Saisi par des associations de défense du peuple palestinien et de lutte contre les industriels de la mort, le tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis) a étendu vendredi le bannissement des entreprises israéliennes au salon de l’armement Eurosatory, qui ouvre ses portes lundi à Villepinte.

Le 31 mai dernier, l’organisateur du salon, sur injonction du gouvernement français, avait déjà annoncé l’annulation des 73 (oui 73 !) stands israéliens, ces entreprises qui expérimentent leurs engins de mort au quotidien contre la population palestinienne (en particulier celle de la bande de Gaza et plus précisément encore de Rafah depuis fin mai).
Mais le lobby israélien en France, notamment la Chambre de Commerce France-Israël, avait cru trouver la parade, et fait savoir que des représentants de l’armée ou des marchands d’armes conservaient la possibilité d’être hébergés sur le salon par des stands amis d’autres nationalités. Et d’y faire leur sanglant et juteux business comme si de rien n’était.
D’où la réplique de quatre associations, la palestinienne al-Haq, l’Association France Palestine Solidarité, Action Sécurité Éthique, et Stop Fuelling Wars, toutes représentées par notre amie M° Dominique Cochain et M° Matteo Bonaglia.
Assignant l’organisateur d’Eurosatory, la société COGES, dans le cadre d’une procédure d’urgence (puisque le salon ouvre ses portes lundi 17 juin) s’appelant un « référé d’heure à heure », les demandeurs ont dénoncé le frauduleux tour de passe-passe en voie d’être commis, et réclamé qu’il soit mis un terme à ce risque imminent de trouble grave à l’ordre public.
Le tribunal, en leur donnant raison, s’est largement appuyé sur la réalité de la tragédie en cours à Gaza, et a constaté qu’en permettant la présence d’individus ou d’entreprises israéliens liés au secteur de l’armement, la COGES, dont les activités sont régulées par l’État, manquerait à son obligation de prendre toutes mesures pour prévenir la commission d’un génocide, comme l’a ordonné depuis des mois maintenant la Cour Internationale de Justice.
L’ordonnance du tribunal de Bobigny est exécutoire, et assortie d’une condamnation de la COGES à payer 1.500 € de « frais de justice » à chacune des associations demanderesses.
Le chemin est probablement long avant que les assassins paient pour leurs crimes. Et le combat sur le terrain judiciaire, l’un des moyens de lutte pour la défense des droits du peuple palestinien, est le plus souvent semé d’embûches. Mais nos camarades ont eu raison de persévérer, et on ne peut que saluer leur victoire.
Voici maintenant le texte intégral de l’ordonnance rendue vendredi soir :
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BOBIGNY
-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-
Chambre 1/Section 5
N° du dossier : N° RG 24/01001 – N° Portalis DB3S-W-B7I-ZNYM
JUGEMENT DE RÉFÉRÉ DU 14 JUIN 2024
MINUTE N° 24/01765
—————-
…
Après avoir entendu les parties à notre audience de référé en formation collégiale
du 13 juin 2024 avons mis l’affaire en délibéré et avons rendu ce jour à 17h00, par mise
à disposition au greffe du tribunal en application des dispositions de l’article 450 du Code
de procédure civile, la décision dont la teneur suit :
ENTRE :
L’Association AL-HAQ LAW IN THE SERVICE OF MAN, INTERVENANTE
VOLONTAIRE,
dont le siège social est sis Main Street, the Deir al-Latin (Latin Covent) Building –
RAMALLAH
représentée par Me Dominique COCHAIN ASSI, avocat au barreau de PARIS,
vestiaire : G0081, Me Matteo BONAGLIA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1292
L’Association ACTION SECURITE ETHIQUE REPUBLICAINES (ASER),
dont le siège social est sis 13 rue de Suez – 75018 PARIS
représentée par Me Dominique COCHAIN ASSI, avocat au barreau de PARIS,
vestiaire : G0081, Me Matteo BONAGLIA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1292
Page 2 de 11
L’Association FRANCE PALESTINE SOLIDARITÉ,
dont le siège social est sis 21 ter rue Voltaire – 75011 PARIS
représentée par Me Dominique COCHAIN ASSI, avocat au barreau de PARIS,
