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Gaza : l’histoire incroyable mais vraie du sauvetage des archives de l’UNRWA

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L’envoyée spéciale du Monde en Jordanie, Laure Stephan, raconte dans le quotidien français comment les documents attestant du statut de réfugiés de centaines de milliers de Palestiniens ont été sortis de l’enclave en secret, au début de la guerre, et mis à l’abri en Jordanie.

Nous reproduisons ci-dessous de larges extraits de cet article, qui montre une fois encore comment Israël aimerait effacer, en vain, toute trace de l’existence des Palestiniens.

« C’est une opération de sauvetage aux allures de film d’action, écrit Le Monde. L’intrigue se déroule entre Gaza, sous les bombes, et Amman, paisible capitale arabe, en passant par le désert du Sinaï. Les protagonistes : une poignée d’employés palestiniens et internationaux de l’UNRWA, l’agence des Nations unies chargée des réfugiés palestiniens, secondés par des pilotes de l’armée jordanienne.

Lors de la numérisation des dossiers des familles de réfugiés palestiniens, dans les bureaux de l’UNRWA, à Amman, en janvier. SHAFIQ FAHED/UNRWA

Le temps est compté. Leur mission est secrète. Ils doivent amener en lieu sûr ce qui pourrait ressembler à de vieux papiers, mais qui constitue des documents d’une immense valeur historique et politique : les fiches d’enregistrement familiales des réfugiés de Gaza.

Une partie a été établie peu après le drame originel, la Nakba, lorsque plus de la moitié de la population palestinienne (750 000 personnes sur 1,2 million) est chassée de sa terre à la création de l’Etat d’Israël, en 1948.

Utilisées à des fins administratives, ces archives documentent les circonstances de la tragédie : les noms de localités palestiniennes vidées de leurs habitants, les actes de violence, les déplacements… Ce sont les pièces à conviction de cette histoire dramatique. Elles prouvent le statut de « réfugié de Palestine » octroyé aux expulsés de 1948 et à leurs descendants. Leur disparition aurait rendu impossible pour l’UNRWA, en service depuis 1950, de démontrer le lien des générations actuelles avec celles des victimes de l’exode forcé. A Gaza, le sujet est capital : près de 70 % de la population est réfugiée, donc originaire d’autres lieux de la Palestine historique.

La sortie rocambolesque de ces archives, que Le Monde retrace en exclusivité, est indissociable de l’anéantissement de l’enclave côtière sous les frappes israéliennes et des efforts de l’Etat hébreu pour liquider l’UNRWA.

Tout commence le 12 octobre 2023, cinq jours après le début du conflit, quand l’UNRWA évacue ses locaux de la ville de Gaza en catastrophe après d’intenses bombardements aux alentours. La zone est sous ordre d’évacuation israélien. Les bureaux de l’agence sont relocalisés dans le sud de l’enclave, à Rafah, près de la frontière égyptienne.

Dans la précipitation du départ, de nombreux équipements, comme des téléphones satellites, sont abandonnés sur place. Les archives familiales, dont seule une partie a été numérisée, sont laissées dans des armoires. Elles pourraient disparaître dans une frappe ou des combats, être utilisées par mégarde comme combustible si des déplacés venaient à s’installer sur place…

A cette époque, l’UNRWA et l’Etat hébreu communiquent encore l’un avec l’autre. Les contacts seront interdits par une loi israélienne entrée en vigueur en janvier 2025. La coordination avec la partie israélienne est réduite à la sécurité du convoi. Le caractère sensible des documents évacués n’est pas révélé.

L’UNRWA est la cible, depuis des années, d’une cabale politique orchestrée par la droite israélienne. Celle-ci souhaite faire disparaître le statut de réfugié et en finir ainsi avec la question du droit au retour stipulé par la résolution 194 des Nations unies, votée en 1948.

