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PALESTINE : LE PREMIER DESASTRE, C’EST LE BOUCLAGE

par Amira Hass

Quand le directeur general du Ministere des Finances palestinien, Ataf
Alaune, est retourne a son bureau le 21 avril, quelques heures apres que
l’armee se soit retiree de Ramallah, il s’est apercu qu’en plus des disques
durs de ses ordinateurs, les soldats avaient aussi emporte tous les livres,
les rapports, et les etudes qui se trouvaient dans sa bibliotheque.


Seul
restait un unique document, long de 133 pages. Date du 18 mars 2002, il
s’intitule : « 15 mois d’intifada, de blocus, et de crise economique en
Palestine : une evaluation » et il est realise par la Banque Mondiale.

Ce travail avait ete effectue parce que vers la deuxieme moitie de l’annee
2001, les pays financant l’Autorite palestinienne voulaient avoir, deja a
l’epoque, une estimation des dommages economiques causes par 15 mois
d’intifada, afin de reajuster leurs dons a l’Autorite palestinienne pour sa
rehabilitation. Les premieres evaluations estimaient que la situation se
stabiliserait et s’ameliorerait, et on s’attendait a un rapport rapide. Au
lieu de cela, a cause de la deterioration des conditions de securite, et du
durcissement du blocus et du siege autour de toutes les localites de
Cisjordanie, l’etude a pris de l’ampleur pour devenir un plan de travail, se
fondant sur trois scenarios :
1. Poursuite des blocus et des restrictions a la liberte de circulation des
hommes et des marchandises.
2. Progres politique, conduisant a une liberte de circulation et a la levee
des blocus.
3. Un scenario pessimiste, ou les hostilites militaires s’intensifiaient
encore, et impliquant des restrictions encore plus severes de la liberte de
circulation des hommes et des marchandises.

Chaque scenario evoquait un plafond, celui de l’argent necessaire ­ de 2,1
milliards de $ a 2,7 milliards de $.
Un quatrieme scenario, « l’Autorite s’effondre », est decrit separement. Ce
scenario exigerait un changement total du mode d’aide aux Palestiniens, qui
passerait d’une rehabilitation a une aide d’urgence humanitaire qui, en
l’absence d’institutions gouvernementales, serait alors reduite.

Le rapport fut termine a la mi-mars, soit deux semaines avant l’attentat au
Park Hotel et l’operation militaire a Ramallah et dans six autres villes de
Cisjordanie. Des economistes palestiniens et etrangers, ainsi que des
chercheurs, y ont travaille, et il est signe de deux hauts fonctionnaires de
la Banque Mondiale, Sebastien Dessus et Nigel Roberts, ce dernier ayant
represente la Banque Mondiale en Israel pendant ces 11 derniers mois.