vestiaire : G0081, Me Matteo BONAGLIA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1292
L’Association STOP FUELLING WARS (SFW),
dont le siège social est sis 114bis rue de Vaugirard – 75006 PARIS
représentée par Me Dominique COCHAIN ASSI, avocat au barreau de PARIS,
vestiaire : G0081, Me Matteo BONAGLIA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1292
ET :
La Société COGES,
dont le siège social est sis 39 rue Mstislav Rostropovitch – 75017 PARIS
représentée par Maître Jean-Yves DEMAY PAJOT, avocat au barreau de PARIS,
vestiaire : R137, Maître Bérénice DE WARREN et Maître Patrick MAISONNEUVE,
avocats au barreau de Paris, vestiaire : D1568
***********************************************
EXPOSE DU LITIGE
Par acte du 7 juin 2024, les associations ACTION SECURITE ETHIQUE
REPUBLICAINES, FRANCE PALESTINE SOLIDARITE et STOP FUELLING WARS,
autorisées par ordonnance sur requête du 6 juin 2024, ont assigné à heure indiquée devant
le président de ce tribunal la société COGES notamment sur le fondement de l’article 835
du code de procédure civile aux fins qu’il lui soit ordonné, en sa qualité d’organisateur et
d’exploitant du salon EUROSATORY 2024, de respecter et de faire respecter par ses
cocontractants les mesures suivantes :
< Interdiction de toute communication relative à la présence d’armes israéliennes
ainsi qu’à la participation d’industriels israéliens, sur l’ensemble du salon ainsi que
sur l’ensemble de ses supports de communication ;
< Interdiction de participation au salon de toutes les entreprises qui présenteraient
des liens capitalistiques ou des relations d’affaires soutenues avec des entreprises
israéliennes ;
< Interdiction pour les autres entreprises ou exposants d’accueillir sur leur stand des
représentants d’entreprises israéliennes, de vendre ou faire la promotion d’armes
israéliennes ou de faciliter de quelque manière que ce soit l’intermédiation de ces
entreprises israéliennes avec les délégations présentes au salon ;
< Interdiction d’entrée et de participation sous quelques formes que ce soit au salon
des délégations israéliennes, des responsables politiques et militaires israéliens
ainsi que des industriels de l’armement israéliens et de toute personne salariée ou
représentante du gouvernement, de l’armée ou des entreprises d’armement
israéliens, ainsi que de toute personne physique ou moral susceptible d’opérer
comme leur courtier ou leur intermédiaire ;
Page 3 de 11
< Ordonner l’affichage de l’ordonnance à intervenir, aux frais de la défenderesse, à
l’entrée du salon ainsi qu’à cinq autres endroits de celui-ci et qui concentrent
l’achalandage le plus important du salon ;
< Ordonner la communication à leur égard, sous 48 heures et sous astreinte de 2.500
euros par jour de retard, de la liste de tous les exposants et des produits exposés au
salon, de toutes les personnes interdites d’accès au salon, et des badges et
invitations d’ores et déjà délivrés ou dont la délivrance interviendra d’ici à la fin
du salon EUROSATORY mentionnant l’identité, la fonction et l’entreprise de
rattachement, la justification des engagements que la société COGES aura fait
souscrire par les visiteurs d’avoir à se conformer aux interdictions énoncées ;
< Autoriser deux membres de l’association ACTION SECURITE ETHIQUE
REPUBLICAINES à circuler dans l’enceinte du salon EUROSATORY durant
toute la durée de celui-ci ainsi que dans ses annexes et évènements délocalisés afin
de s’assurer de la bonne exécution des mesures ordonnées et, en tant que de besoin,
l’autoriser à faire constater par le concours d’un commissaire de justice toute
infraction à celles-ci.
Elles sollicitent en outre la condamnation de la société COGES à leur verser à chacune la
somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre
les dépens, en ce compris les frais de signification/injonction par exploit de justice du
24 mai 2024.
L’affaire a été évoquée à l’audience du 13 juin 2024, en formation collégiale.
A l’audience, l’association AL-HAQ est intervenue volontairement en demande.