Dans la deuxième quinzaine d’octobre 2023, une équipe réduite se rend donc à Rimal. « Il y avait le son des bombardements au loin », se rappelle Nasser. Et celui des drones. La menace d’une offensive terrestre israélienne plane sur Gaza. Il faut faire vite. Trois premiers camions sont remplis d’archives. La route vers Rafah est endommagée par les frappes, mais elle est encore ouverte. Nasser et ses coéquipiers font deux autres allers- retours dans les jours qui suivent. Juste à temps. Le 27 octobre, les blindés israéliens pénètrent dans le nord du territoire. Le quartier général de l’UNRWA – l’un des deux de l’agence, avec celui d’Amman – devient hors de portée.

A Rafah, les archives familiales sont stockées dans un entrepôt. Le bâtiment sera touché lors d’un bombardement en mars 2024. Un employé tué, d’autres blessés. En vingt et un mois de guerre, plus de 300 installations de l’agence ont été endommagées ou détruites et plus de 320 de ses salariés ont été tués. Parmi eux, Khalil, l’un des 35 employés du service d’enregistrement et d’archives.

La direction a un scénario en tête : faire sortir les documents par camions, via l’Egypte. Mais Le Caire s’y refuse, à moins d’une coordination avec les autorités israéliennes. Pendant six mois, à partir de novembre 2023, les fiches familiales sont glissées par petits lots dans les bagages de ses employés internationaux quittant Gaza, à l’abri des regards égyptiens. « Pour nous, habitants de Gaza, il est très difficile de voyager », indique Nasser. Seuls trois ou quatre membres du personnel local sont dans la confidence.

De l’autre côté de la frontière, à El-Arich, dans le Sinaï égyptien, l’armée de l’air jordanienne dépose des cargaisons d’aide humanitaire collectées par l’Organisation caritative hachémite de Jordanie et destinées à Gaza. Les archives sont chargées sur les vols retour vers Amman, où se trouve désormais le seul siège opérationnel de l’UNRWA. Le royaume jordanien est un fervent défenseur de l’agence. Il reste à ses côtés lorsque, en janvier 2024, douze des 13 000 employés de l’organisation onusienne à Gaza sont accusés par Israël, sans fournir de preuves, d’avoir participé à l’attaque du 7-Octobre.

En avril 2024, les chars israéliens approchent de Rafah. Les ultimes documents sont sortis à la hâte. Le dernier vol militaire jordanien à contenir des archives de l’UNRWA atterrit près d’Amman le 21 avril. Les équipes de l’UNRWA déplient, émus, les documents venus de Gaza. Le 6 mai, l’armée israélienne investit Rafah. La frontière avec l’Egypte devient infranchissable.

Toutes les archives des réfugiés n’ont pas pu être évacuées : des copies de passeports datant du mandat britannique (1923-1948) et de titres de propriété sont restées dans l’enclave, mais ils avaient été numérisés avant la guerre. L’état du stock de photos, en grande partie numérisées, est inconnu. Des archives institutionnelles, comme des correspondances, qui n’étaient pas scannées, ont probablement été détruites.

A Amman, les archives des familles de Gaza ont été numérisées, de même que celles des réfugiés de Cisjordanie occupée, qui ont, elles aussi, discrètement, quitté les bureaux de l’agence à Jérusalem-Est. Leur préservation est une victoire dans le combat pour la protection des droits des réfugiés et de leur mémoire. L’exploitation de ces documents permettra un jour de retracer l’histoire des villages palestiniens rasés en 1948.

Mais ce succès a un goût amer : les preuves de l’expulsion des réfugiés de Gaza et de Cisjordanie ne sont plus abritées sur le sol palestinien. Et l’offensive israélienne contre l’UNRWA se poursuit. L’agence a été décrétée indésirable en Israël. Ses bureaux à Jérusalem-Est ont été fermés. Trois camps de réfugiés dans le nord de la Cisjordanie ont été détruits. Le devenir de l’agence n’a jamais été aussi incertain. »

Source le Monde du 23 juillet

CAPJPO-Europalestine

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