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Eurosatory : nouvelle défaite des génocidaires, au tribunal de Bobigny

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Saisi par des associations de défense du peuple palestinien et de lutte contre les industriels de la mort, le tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis) a étendu vendredi le bannissement des entreprises israéliennes au salon de l’armement Eurosatory, qui ouvre ses portes lundi à Villepinte.

Le 31 mai dernier, l’organisateur du salon, sur injonction du gouvernement français, avait déjà annoncé l’annulation des 73 (oui 73 !) stands israéliens, ces entreprises qui expérimentent leurs engins de mort au quotidien contre la population palestinienne (en particulier celle de la bande de Gaza et plus précisément encore de Rafah depuis fin mai).

Mais le lobby israélien en France, notamment la Chambre de Commerce France-Israël, avait cru trouver la parade, et fait savoir que des représentants de l’armée ou des marchands d’armes conservaient la possibilité d’être hébergés sur le salon par des stands amis d’autres nationalités. Et d’y faire leur sanglant et juteux business comme si de rien n’était.

D’où la réplique de quatre associations, la palestinienne al-Haq, l’Association France Palestine Solidarité, Action Sécurité Éthique, et Stop Fuelling Wars, toutes représentées par notre amie M° Dominique Cochain et M° Matteo Bonaglia.

Assignant l’organisateur d’Eurosatory, la société COGES, dans le cadre d’une procédure d’urgence (puisque le salon ouvre ses portes lundi 17 juin) s’appelant un « référé d’heure à heure », les demandeurs ont dénoncé le frauduleux tour de passe-passe en voie d’être commis, et réclamé qu’il soit mis un terme à ce risque imminent de trouble grave à l’ordre public.

Le tribunal, en leur donnant raison, s’est largement appuyé sur la réalité de la tragédie en cours à Gaza, et a constaté qu’en permettant la présence d’individus ou d’entreprises israéliens liés au secteur de l’armement, la COGES, dont les activités sont régulées par l’État, manquerait à son obligation de prendre toutes mesures pour prévenir la commission d’un génocide, comme l’a ordonné depuis des mois maintenant la Cour Internationale de Justice.

L’ordonnance du tribunal de Bobigny est exécutoire, et assortie d’une condamnation de la COGES à payer 1.500 € de « frais de justice » à chacune des associations demanderesses.

Le chemin est probablement long avant que les assassins paient pour leurs crimes. Et le combat sur le terrain judiciaire, l’un des moyens de lutte pour la défense des droits du peuple palestinien, est le plus souvent semé d’embûches. Mais nos camarades ont eu raison de persévérer, et on ne peut que saluer leur victoire.

Voici maintenant le texte intégral de l’ordonnance rendue vendredi soir :

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BOBIGNY

-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-

Chambre 1/Section 5

N° du dossier : N° RG 24/01001 – N° Portalis DB3S-W-B7I-ZNYM

JUGEMENT DE RÉFÉRÉ DU 14 JUIN 2024

MINUTE N° 24/01765

—————-

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président : Monsieur Peimane GHALEH-MARZBAN, Président du Tribunal Judiciaire

de Bobigny

Assesseure : Madame Anne BELIN, Première Vice-présidente, au Tribunal Judiciaire de

Bobigny

Assesseure : Madame Mallorie PICHON, Vice-présidente, au Tribunal Judiciaire de

Bobigny

Greffière : Madame Tiaihau TEFAFANO

Après avoir entendu les parties à notre audience de référé en formation collégiale

du 13 juin 2024 avons mis l’affaire en délibéré et avons rendu ce jour à 17h00, par mise

à disposition au greffe du tribunal en application des dispositions de l’article 450 du Code

de procédure civile, la décision dont la teneur suit :

ENTRE :

L’Association AL-HAQ LAW IN THE SERVICE OF MAN, INTERVENANTE

VOLONTAIRE,

dont le siège social est sis Main Street, the Deir al-Latin (Latin Covent) Building –

RAMALLAH

représentée par Me Dominique COCHAIN ASSI, avocat au barreau de PARIS,

vestiaire : G0081, Me Matteo BONAGLIA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1292

L’Association ACTION SECURITE ETHIQUE REPUBLICAINES (ASER),

dont le siège social est sis 13 rue de Suez – 75018 PARIS

représentée par Me Dominique COCHAIN ASSI, avocat au barreau de PARIS,

vestiaire : G0081, Me Matteo BONAGLIA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1292