In limine litis, la société COGES demande au juge des référés de se déclarer incompétent
territorialement au profit du président du tribunal judiciaire de Paris au motif que son siège
social est situé à Paris. Elle fait valoir que les dispositions de l’article 46 du code de
procédure civile sont inapplicables s’agissant d’une action prospective et d’un dommage
qui n’est pas d’ores et déjà survenu. Elle indique que la compétence parisienne est
légitimée par le fait qu’il lui reproché une faute et que son activité est située à Paris.
Elle sollicite également du juge des référés qu’il déclare irrecevables les demandes des
associations ACTION SECURITE ETHIQUE REPUBLICAINES, FRANCE PALESTINE
SOLIDARITE et STOP FUELLING WARS de l’ensemble de leurs demandes, faute
d’intérêt à agir, du fait qu’elles ne justifient pas d’un intérêt né et actuel, au jour où leur
action est exercée.
En réplique, les associations ACTION SECURITE ETHIQUE REPUBLICAINES,
FRANCE PALESTINE SOLIDARITE, STOP FUELLING WARS et AL-HAQ font
valoir que :
< sur la compétence territoriale, les conditions générales de fonctionnement de la
société COGES ne sont pas applicables en l’espèce, et qu’il convient, pour
déterminer le juge compétent, de prendre en compte le lieu où les mesures urgentes
doivent être prises ;
< sur l’intérêt à agir, chacune des associations a, au regard de son objet social, un
intérêt à agir.
Sur le fond, les associations ACTION SECURITE ETHIQUE REPUBLICAINES,
FRANCE PALESTINE SOLIDARITE, STOP FUELLING WARS et AL-HAQ ont
maintenu les demandes formées dans l’assignation.
Page 4 de 11
Elles expliquent en substance que :
< Alors que la Cour internationale de Justice juge plausible la situation génocidaire
dans la bande de Gaza imputable à l’Etat d’Israël, que le procureur de la Cour
pénale internationale estime que la responsabilité pénale du premier ministre et du
ministre de la défense d’Israël peut être engagée pour des crimes de guerre et des
crimes contre l’humanité commis en Palestine et qu’une trentaine d’experts des
nations Unies appellent à la suspension immédiate de tous les transferts d’armes
ou de munitions vers Israël contraire au droit international humanitaire, la France
viole ses engagements internationaux en maintenant et délivrant de nouvelles
autorisations d’exportation de matériels à destination des entreprises d’armement
israéliennes ;
< Nombre d’exposants et de visiteurs conviés ou appelés à participer au salon
EUROSATORY, salon de la défense et de la sécurité, se déroulant du 17 au 21 juin
2024, apparaissent susceptibles d’être impliqués directement ou indirectement dans
la perpétration d’atteintes gravissimes de civils palestiniens, ainsi que dans la
destruction de biens à caractère civil, par la fourniture ou l’acquisition
d’armements, matériels et assimilés ;
< Si l’exécutif français a indiqué que les conditions ne sont plus réunies pour
recevoir les entreprises israéliennes sur le salon français, cette décision est
insuffisante à prévenir les risques de graves violations du droit international
inhérentes à la mise en relation sur le territoire français d’acheteurs, vendeurs,
courtiers et intermédiaires pour le compte de l’Etat Israélien dans un contexte de
crimes contre l’humanité, crimes de guerre et violations de conventions
internationales ;
< Si la société COGES a fait savoir le 31 mai 2024 qu’il n’y aura aucun stand de
l’industrie de défense israélienne sur le salon EUROSATORY 2024, cette décision
est tardive et si elle apparait conforme aux engagements internationaux de la
France, elle demeure insuffisante et incertaine s’agissant de son existence, sa
nature, sa permanence et son effectivité ; les demanderesses indiquent à cet égard
que la chambre de commerce France-Israël a indiqué que rien n’interdit aux
israéliens de visiter le salon et de faire de la veille technologique sur leurs
concurrents, et que des firmes américaines offriraient des places sur leurs stands
aux israéliens.