La destruction silencieuse

Au cours d’un entretien avec Haaretz le 27 mars, Roberts esperait encore que
le scenario optimiste (progres politique + calme) etait realisable. Mais le
lendemain, la nuit du Seder (Paque juive, ndt), 29 personnes furent tuees
lors du massacre du Park Hotel, et le 29 mars, Tsahal lanca son Operation
Rempart qui allait durer un mois. Le 9 mai, dans une autre interview
accordee a Haaretz, Roberts disait que le siege des villes palestiniennes,
qui etait alors encore durci, requerrait des pays donateurs d’envisager une
aide de 2 milliards de $ et non de 1,7 milliards de $, comme il etait
envisage dans le « scenario pessimiste ». Dans le meme entretien, Roberts
repetait quatre axiomes qui etaient devenus evidents pendant la preparation
et l’ecriture du rapport :
1. Les dommages subis par l’economie palestinienne du fait des blocus et des
sieges sont constitues de bien davantage que des dommages physiques
entraines par les operations militaires, y compris l’Operation Rempart. Au
cours des 15 premiers mois de l’intifada, d’octobre 2000 a decembre 2001,
les dommages physiques causes aux infrastructures et aux institutions
palestiniennes ont ete estimes a 503 millions de $. La semaine derniere, il
a ete pubmie une estimation de 360 millions de $, concernant les dommages
physiques resultant des actions militaires de mars et d’avril derniers. Mais
au cours des 15 premiers mois de l’intifada, au moins 2,4 milliards de $ ont
ete perdus par l’economie palestinienne , en termes de revenu interieur
brut, a cause des restrictions de circulation imposees par Israel aux
Palestiniens, dans, et hors des territoires. Roberts, un Britannique en
general prudent dans ses formulations, qualifie la politique de blocus de
« destruction silencieuse ».
2. Le public palestinien s’est montre particulierement resistant face aux
chocs causes par le desastre economique. La gestion par les Palestiniens des
enormes difficultes economiques et sociales se caracterise par un soutien
intra-communautaire, le resserrement des liens familiaux et une entraide
mutuelle d’une ampleur inconnue dans les pays occidentaux developpes.
Roberts est convaincu que les societes occidentales developpees se seraient
effondrees si elles avaient ete confrontees a un desastre economique d’une
telle ampleur ».
3. Durant toute l’intifada, les institutions importantes de l’Autorite
palestinienne ont fonctionne « de facon impressionnante », et se sont bien
adaptees aux problemes poses. « C’est l’histoire qu’on ne raconte jamais
quand on parle de l’intifada », dit Roberts. Selon lui, en depit de ce que
les Palestiniens croient ­ sans parler des Israeliens et du reste du monde ­
l’Autorite palestinienne, en tant qu’ensemble d’institutions fournissant des
services a ses citoyens, non seulement ne s’est pas effondree, mais a fait
du beau travail dans un certain nombre de domaines. Il note en particulier
le travail des ministeres de l’education, de la sante et des finances, ainsi
que celui des travaux publics et des mairies, qu’il considere comme la
structure qui s’est montree le plus capable de prises de decision et
d’initiatives pendant la crise.
4. Le quatrieme axiome, que Roberts a repete au cours des deux entretiens
avec Haaretz, ne derive pas directement du rapport sur les dommages causes
par les blocus, mais d’un « document de travail » publie en mai 2001 par la
Banque Mondiale, appele « Gouvernement et milieux d’affaires en Cisjordanie
et a Gaza ». Les chercheurs auteurs de ce document ont decouvert que,
contrairement a ce qui est communement admis, le niveau de corruption
(defini par les retributions informelles aux fonctionnaires) dans les
territoires de l’Autorite palestinienne est bien moindre que dans les pays
voisins, et dans d’autres pays en voie de developpement, ou des etudes
similaires ont ete conduites au meme moment. Le progres vers une plus grande
transparence et une plus grande responsabilite financiere, souvent du a une
pression internationale, mais aussi a une critique interne des Palestiniens,
pourrait reduire le niveau d’angoisse de ceux des Palestiniens qui
s’inquietent du phenomene de la corruption, celui-ci, pour la plus grande
part, provenant d’un manque de lois garantissant l’egalite entre tous es
citoyens.

Emploi et pauvrete

Le rapport de la Banque Mondiale commence par une definition du « blocus »,
« terme faisant reference aux restrictions imposees par les Israeliens a la
libre circulation des biens et du travail palestiniens a travers les
frontieres et a l’interieur de la Cisjordanie et de Gaza. Israel assure que
le blocus est une reponse a la violence palestinienne. Le blocus a fini par
dominer la vie des Palestiniens depuis les 15 derniers mois ». Depuis 1993
(en fait, depuis 1991, A.H.), pour voyager, les Palestiniens doivent etre
munis d’une autorisation emise par Tsahal. Depuis octobre 2000, la plupart
de ces autorisations de voyager vers Isarel ont ete annulees, la liberte de
mouvements des biens et des personnes vers l’Egypte et la Jordanie a ete
extremement reduite, et les sieges et blocus autour de differents villages
et villes palestiniennes ont ete severement renforces par des barrrages
militaires. Les points de controle sont tenus par des tanks et des vehicules
de transport blindes, pour reduire au minimum toute circulation de biens ou
de personnes a l’interieur des territoires palestiniens, de village a
village, de ville a village ou de village a ville.

Les blocus provoquent une reaction en chaine qui finit par atteindre toute
la societe palestinienne. La perte de dizaines de milliers d’emplois a
l’interieur d’Israel a entraine une chute du pouvoir d’achat dans les
territoires, provoquant ainsi une reduction supplementaire de la production,
et une augmentation du chomage paralysant toute possibilite
d’investissement. Ainsi, au debut de l’annee 2002, le revenu annuel moyen
etait de 30% inferieur a celui de 1994, avant l’etablissement de l’Autorite
palestinienne. Le nombre des pauvres, definis comme vivant avec 2 $ ou moins
par jour, est passe de 600.000 (sur une population d’environ 3 millions) a
1,5 million a la fin de l’annee 2001. Roberts estime qu’apres l’operation
militaire d’avril, les trois-quarts de la population palestinienne vivent
sous le seuil de pauvrete.

Le produit interieur brut a chute de 6 a 7% en 2000, suite a la chute de
l’activite economique au cours du dernier quart de cette meme annee. En
2001, le PIB a perdu 21,7% supplementaires. Le revenu interieur brut a
baisse de 11,7% en 2000, et 18,7% en 2001. Le PIB de 2001 s’est monte a 2,4
milliards de $ en 2001, contre 5,4 milliards de $ en 1999.