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L’Association FRANCE PALESTINE SOLIDARITÉ,

dont le siège social est sis 21 ter rue Voltaire – 75011 PARIS

représentée par Me Dominique COCHAIN ASSI, avocat au barreau de PARIS,

vestiaire : G0081, Me Matteo BONAGLIA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1292

L’Association STOP FUELLING WARS (SFW),

dont le siège social est sis 114bis rue de Vaugirard – 75006 PARIS

représentée par Me Dominique COCHAIN ASSI, avocat au barreau de PARIS,

vestiaire : G0081, Me Matteo BONAGLIA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1292

ET :

La Société COGES,

dont le siège social est sis 39 rue Mstislav Rostropovitch – 75017 PARIS

représentée par Maître Jean-Yves DEMAY PAJOT, avocat au barreau de PARIS,

vestiaire : R137, Maître Bérénice DE WARREN et Maître Patrick MAISONNEUVE,

avocats au barreau de Paris, vestiaire : D1568

***********************************************

EXPOSE DU LITIGE

Par acte du 7 juin 2024, les associations ACTION SECURITE ETHIQUE

REPUBLICAINES, FRANCE PALESTINE SOLIDARITE et STOP FUELLING WARS,

autorisées par ordonnance sur requête du 6 juin 2024, ont assigné à heure indiquée devant

le président de ce tribunal la société COGES notamment sur le fondement de l’article 835

du code de procédure civile aux fins qu’il lui soit ordonné, en sa qualité d’organisateur et

d’exploitant du salon EUROSATORY 2024, de respecter et de faire respecter par ses

cocontractants les mesures suivantes :

< Interdiction de toute communication relative à la présence d’armes israéliennes

ainsi qu’à la participation d’industriels israéliens, sur l’ensemble du salon ainsi que

sur l’ensemble de ses supports de communication ;

< Interdiction de participation au salon de toutes les entreprises qui présenteraient

des liens capitalistiques ou des relations d’affaires soutenues avec des entreprises

israéliennes ;

< Interdiction pour les autres entreprises ou exposants d’accueillir sur leur stand des

représentants d’entreprises israéliennes, de vendre ou faire la promotion d’armes

israéliennes ou de faciliter de quelque manière que ce soit l’intermédiation de ces

entreprises israéliennes avec les délégations présentes au salon ;

< Interdiction d’entrée et de participation sous quelques formes que ce soit au salon

des délégations israéliennes, des responsables politiques et militaires israéliens

ainsi que des industriels de l’armement israéliens et de toute personne salariée ou

représentante du gouvernement, de l’armée ou des entreprises d’armement

israéliens, ainsi que de toute personne physique ou moral susceptible d’opérer

comme leur courtier ou leur intermédiaire ;

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< Ordonner l’affichage de l’ordonnance à intervenir, aux frais de la défenderesse, à

l’entrée du salon ainsi qu’à cinq autres endroits de celui-ci et qui concentrent

l’achalandage le plus important du salon ;

< Ordonner la communication à leur égard, sous 48 heures et sous astreinte de 2.500

euros par jour de retard, de la liste de tous les exposants et des produits exposés au

salon, de toutes les personnes interdites d’accès au salon, et des badges et

invitations d’ores et déjà délivrés ou dont la délivrance interviendra d’ici à la fin

du salon EUROSATORY mentionnant l’identité, la fonction et l’entreprise de

rattachement, la justification des engagements que la société COGES aura fait

souscrire par les visiteurs d’avoir à se conformer aux interdictions énoncées ;

< Autoriser deux membres de l’association ACTION SECURITE ETHIQUE

REPUBLICAINES à circuler dans l’enceinte du salon EUROSATORY durant

toute la durée de celui-ci ainsi que dans ses annexes et évènements délocalisés afin

de s’assurer de la bonne exécution des mesures ordonnées et, en tant que de besoin,

l’autoriser à faire constater par le concours d’un commissaire de justice toute

infraction à celles-ci.

Elles sollicitent en outre la condamnation de la société COGES à leur verser à chacune la

somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre

les dépens, en ce compris les frais de signification/injonction par exploit de justice du

24 mai 2024.