Elles font valoir que ces circonstances caractérisent :
< un trouble manifestement illicite résultant :
• de la violation des conditions générales de vente de la société COGES qui
conditionnent toute participation au salon EUROSATORY au respect des
engagements internationaux de la France ; les demanderesses considèrent
que l’annonce de l’annulation des participants israéliens ne suffit pas à
mettre fin au trouble, en ce qu’elle intervient après une large
communication antérieure sur la venue de ces industriels ;
• de l’assistance par fourniture de moyens que la société COGES continue
d’apporter au gouvernement israélien en lui donnant les moyens d’acquérir
armement et équipements miliaires, d’effectuer une veille concurrentielle
et de commercialiser ses propres armes ; elles expliquent que la société
COGES n’a pas interdit aux vendeurs et acheteurs israéliens d’accéder au
salon, ce qui caractérise l’infraction de complicité de crime ;
Page 5 de 11
< un dommage imminent résultant :
• d’un risque de violation des mesures décidées par l’exécutif français,
lesquelles sont au demeurant insuffisantes pour prévenir une participation
d’industriels, acheteurs intermédiaires et délégations officielles israéliennes
au salon EUROSATORY ;
• d’un risque de renforcement du pouvoir de nuire des entreprises
israéliennes en ce qu’elles pourraient exposer, à travers des exposants
américains, des armes testées au combat en Palestine, et pourraient entrer
en relation avec toute autre entreprise sur place acceptant de livrer des
armes à Israël, contournant ainsi les règles posées par l’exécutif français.
En réplique, la société COGES demande au juge des référés de :
< juger qu’il n’y a lieu à référé en l’espèce ;
< débouter les associations ACTION SECURITE ETHIQUE REPUBLICAINES,
FRANCE PALESTINE SOLIDARITE, STOP FUELLING WARS et AL-HAQ de
l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;
< condamner solidairement les associations ACTION SECURITE ETHIQUE
REPUBLICAINES, FRANCE PALESTINE SOLIDARITE, STOP FUELLING
WARS et AL-HAQ à lui verser la somme de 30.000 euros au titre de l’article 700
du code de procédure civile ;
< condamner solidairement les associations ACTION SECURITE ETHIQUE
REPUBLICAINES, FRANCE PALESTINE SOLIDARITE, STOP FUELLING
WARS et AL-HAQ aux entiers dépens.
Elle expose que :
< elle organise un salon d’exposition ayant pour unique objet de présenter du
matériel de défense et de sécurité, et non la conclusion de vente d’armes ;
< elle n’a commis aucune violation de ses conditions générales de vente et s’est
conformée dans les meilleurs délais aux demandes des autorités étatiques
françaises concernant l’organisation du salon EUROSATORY 2024 ; elle précise
que dès que les autorités étatiques ont pris la décision que les sociétés déclarées
comme israéliennes ne pourraient pas disposer d’un stand au sein du salon, tous les
exposants israéliens ayant loué un stand au salon EUROSATORY 2024 ont été
prévenus qu’ils ne pouvaient plus y participer ; la décision a donc été
immédiatement effective, avant la tenue du salon le 17 juin et pour toute sa durée ;
< il n’est pas possible d’interdire l’accès à des visiteurs uniquement en considération
de leur nationalité, sans que cela ne constitue le délit de discrimination ;
< outre le fait qu’aucune infraction pénale ne peut lui être imputée, le président du
tribunal statuant en référé ne peut se prononcer sur la caractérisation d’un crime
contre l’humanité, d’un crime de guerre ou d’un génocide en l’état des pièces
communiquées et des investigations en cours ;
< les mesures sollicitées par les demanderesses ne peuvent être ordonnées en ce
qu’elles sont manifestement infondées ou que leur application est impossible : elle
précise à cet égard que certaines de ces mesures ont déjà été mises en place par elle
rendant ainsi les demandes des demanderesses sans objet, d’autres mesures sont
manifestement discriminatoires et feraient courir sur la défenderesse un risque
manifeste de condamnation pénale sur le fondement des articles 225-1 et 225-2 du
code pénal, et le reste des mesures sollicitées sont inapplicables en ce qu’elles
risqueraient de causer un trouble à l’ordre public, lequel justifie qu’elles soient
rejetées dans leur ensemble.
Elle ajoute que les demanderesses reprochent en réalité à l’Etat français de ne pas mettre
en place un embargo sur les armes israéliennes.
Page 6 de 11
Conformément à l’article 446-1 du code de procédure civile, pour plus ample informé des
moyens formés par les parties à l’appui de leurs prétentions, il est renvoyé à l’assignation
introductive d’instance et aux écritures déposées et développées oralement à l’audience.
