« Le ministère de l’enseignement supérieur a commandé un sondage sur le rapport à l’antisémitisme de ses agents. Une partie des syndicats dénonce un « recensement » politique. Selon nos informations, les présidences d’université viennent d’informer le ministère qu’elles ne relayeront pas le questionnaire », révèle Médiapart, dans un article dont nous donnons plusieurs extraits.

L’affaire du Collège de France, ne lui suffit pas. Le ministère a demandé, aux président·es d’établissement de faire remplir un long questionnaire sur l’antisémitisme à l’intégralité des personnels (enseignant, administratif ou technique) universitaires.
« Nous vous remercions par avance pour votre concours à cette démarche d’intérêt général, qui vise à mieux comprendre et prévenir les manifestations d’antisémitisme dans notre communauté académique », indique le courrier électronique, rédigé par direction générale de la recherche et de l’innovation (DGRI) du ministère de l’enseignement supérieur.
Ledit formulaire de 44 pages a rapidement suscité critiques et interrogations. Dans un communiqué diffusé dimanche, le premier syndicat des enseignants-chercheurs du supérieur (Snesup-FSU) ne mâche pas ses mots sur ce qu’il qualifie de « mascarade scientifique ». Le syndicat « exige que le ministre renonce à la passation de ce questionnaire » et« appelle les présidents d’université à ne pas se faire les courroies de transmission du ministère et à ne pas diffuser ce sondage ».
Le sondage a été construit en deux grandes parties. La première mélange de nombreuses questions sur l’adhésion des sondé·es à certains stéréotypes liés aux personnes juives, demande leur avis sur la responsabilité de chaque principal parti politique français dans « la montée de l’antisémitisme en France » ou encore demande aux répondant·es si elles et ils seraient prêts « à descendre dans la rue pour manifester contre l’antisémitisme ». Il est impossible de passer une question ou d’indiquer « ne se prononce pas ».
« On trouve des questions un peu louches, qui ne donnent pas confiance dans le traitement médiatique possible qui pourrait en être fait », constate Clément Lafargue, qui occupe depuis dix-huit mois le poste de « référent chargé des discriminations et violences racistes et antisémites » à l’École normale supérieure de Paris-Saclay.
À la 24e page, on lit par exemple la question : « Quand vous pensez à la situation d’Israël, de laquelle des deux opinions suivantes êtes-vous le plus proche ? » L’institut ne propose que deux réponses, entre lesquelles les sondé·es sont obligé·es de choisir : « Israël est un pays puissant qui mène une politique agressive vis-à-vis de ses voisins » et « Israël est un petit pays qui se défend contre des pays voisins dont certains souhaitent le détruire ». Impossible de passer la question ou de nuancer les propositions.
Une autre question – « D’après vous, chacun des phénomènes suivants est-il répandu ou non dans votre établissement ? » – met aussi sur le même plan « détestation d’Israël », « affichage de son soutien à la cause palestinienne », « affichage de son soutien au Hamas » et « haine des sionistes ». Une « confusion dangereuse », estime sur le réseau X Nicolas Cadène, ancien rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité.
Un élément a également été partagé – et moqué – sur les réseaux sociaux, après que le journaliste Stéphane Foucart du Monde l’a diffusé sur Bluesky : les sondé·es sont invité·es à se classer « politiquement » sur une échelle d’une couleur passant du rouge au vert, le 0 étant « très à gauche » et le 10 « très à droite ». Cette question est la seule à bénéficier d’une case « vous ne savez pas ».
La deuxième partie du sondage, plus d’une quinzaine de pages, vise à recueillir un maximum d’information sur le personnel de l’université interrogé, âge, genre, code postal, académie, type de poste – qui rendent aisée l’identification de certain·es répondant·es. « Le questionnaire collecte des données sensibles et identifiantes, ce qui pose un risque majeur en termes de protection des données personnelles », précise le collectif, qui ajoute que « l’envoi d’un questionnaire politique à des agents du service public est une première : il viole le principe de neutralité institutionnelle ».
Pour Emmanuel de Lescure, secrétaire général du syndicat Snesup-FSU, la méthode choisie est en effet problématique : « Ce qui est gênant, voire illégal, c’est le fait qu’un supérieur hiérarchique demande à ses subordonnés de remplir un questionnaire qui permet de savoir quelles sont ses opinions politiques et religieuses. Ce n’est pas un sondage, c’est un recensement ! »
Clément Lafargue s’interroge par ailleurs sur la manière dont le questionnaire a été envoyé à toutes les universités. D’ordinaire, lorsque le ministère de l’enseignement supérieur doit faire circuler des informations sur ces thématiques, il utilise une boîte mail « discrimination » globale pour contacter d’un coup les référent·es de toute la France. Mais cette fois-ci, le ministère est passé directement au niveau des présidences. « J’ai répondu à mon directeur général des services que je ne transmettrai pas ça, et que je le décourageais de le faire », indique le référent.
Autre détail qui n’a pas échappé à certain·es récipiendaires : le lien du questionnaire est un formulaire hébergé par Google, une entreprise américaine dont les serveurs sont en dehors du territoire français, soit « sur un cloud non souverain, ce qui expose les informations sensibles à des risques d’accès par des acteurs étrangers », souligne RogueESR.
Dernière limite : aucun identifiant n’est demandé. Cela signifie, comme Mediapart en a fait le constat, que n’importe qui disposant du lien Google peut y répondre, et ce, autant de fois qu’il ou elle le souhaiterait.
Par Mathilde GoanecetMarie Turcan
CAPJPO-Europalestine