L’affaire a été évoquée à l’audience du 13 juin 2024, en formation collégiale.

A l’audience, l’association AL-HAQ est intervenue volontairement en demande.

In limine litis, la société COGES demande au juge des référés de se déclarer incompétent

territorialement au profit du président du tribunal judiciaire de Paris au motif que son siège

social est situé à Paris. Elle fait valoir que les dispositions de l’article 46 du code de

procédure civile sont inapplicables s’agissant d’une action prospective et d’un dommage

qui n’est pas d’ores et déjà survenu. Elle indique que la compétence parisienne est

légitimée par le fait qu’il lui reproché une faute et que son activité est située à Paris.

Elle sollicite également du juge des référés qu’il déclare irrecevables les demandes des

associations ACTION SECURITE ETHIQUE REPUBLICAINES, FRANCE PALESTINE

SOLIDARITE et STOP FUELLING WARS de l’ensemble de leurs demandes, faute

d’intérêt à agir, du fait qu’elles ne justifient pas d’un intérêt né et actuel, au jour où leur

action est exercée.

En réplique, les associations ACTION SECURITE ETHIQUE REPUBLICAINES,

FRANCE PALESTINE SOLIDARITE, STOP FUELLING WARS et AL-HAQ font

valoir que :

< sur la compétence territoriale, les conditions générales de fonctionnement de la

société COGES ne sont pas applicables en l’espèce, et qu’il convient, pour

déterminer le juge compétent, de prendre en compte le lieu où les mesures urgentes

doivent être prises ;

< sur l’intérêt à agir, chacune des associations a, au regard de son objet social, un

intérêt à agir.

Sur le fond, les associations ACTION SECURITE ETHIQUE REPUBLICAINES,

FRANCE PALESTINE SOLIDARITE, STOP FUELLING WARS et AL-HAQ ont

maintenu les demandes formées dans l’assignation.

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Elles expliquent en substance que :

< Alors que la Cour internationale de Justice juge plausible la situation génocidaire

dans la bande de Gaza imputable à l’Etat d’Israël, que le procureur de la Cour

pénale internationale estime que la responsabilité pénale du premier ministre et du

ministre de la défense d’Israël peut être engagée pour des crimes de guerre et des

crimes contre l’humanité commis en Palestine et qu’une trentaine d’experts des

nations Unies appellent à la suspension immédiate de tous les transferts d’armes

ou de munitions vers Israël contraire au droit international humanitaire, la France

viole ses engagements internationaux en maintenant et délivrant de nouvelles

autorisations d’exportation de matériels à destination des entreprises d’armement

israéliennes ;

< Nombre d’exposants et de visiteurs conviés ou appelés à participer au salon

EUROSATORY, salon de la défense et de la sécurité, se déroulant du 17 au 21 juin

2024, apparaissent susceptibles d’être impliqués directement ou indirectement dans

la perpétration d’atteintes gravissimes de civils palestiniens, ainsi que dans la

destruction de biens à caractère civil, par la fourniture ou l’acquisition

d’armements, matériels et assimilés ;

< Si l’exécutif français a indiqué que les conditions ne sont plus réunies pour

recevoir les entreprises israéliennes sur le salon français, cette décision est

insuffisante à prévenir les risques de graves violations du droit international

inhérentes à la mise en relation sur le territoire français d’acheteurs, vendeurs,

courtiers et intermédiaires pour le compte de l’Etat Israélien dans un contexte de

crimes contre l’humanité, crimes de guerre et violations de conventions

internationales ;

< Si la société COGES a fait savoir le 31 mai 2024 qu’il n’y aura aucun stand de

l’industrie de défense israélienne sur le salon EUROSATORY 2024, cette décision

est tardive et si elle apparait conforme aux engagements internationaux de la

France, elle demeure insuffisante et incertaine s’agissant de son existence, sa

nature, sa permanence et son effectivité ; les demanderesses indiquent à cet égard

que la chambre de commerce France-Israël a indiqué que rien n’interdit aux

israéliens de visiter le salon et de faire de la veille technologique sur leurs

concurrents, et que des firmes américaines offriraient des places sur leurs stands

aux israéliens.