MOTIFS
1- Sur l’intervention volontaire de l’association AL-HAQ
Il convient, en application des articles 328 et suivants du code de procédure civile, de
recevoir l’intervention volontaire de l’association AL-HAQ qui se rattache aux prétentions
initiales par un lien suffisant.
2- Sur l’exception d’incompétence
En application de l’article 42 du code de procédure civile, « La juridiction territorialement
compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur ».
L’article 43 du même code dispose que « Le lieu où demeure le défendeur s’entend :
[…]
– s’il s’agit d’une personne morale, du lieu où celle-ci est établie ».
Et l’article 46 précise que « Le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du
lieu où demeure le défendeur :
[…]
– en matière délictuelle, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort
de laquelle le dommage a été subi ; ».
Enfin, s’agissant plus particulièrement de la procédure de référé, il est admis que le
demandeur puisse saisir la juridiction du lieu où est né l’incident ou celle dans le ressort
de laquelle les mesures urgentes doivent être prises.
Au cas présent, si le siège social de la société COGES est situé à Paris et que c’est dans
ce lieu que les décisions relatives au salon EUROSATORY sont prises au titre de
l’organisation du salon et des éventuelles restrictions d’accès, les mesures conservatoires
sollicitées sont appelées à être mises en oeuvre à Villepinte, lieu où se tiendra le salon.
Le tribunal judiciaire de Bobigny, dans le ressort duquel est situé Villepinte, est par
conséquent compétent.
3- Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir
L’article 122 du code de procédure civile dispose que « constitue une fin de non-recevoir
tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen
au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la
prescription, le délai préfix, la chose jugée ».
L’article 31 du même code prévoit que « L’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt
légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi
attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une
prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé ».
Et il est constant qu’une association peut agir en justice au nom d’intérêts collectifs
qu’autant que ceux-ci entrent dans son objet social.
Page 7 de 11
Au cas présent, les objets des associations demanderesses sont les suivants :
< ACTION SECURITE ETHIQUE REPUBLICAINES : surveillance des
acquisitions, des exportations, du commerce et de l’utilisation des matériels à
usage militaire de police et de sécurité, au regard du respect des droits de
l’Homme et du droit international humanitaire ; action pour le respect des
engagements internationaux souscrits par les Etats dans le domaine du commerce
des armes ;
< FRANCE PALESTINE SOLIDARITE : développement de l’amitié et la solidarité
entre le peuple français et le peuple palestinien et d’oeuvrer pour l’établissement
d’une paix juste et durable au Proche-Orient fondée sur la reconnaissance des
droits nationaux du peuple palestinien sur la base du droit international ;
< STOP FUELLING WARS : consolidation et la promotion de la paix ;
sensibilisation aux conséquences des guerres et des armements dans le monde ;
< AL-HAQ : introduction de toute action relative aux droits humains et au droit
international humanitaire.
Il en résulte que la présente action en justice, en ce qu’elle tend à interdire l’accès du salon
EUROSATORY à des entreprises, délégations et responsables politiques et militaires
israéliens dans un contexte de conflit armé dans la région de GAZA, entre dans l’objet
social de ces quatre associations.
Disposant ainsi d’un intérêt à agir, leur action est recevable.
4- Sur les demandes principales
L’article 835 alinéa 1 du code de procédure civile prévoit que le juge peut toujours, même
en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou
de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire
cesser un trouble manifestement illicite.
Le dommage imminent visé par cette disposition s’entend du dommage qui n’est pas encore
réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer.
Le trouble manifestement illicite désigne quant à lui toute perturbation résultant d’un fait
matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente
de la règle de droit.
Toutefois, la seule méconnaissance d’une réglementation n’est pas suffisante pour
caractériser l’illicéité d’un trouble.
Tant le dommage imminent que le trouble manifestement illicite s’apprécient au jour de
l’audience de plaidoiries.
En l’espèce, le ministère français des armées a publié un communiqué de presse, le 31 mai
2024, aux termes duquel il relève que les conditions ne sont plus réunies pour recevoir les
entreprises israéliennes sur le salon français, dans un contexte où le président de la
République appelle à ce que les opérations israéliennes cessent à RAFAH.