Le prix des denrees alimentaires presente de grandes differences en
Cisjordanie, selon l’endroit ou le produit est achete, a cause des
limitations de la liberte de circulation et des blocus. Dans les regions ou
la nourriture est produite, les prix ont chute de facon spectaculaire, car
les denrees ne peuvent plus etre acheminees vers les marches. Dans les
regions non agricoles, et en particulier dans les villes, les prix ont monte
en fleche, par manque de stocks. A Gaza, les prix ont baisse a cause de la
chute de la demande, due a la baisse du revenu et du pouvoir d’achat des
menages

Israel prend sa part

La baisse des revenus de l’Autorite palestinienne, due a la reduction de
l’activite economique, a encore empire depuis decembre 2000, quand Israel a
suspendu le transfert a l’Autorite palestinienne des taxes collectees sur
les biens importes par l’Autorite palestinienne depuis Israel, au motif que
l’Autorite palestinienne utilisait l’argent pour payer des terroristes. La
Banque Mondiale mentionne ce fait au moins cinq fois dans son rapport, et
souligne que les fonds n’appartiennent pas a Israel. La somme qu’Israel doit
a l’Autorite palestinienne, selon la derniere estimation realisee en
decembre 2001, se monte a un demi-milliard de $.

Le rapport commente de facon negative un phenomene bien connu de l’Autorite
palestinienne : le manque de vision gouvernementale commune sur la facon de
gerer la crise. Un certain nombre de ministeres, et en particulier les
ministeres du plan, du tresor, et la PEDCER ((Palestinian Economic
Development Council for Economic Rehabilitation) ont elabore des plans de
rehabilitation, mais ils ont ete ecrits separement, et n’ont pas ete
adoptes. Aucun forum n’a ete institue pour gerer la crise, et la
coordination entre ministeres, deja problematique avant l’intifada, ne
s’est pas amelioree. Le rapport de la Banque Mondiale est destine a resoudre
ce probleme, et a proposer aux pays donateurs et a l’Autorite palestinienne
un programme de travail coordonne et adequat pour gerer la crise (en
fonction des trois scenarios mentionnes ci-dessus). L’Autorite
palestinienne, pour sa part, s’est engagee dans ce document a adopter une
serie de mesures dans le cadre de reformes internes, aussi bien
administratives qu’economiques. Ces promesses ont ete faites bien avant
qu’Israel et les Etats-Unis commencent a exiger des reformes. Certaines de
ces reformes ont ete appliquees sous le regard sourcilleux du Fonds
Monetaire International et des pays donateurs, avant l’intifada. D’autres
mesures ont ete prises pendant la crise, en particulier celles traitant de
la legislation economique destinee a encourager le secteur prive, et des
fonds de pension pour les fonctionnaires, garantie d’un systeme de securite
sociale.

Le 27 mars, Roberts esperait encore que ce plan d’action aiderait, dans une
certaine mesure, a redonner vie a l’economie palestinienne, a condition que
les blocus, et en particulier les blocus interieurs, soient leves. Le 9 mai,
il parlait autrement. Selon lui, tous les signes montrent qu’Israel a
l’intention de durcir encore davantage les blocus interieurs, et de limiter
au maximum la circulation des biens et des personnes entre villes et
villages de Cisjordanie. Les gens quittant les villes assiegees ont besoin
d' »autorisations de circulation sous blocus » qui ne sont accordees qu’a une
certaine categorie de personnes. La plupart des produits transportes vers
les villes le sont « dos a dos », ce qui signifie qu’un camion charge de
produits s’adosse a un autre camion, vide celui-la, aux abords de la ville,
au point de controle, et que les produits sont transferes de l’un a l’autre.
Cela ajoute du temps et un surcout a tout le processus.

Le dommage cause par les blocus a l’economie palestinienne, dit Roberts,
entraine l’apparition d’une economie du troc qui ne convient pas au secteur
prive, ni a aucune perpective de developpement economique. Dans de telles
circonstances, ajoute-t-il, les pays donateurs sont forces ­ contre leur
volonte ­ de jouer le role d’organisations caritatives aupres d’une
population pauperisee, sans aucun cadre politique. Roberts se permet de dire
que la politique de blocus « est plus dangereuse en termes de securite, sur
le long terme », et dit qu’il trouve difficile de se convaincre qu’un
processus de pauperisation de la societe palestinienne toute entiere ­
menacant a terme sa stabilite ­ puisse conduire a une solution politique
dans le futur. « Sur le plan militaire, je n’ai aucune opinion sur
l’efficacite des blocus. Mais sur le plan strategique, il est clair qu’ils
creent une atmosphere qui n’est pas favorable a la securite d’Israel ».