Elles font valoir que ces circonstances caractérisent :

< un trouble manifestement illicite résultant :

• de la violation des conditions générales de vente de la société COGES qui

conditionnent toute participation au salon EUROSATORY au respect des

engagements internationaux de la France ; les demanderesses considèrent

que l’annonce de l’annulation des participants israéliens ne suffit pas à

mettre fin au trouble, en ce qu’elle intervient après une large

communication antérieure sur la venue de ces industriels ;

• de l’assistance par fourniture de moyens que la société COGES continue

d’apporter au gouvernement israélien en lui donnant les moyens d’acquérir

armement et équipements miliaires, d’effectuer une veille concurrentielle

et de commercialiser ses propres armes ; elles expliquent que la société

COGES n’a pas interdit aux vendeurs et acheteurs israéliens d’accéder au

salon, ce qui caractérise l’infraction de complicité de crime ;

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< un dommage imminent résultant :

• d’un risque de violation des mesures décidées par l’exécutif français,

lesquelles sont au demeurant insuffisantes pour prévenir une participation

d’industriels, acheteurs intermédiaires et délégations officielles israéliennes

au salon EUROSATORY ;

• d’un risque de renforcement du pouvoir de nuire des entreprises

israéliennes en ce qu’elles pourraient exposer, à travers des exposants

américains, des armes testées au combat en Palestine, et pourraient entrer

en relation avec toute autre entreprise sur place acceptant de livrer des

armes à Israël, contournant ainsi les règles posées par l’exécutif français.

En réplique, la société COGES demande au juge des référés de :

< juger qu’il n’y a lieu à référé en l’espèce ;

< débouter les associations ACTION SECURITE ETHIQUE REPUBLICAINES,

FRANCE PALESTINE SOLIDARITE, STOP FUELLING WARS et AL-HAQ de

l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

< condamner solidairement les associations ACTION SECURITE ETHIQUE

REPUBLICAINES, FRANCE PALESTINE SOLIDARITE, STOP FUELLING

WARS et AL-HAQ à lui verser la somme de 30.000 euros au titre de l’article 700

du code de procédure civile ;

< condamner solidairement les associations ACTION SECURITE ETHIQUE

REPUBLICAINES, FRANCE PALESTINE SOLIDARITE, STOP FUELLING

WARS et AL-HAQ aux entiers dépens.

Elle expose que :

< elle organise un salon d’exposition ayant pour unique objet de présenter du

matériel de défense et de sécurité, et non la conclusion de vente d’armes ;

< elle n’a commis aucune violation de ses conditions générales de vente et s’est

conformée dans les meilleurs délais aux demandes des autorités étatiques

françaises concernant l’organisation du salon EUROSATORY 2024 ; elle précise

que dès que les autorités étatiques ont pris la décision que les sociétés déclarées

comme israéliennes ne pourraient pas disposer d’un stand au sein du salon, tous les

exposants israéliens ayant loué un stand au salon EUROSATORY 2024 ont été

prévenus qu’ils ne pouvaient plus y participer ; la décision a donc été

immédiatement effective, avant la tenue du salon le 17 juin et pour toute sa durée ;

< il n’est pas possible d’interdire l’accès à des visiteurs uniquement en considération

de leur nationalité, sans que cela ne constitue le délit de discrimination ;

< outre le fait qu’aucune infraction pénale ne peut lui être imputée, le président du

tribunal statuant en référé ne peut se prononcer sur la caractérisation d’un crime

contre l’humanité, d’un crime de guerre ou d’un génocide en l’état des pièces

communiquées et des investigations en cours ;

< les mesures sollicitées par les demanderesses ne peuvent être ordonnées en ce

qu’elles sont manifestement infondées ou que leur application est impossible : elle

précise à cet égard que certaines de ces mesures ont déjà été mises en place par elle

rendant ainsi les demandes des demanderesses sans objet, d’autres mesures sont

manifestement discriminatoires et feraient courir sur la défenderesse un risque

manifeste de condamnation pénale sur le fondement des articles 225-1 et 225-2 du

code pénal, et le reste des mesures sollicitées sont inapplicables en ce qu’elles

risqueraient de causer un trouble à l’ordre public, lequel justifie qu’elles soient

rejetées dans leur ensemble.

Elle ajoute que les demanderesses reprochent en réalité à l’Etat français de ne pas mettre

en place un embargo sur les armes israéliennes.