Page 8 de 11
Le tribunal constate que ce communiqué s’inscrit dans la continuité de l’ordonnance
rendue le 24 mai 2024 par la Cour internationale de Justice qui :
“Indique les mesures conservatoires suivantes :
L’État d’Israël doit, conformément aux obligations lui incombant au titre de la convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide, et au vu de la dégradation des
conditions d’existence auxquels sont soumis les civils dans le gouvernorat de Rafah :
[…]
« Arrêter immédiatement son offensive militaire, et toute autre action menée dans le
gouvernorat de Rafah, qui serait susceptible de soumettre le groupe des Palestiniens de
Gaza à des conditions d’existence capables d’entraîner sa destruction physique totale ou
partielle ».
Cette décision de la Cour internationale de Justice fait référence à la Convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948, à laquelle la France
est partie, qui dispose dans son article premier que « Les Parties contractantes confirment
que le génocide, qu’il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, est un crime
du droit des gens, qu’elles s’engagent à prévenir et à punir ».
Comme la Cour internationale de Justice l’a jugé, cette obligation de prévention d’un
crime, qui pourrait, le cas échéant, être qualifié par une autorité judiciaire compétente de
crime de génocide, incombe aux Etats parties et revêt une portée normative et un caractère
obligatoire. Elle va au-delà de la saisine des organes compétents des Nations Unies tendant
à ce que ceux-ci prennent les mesures qu’ils jugent adéquates de sorte que la seule saisine
de ces organes n’est pas de nature à décharger les Etats parties à la Convention de
l’obligation de mettre en oeuvre, chacun dans la mesure de ses capacités, les moyens
propres à prévenir la survenance d’un génocide. (CIJ, Affaire relative à l’application de
la Convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide, Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro, 26 février 2007)
A la suite du communiqué du ministère des armées, la société COGES, sous la tutelle
duquel elle est placée, indique avoir mis en oeuvre les mesures suivantes :
< confirmation à l’ensemble des exposants du salon EUROSATORY 2024, par
courrier du 31 mai 2024, qu’aucun stand de société déclarée comme israélienne ne
pourra être présent au sein du salon ;
< interdiction faite aux filiales étrangères de sociétés déclarées comme israéliennes
ayant formulé une demande d’exposition depuis le 31 mai 2024 de disposer d’un
stand propre ou d’être accueillies sur le stand d’une société non israélienne ;
< mise à jour de son site internet, sa web application dédiée au salon, son catalogue
numérisé, ainsi que de la liste des exposants et du matériel de défense et de sécurité
publiée en ligne en retirant les sociétés déclarées comme israéliennes et leurs
filiales, et ce depuis le 31 mai 2024 ;
< révision des plans pour supprimer le pavillon israélien ;
< refus d’accueil de délégations israéliennes.
Le tribunal constate que, contrairement à ce qu’affirme la société COGES, ces mesures ne
se conforment pas suffisamment à ce qui s’analyse comme une prescription
gouvernementale, laquelle proscrit la « réception » des entreprises israéliennes, sans
distinction.
Page 9 de 11
Si cette prescription concerne les sociétés israéliennes qui seraient conduites à tenir un
stand, elle vise également celles qui pourraient se rendre à ce salon en qualité de visiteurs,
qu’il s’agisse d’industriels de l’armement israéliens, de toute personne salariée ou
représentante de ces dites entreprises, ainsi que de toute personne physique ou morale
susceptible d’opérer comme leur courtier ou leur intermédiaire.
Au demeurant, le tribunal constate que le salon EUROSATORY n’accueille que des
professionnels dans les domaines de la défense et de la sécurité.
Dans ce contexte, la circonstance que la société COGES maintienne la possibilité aux
entreprises israéliennes d’armement d’accéder au salon EUROSATORY comme visiteurs,
constitue un trouble manifestement illicite, qui doit être regardé comme un manquement
à l’obligation de prévention visée par la Convention de 1948 et à la prescription du
gouvernement français.
Cette considération justifie à elle seule la mise en oeuvre de mesures conservatoires, sans
qu’il soit besoin de caractériser un dommage imminent.
