Israël comme un lieu où les Juifs ont le droit de vivre, mais qui offre l’égalité pour tous, religieux, non religieux, arabes, mi-juifs.

Jotam Confino est rédacteur web à Haaretz et a couvert le Moyen-Orient en tant que journaliste pour les médias danois, turcs et américains.  Twitter: @mrconfino

(Traduit par CAPJPO-EuroPalestine)

Source Haaretz

CAPJPO-EuroPalestine

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