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Conformément à l’article 446-1 du code de procédure civile, pour plus ample informé des

moyens formés par les parties à l’appui de leurs prétentions, il est renvoyé à l’assignation

introductive d’instance et aux écritures déposées et développées oralement à l’audience.

MOTIFS

1- Sur l’intervention volontaire de l’association AL-HAQ

Il convient, en application des articles 328 et suivants du code de procédure civile, de

recevoir l’intervention volontaire de l’association AL-HAQ qui se rattache aux prétentions

initiales par un lien suffisant.

2- Sur l’exception d’incompétence

En application de l’article 42 du code de procédure civile, « La juridiction territorialement

compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur ».

L’article 43 du même code dispose que « Le lieu où demeure le défendeur s’entend :

[…]

– s’il s’agit d’une personne morale, du lieu où celle-ci est établie ».

Et l’article 46 précise que « Le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du

lieu où demeure le défendeur :

[…]

– en matière délictuelle, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort

de laquelle le dommage a été subi ; ».

Enfin, s’agissant plus particulièrement de la procédure de référé, il est admis que le

demandeur puisse saisir la juridiction du lieu où est né l’incident ou celle dans le ressort

de laquelle les mesures urgentes doivent être prises.

Au cas présent, si le siège social de la société COGES est situé à Paris et que c’est dans

ce lieu que les décisions relatives au salon EUROSATORY sont prises au titre de

l’organisation du salon et des éventuelles restrictions d’accès, les mesures conservatoires

sollicitées sont appelées à être mises en oeuvre à Villepinte, lieu où se tiendra le salon.

Le tribunal judiciaire de Bobigny, dans le ressort duquel est situé Villepinte, est par

conséquent compétent.

3- Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir

L’article 122 du code de procédure civile dispose que « constitue une fin de non-recevoir

tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen

au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la

prescription, le délai préfix, la chose jugée ».

L’article 31 du même code prévoit que « L’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt

légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi

attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une

prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé ».

Et il est constant qu’une association peut agir en justice au nom d’intérêts collectifs

qu’autant que ceux-ci entrent dans son objet social.

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Au cas présent, les objets des associations demanderesses sont les suivants :

< ACTION SECURITE ETHIQUE REPUBLICAINES : surveillance des

acquisitions, des exportations, du commerce et de l’utilisation des matériels à

usage militaire de police et de sécurité, au regard du respect des droits de

l’Homme et du droit international humanitaire ; action pour le respect des

engagements internationaux souscrits par les Etats dans le domaine du commerce

des armes ;

< FRANCE PALESTINE SOLIDARITE : développement de l’amitié et la solidarité

entre le peuple français et le peuple palestinien et d’oeuvrer pour l’établissement

d’une paix juste et durable au Proche-Orient fondée sur la reconnaissance des

droits nationaux du peuple palestinien sur la base du droit international ;

< STOP FUELLING WARS : consolidation et la promotion de la paix ;

sensibilisation aux conséquences des guerres et des armements dans le monde ;

< AL-HAQ : introduction de toute action relative aux droits humains et au droit

international humanitaire.

Il en résulte que la présente action en justice, en ce qu’elle tend à interdire l’accès du salon

EUROSATORY à des entreprises, délégations et responsables politiques et militaires

israéliens dans un contexte de conflit armé dans la région de GAZA, entre dans l’objet

social de ces quatre associations.

Disposant ainsi d’un intérêt à agir, leur action est recevable.

4- Sur les demandes principales

L’article 835 alinéa 1 du code de procédure civile prévoit que le juge peut toujours, même

en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou

de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire

cesser un trouble manifestement illicite.

Le dommage imminent visé par cette disposition s’entend du dommage qui n’est pas encore

réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer.

Le trouble manifestement illicite désigne quant à lui toute perturbation résultant d’un fait

matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente

de la règle de droit.

Toutefois, la seule méconnaissance d’une réglementation n’est pas suffisante pour

caractériser l’illicéité d’un trouble.

Tant le dommage imminent que le trouble manifestement illicite s’apprécient au jour de

l’audience de plaidoiries.

En l’espèce, le ministère français des armées a publié un communiqué de presse, le 31 mai

2024, aux termes duquel il relève que les conditions ne sont plus réunies pour recevoir les

entreprises israéliennes sur le salon français, dans un contexte où le président de la

République appelle à ce que les opérations israéliennes cessent à RAFAH.