Dès lors, afin de faire cesser le trouble manifestement illicite, il sera donné acte à la société
COGES des mesures déjà mises en oeuvre, qu’il lui sera enjoint de respecter, et il lui sera
également :
< interdit de permettre l’entrée au salon EUROSATORY et la participation sous
quelques formes que ce soit, des industriels de l’armement israéliens et de toute
personne salariée ou représentante des entreprises d’armement israéliens, ainsi que
de toute personne physique ou morale susceptible d’opérer comme leur courtier ou
leur intermédiaire ;
< interdit de permettre aux autres entreprises ou exposants d’accueillir sur leur stand
des représentants d’entreprises israéliennes en matière d’armement, de vendre ou
faire la promotion d’armes israéliennes ou de faciliter de quelque manière que ce
soit l’intermédiation de ces entreprises israéliennes avec les délégations présentes
au salon.
Il sera également ordonné l’affichage de la présente décision à toutes les entrées du salon,
aux frais de la société COGES.
Le contrôle du respect d’une obligation de faire ne pouvant être confiée à une partie au
litige, il sera rejeté la demande formée à ce titre.
La demande de communication de pièces, ainsi que les autres demandes, seront rejetées,
comme ne s’inscrivant pas dans les mesures strictement nécessaires à l’objet poursuivi.
5- Sur les demandes accessoires
Succombant, la société COGES sera condamnée aux dépens.
Il serait en outre inéquitable de laisser à la charge des associations ACTION SECURITE
ETHIQUE REPUBLICAINES, FRANCE PALESTINE SOLIDARITE, STOP FUELLING
WARS et AL-HAQ leurs frais de procédure non compris dans les dépens.
Page 10 de 11
PAR CES MOTIFS
Le tribunal statuant par jugement rendu en application de l’article 487 du code de
procédure civile, par mise à disposition au greffe le jour du délibéré, après débats en
audience publique, contradictoirement et en premier ressort ;
Déclare recevable l’intervention volontaire de l’association AL-HAQ ;
Rejette l’exception d’incompétence et la fin de non-recevoir tirée d’un défaut d’intérêt à
agir ;
Donne acte à la société COGES des mesures suivantes d’ores et déjà prises à l’occasion
du salon EUROSATORY 2024, qu’il lui est enjoint de respecter :
< aucun stand de société déclarée comme israélienne ne peut être présent au sein du
salon ;
< interdiction aux filiales étrangères de sociétés déclarées comme israéliennes ayant
formulé une demande d’exposition depuis le 31 mai 2024 de disposer d’un stand
propre ou d’être accueillies sur le stand d’une société non israélienne ;
< mise à jour son site internet, sa web application dédiée au salon, son catalogue
numérisé, ainsi que de la liste des exposants et du matériel de défense et de sécurité
publiée en ligne en retirant les sociétés déclarées comme israéliennes et leurs
filiales, et ce depuis le 31 mai 2024 ;
< révision des plans pour supprimer le pavillon israélien ;
< pas d’accueil de délégations israéliennes ;
Fait interdiction à la société COGES de :
• permettre l’entrée au salon EUROSATORY et la participation sous quelques
formes que ce soit, des industriels de l’armement israéliens et de toute personne
salariée ou représentante des entreprises d’armement israéliens, ainsi que de toute
personne physique ou morale susceptible d’opérer comme leur courtier ou leur
intermédiaire ;
• permettre aux autres entreprises ou exposants d’accueillir sur leur stand des
représentants d’entreprises israéliennes en matière d’armement, de vendre ou faire
la promotion d’armes israéliennes ou de faciliter de quelque manière que ce soit
l’intermédiation de ces entreprises israéliennes avec les délégations présentes au
salon ;
Ordonne l’affichage de la présente décision à toutes les entrées du salon, aux frais de la
société COGES ;
Rejette pour le surplus ;
Condamne la société COGES au paiement des dépens ;
Page 11 de 11
Condamne la société COGES à payer aux associations ACTION SECURITE ETHIQUE
REPUBLICAINES, FRANCE PALESTINE SOLIDARITE, STOP FUELLING WARS
et AL-HAQ la somme de 1.500 euros à chacune sur le fondement de l’article 700 du code
de procédure civile ;
Rappelle que la présente décision est assortie de l’exécution provisoire.
AINSI JUGÉ AU PALAIS DE JUSTICE DE BOBIGNY, LE 14 JUIN 2024.
LA GREFFIERE LE PRÉSIDENT

CAPJPO-EuroPalestine