Olivier Le Cour Grandmaison, politologue et historien, spécialiste des questions relatives à l’Histoire coloniale et notamment de l’Algérie, estime que «les extrêmes-droites, les Républicains rêvent de prendre une revanche politique sur l’Algérie».
Il s’explique dans un entretien réalisé par Karima Dehiles (Horizons)
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KD : Quelles sont les raisons des blocages enregistrés dans l’avancement sur le dossier de la mémoire entre l’Algérie et la France?
Du côté français, les «petits pas» du Président n’avaient d’autre but que d’éviter d’engager l’État dans la reconnaissance des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis par la France en Algérie.
N’oublions pas la dernière guerre menée par les moyens que l’on sait: déportation massive des populations, torture, exécutions sommaires et disparitions forcées. En lieu et place de leur reconnaissance, le chef de l’État
s’en est tenu à quelques cas individuels, français ou algériens.
Les raisons de cette pusillanimité? Éviter de s’aliéner un électorat de droite hostile à cette reconnaissance et ne pas s’exposer aux critiques des extrêmes-droites et des droites de gouvernement. Depuis la loi scélérate du 23 février 2005, relative à l’œuvre prétendument accomplie par la France en Algérie, ces dernières répètent que la colonisation a été bénéfique aux autochtones.
KD : Pensez-vous que la situation va s’apaiser entre les 2 pays ou au contraire va-t-elle s’aggraver surtout avec les déclarations des uns et des autres notamment celles de l’extrême-droite à propos de l’Algérie?
Les extrêmes-droites, les Républicains, et le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, rêvent de prendre une revanche politique sur l’Algérie car les unes et les autres n’ont jamais accepté la défaite infligée par le FLN à la
France. De là, cette volonté de remettre en cause les accords de 1968, déjà passablement vidés de leur substance, et de restreindre plus encore la possibilité, pour les Algériens, de venir en France. Le tout est présenté comme
une nécessité intéressant la défense de l’ordre public et la lutte contre «la submersion migratoire».
Ces propos du premier ministre, François Bayrou, attestent l’extrême-droitisation des partis de gouvernement qui sont prêts aux pires compromissions pour rester au pouvoir. À court terme, cela augure mal d’une amélioration des relations avec l’Algérie.
KD : Vous avez entrepris des démarches en France pour la reconnaissance des massacres du 8 mai 1945. Un commentaire.
L’année 2025 est une année particulière puisqu’elle est celle du 80e anniversaire des massacres de Sétif, Guelma et Kherrata. Massacres qui ont débuté le 8 mai 1945 et qui se sont achevés au début de l’été après avoir fait environ 30.000 à 35.000 victimes civiles algériennes. Pour la France, il s’agissait de signifier aux Algériens qu’aucune revendication d’indépendance ne serait tolérée. Au-delà de l’Algérie, l’objectif était aussi d’envoyer un «message» aux autres colonisés en leur faisant comprendre qu’en s’engageant dans une voie similaire, ils seraient eux aussi très durement frappés.
Après le succès du colloque, qui s’est tenu à l’Assemblée nationale le 8 février dernier, colloque qui a réuni des historiens français et algériens, et des responsables politiques et associatifs, il s’agit, grâce à un appel unitaire déjà signé par des centaines de personnes et d’élus, d’exiger la reconnaissance par les pouvoirs publics de ces massacres comme crime d’État et crime contre l’humanité. De plus, à l’occasion des commémorations officielles du 8 mai 2025, nous souhaitons que les élus rappellent enfin ce qu’il s’est passé outre Méditerranée, rendent
hommage aux victimes algériennes et joignent leur voix à cette exigence de justice et de vérité.
KD : Vous évoquez dans vos interventions « un Racisme d’État en France« , pouvez-vous nous en dire plus?
J’ai traité de ces questions dans l’ouvrage: Racismes d’État, États racistes. Une brève histoire paru aux éditions Amsterdam en 2024. Deux exemples illustrent ces réalités. Le premier concerne les contrôles au faciès dont sont victimes les jeunes hommes racisés des quartiers populaires.
Malgré deux condamnations de l’État pour «faute lourde», par la Cour de cassation en 2016 puis par la Cour d’appel de Paris en 2021, cette politique raciste continue d’être mise en œuvre. Le second exemple est relatif aux réfugiés. Ukrainiens donc Européens, ils ont été accueillis et ont pu résider en France, y travailler légalement, bénéficier de cours de langue et leurs enfants être scolarisés et soutenus, ce qui est parfaitement juste et légitime.
Dans le même temps, en 2024, le gouvernement et le ministre de l’Intérieur de l’époque, Gérald Darmanin, élaboraient la énième «asile-immigration» destinée à durcir plus encore les conditions d’entrée et de séjour des exilés des Sud. Racisme d’État donc fondé sur l’opinion que ces exilés, en raison des caractéristiques culturelles et religieuses qui leur sont imputées, constituent des menaces pour l’ordre public, l’unité et l’identité de la France, comme le répètent le Rassemblement national, les Républicains et l’actuel gouvernement. »
Par Karima Dehiles
CAPJPO-Europalestine