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Le tribunal constate que ce communiqué s’inscrit dans la continuité de l’ordonnance

rendue le 24 mai 2024 par la Cour internationale de Justice qui :

“Indique les mesures conservatoires suivantes :

L’État d’Israël doit, conformément aux obligations lui incombant au titre de la convention

pour la prévention et la répression du crime de génocide, et au vu de la dégradation des

conditions d’existence auxquels sont soumis les civils dans le gouvernorat de Rafah :

[…]

« Arrêter immédiatement son offensive militaire, et toute autre action menée dans le

gouvernorat de Rafah, qui serait susceptible de soumettre le groupe des Palestiniens de

Gaza à des conditions d’existence capables d’entraîner sa destruction physique totale ou

partielle ».

Cette décision de la Cour internationale de Justice fait référence à la Convention pour la

prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948, à laquelle la France

est partie, qui dispose dans son article premier que « Les Parties contractantes confirment

que le génocide, qu’il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, est un crime

du droit des gens, qu’elles s’engagent à prévenir et à punir ».

Comme la Cour internationale de Justice l’a jugé, cette obligation de prévention d’un

crime, qui pourrait, le cas échéant, être qualifié par une autorité judiciaire compétente de

crime de génocide, incombe aux Etats parties et revêt une portée normative et un caractère

obligatoire. Elle va au-delà de la saisine des organes compétents des Nations Unies tendant

à ce que ceux-ci prennent les mesures qu’ils jugent adéquates de sorte que la seule saisine

de ces organes n’est pas de nature à décharger les Etats parties à la Convention de

l’obligation de mettre en oeuvre, chacun dans la mesure de ses capacités, les moyens

propres à prévenir la survenance d’un génocide. (CIJ, Affaire relative à l’application de

la Convention pour la prévention et la répression du crime de

génocide, Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro, 26 février 2007)

A la suite du communiqué du ministère des armées, la société COGES, sous la tutelle

duquel elle est placée, indique avoir mis en oeuvre les mesures suivantes :

< confirmation à l’ensemble des exposants du salon EUROSATORY 2024, par

courrier du 31 mai 2024, qu’aucun stand de société déclarée comme israélienne ne

pourra être présent au sein du salon ;

< interdiction faite aux filiales étrangères de sociétés déclarées comme israéliennes

ayant formulé une demande d’exposition depuis le 31 mai 2024 de disposer d’un

stand propre ou d’être accueillies sur le stand d’une société non israélienne ;

< mise à jour de son site internet, sa web application dédiée au salon, son catalogue

numérisé, ainsi que de la liste des exposants et du matériel de défense et de sécurité

publiée en ligne en retirant les sociétés déclarées comme israéliennes et leurs

filiales, et ce depuis le 31 mai 2024 ;

< révision des plans pour supprimer le pavillon israélien ;

< refus d’accueil de délégations israéliennes.

Le tribunal constate que, contrairement à ce qu’affirme la société COGES, ces mesures ne

se conforment pas suffisamment à ce qui s’analyse comme une prescription

gouvernementale, laquelle proscrit la « réception » des entreprises israéliennes, sans

distinction.

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Si cette prescription concerne les sociétés israéliennes qui seraient conduites à tenir un

stand, elle vise également celles qui pourraient se rendre à ce salon en qualité de visiteurs,

qu’il s’agisse d’industriels de l’armement israéliens, de toute personne salariée ou

représentante de ces dites entreprises, ainsi que de toute personne physique ou morale

susceptible d’opérer comme leur courtier ou leur intermédiaire.

Au demeurant, le tribunal constate que le salon EUROSATORY n’accueille que des

professionnels dans les domaines de la défense et de la sécurité.

Dans ce contexte, la circonstance que la société COGES maintienne la possibilité aux

entreprises israéliennes d’armement d’accéder au salon EUROSATORY comme visiteurs,

constitue un trouble manifestement illicite, qui doit être regardé comme un manquement

à l’obligation de prévention visée par la Convention de 1948 et à la prescription du

gouvernement français.

Cette considération justifie à elle seule la mise en oeuvre de mesures conservatoires, sans

qu’il soit besoin de caractériser un dommage imminent.

Dès lors, afin de faire cesser le trouble manifestement illicite, il sera donné acte à la société

COGES des mesures déjà mises en oeuvre, qu’il lui sera enjoint de respecter, et il lui sera

également :

< interdit de permettre l’entrée au salon EUROSATORY et la participation sous

quelques formes que ce soit, des industriels de l’armement israéliens et de toute

personne salariée ou représentante des entreprises d’armement israéliens, ainsi que

de toute personne physique ou morale susceptible d’opérer comme leur courtier ou

leur intermédiaire ;

< interdit de permettre aux autres entreprises ou exposants d’accueillir sur leur stand

des représentants d’entreprises israéliennes en matière d’armement, de vendre ou

faire la promotion d’armes israéliennes ou de faciliter de quelque manière que ce

soit l’intermédiation de ces entreprises israéliennes avec les délégations présentes

au salon.

Il sera également ordonné l’affichage de la présente décision à toutes les entrées du salon,

aux frais de la société COGES.

Le contrôle du respect d’une obligation de faire ne pouvant être confiée à une partie au

litige, il sera rejeté la demande formée à ce titre.

La demande de communication de pièces, ainsi que les autres demandes, seront rejetées,

comme ne s’inscrivant pas dans les mesures strictement nécessaires à l’objet poursuivi.

5- Sur les demandes accessoires

Succombant, la société COGES sera condamnée aux dépens.

Il serait en outre inéquitable de laisser à la charge des associations ACTION SECURITE

ETHIQUE REPUBLICAINES, FRANCE PALESTINE SOLIDARITE, STOP FUELLING

WARS et AL-HAQ leurs frais de procédure non compris dans les dépens.

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PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant par jugement rendu en application de l’article 487 du code de

procédure civile, par mise à disposition au greffe le jour du délibéré, après débats en

audience publique, contradictoirement et en premier ressort ;

Déclare recevable l’intervention volontaire de l’association AL-HAQ ;

Rejette l’exception d’incompétence et la fin de non-recevoir tirée d’un défaut d’intérêt à

agir ;

Donne acte à la société COGES des mesures suivantes d’ores et déjà prises à l’occasion

du salon EUROSATORY 2024, qu’il lui est enjoint de respecter :

< aucun stand de société déclarée comme israélienne ne peut être présent au sein du

salon ;

< interdiction aux filiales étrangères de sociétés déclarées comme israéliennes ayant

formulé une demande d’exposition depuis le 31 mai 2024 de disposer d’un stand

propre ou d’être accueillies sur le stand d’une société non israélienne ;

< mise à jour son site internet, sa web application dédiée au salon, son catalogue

numérisé, ainsi que de la liste des exposants et du matériel de défense et de sécurité

publiée en ligne en retirant les sociétés déclarées comme israéliennes et leurs

filiales, et ce depuis le 31 mai 2024 ;

< révision des plans pour supprimer le pavillon israélien ;

< pas d’accueil de délégations israéliennes ;

Fait interdiction à la société COGES de :

• permettre l’entrée au salon EUROSATORY et la participation sous quelques

formes que ce soit, des industriels de l’armement israéliens et de toute personne

salariée ou représentante des entreprises d’armement israéliens, ainsi que de toute

personne physique ou morale susceptible d’opérer comme leur courtier ou leur

intermédiaire ;

• permettre aux autres entreprises ou exposants d’accueillir sur leur stand des

représentants d’entreprises israéliennes en matière d’armement, de vendre ou faire

la promotion d’armes israéliennes ou de faciliter de quelque manière que ce soit

l’intermédiation de ces entreprises israéliennes avec les délégations présentes au

salon ;

Ordonne l’affichage de la présente décision à toutes les entrées du salon, aux frais de la

société COGES ;

Rejette pour le surplus ;

Condamne la société COGES au paiement des dépens ;

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Condamne la société COGES à payer aux associations ACTION SECURITE ETHIQUE

REPUBLICAINES, FRANCE PALESTINE SOLIDARITE, STOP FUELLING WARS

et AL-HAQ la somme de 1.500 euros à chacune sur le fondement de l’article 700 du code

de procédure civile ;

Rappelle que la présente décision est assortie de l’exécution provisoire.

AINSI JUGÉ AU PALAIS DE JUSTICE DE BOBIGNY, LE 14 JUIN 2024.

LA GREFFIERE LE PRÉSIDENT

CAPJPO-EuroPalestine

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