« Dans les collines au sud d’Hébron, se déroule silencieusement l’expulsion de toute une population, tandis que les « avant-postes » illégaux des colons juifs poussent partout comme des champignons » : un témoignage en direct de Gideon Levy et Alex Levac.
La maison du berger Mahmoud Hamadi, considérée comme illégale par Israël, a été détruite. Et il n’est pas le seul dans ce cas. Gideon Levy et Alex Levac sont allés sur place, et décrivent une situation que taisent l’ensemble des médias.
« Cela se devine aux murs rose, au carrelage décoré de papillons, aux céramiques blanches : les gens qui vivent ici aiment leur foyer, l’entretiennent et l’embellissent autant que leurs maigres ressources le leur permettent. Le jardin raconte la même histoire : des rangées de petits pins soignés et d’arbres fruitiers ainsi qu’un jardin aromatique émergent de ce sol aride.
Tout ceci est désormais en ruine, aux côtés des citernes d’eau et des tuyaux de canalisation éventrés. La même histoire a eu lieu dans deux autres petites communautés de bergers de la vallée du sud d’El Khalil/Hébron, perdues au milieu des colonies illégales d’extrémistes juifs. Ici, un lent transfert de population a lieu au quotidien sans que personne n’intervienne.
Mais il y a tout de même un signe positif : personne ne s’en va. Le but, aussi transparent que méprisable, est de forcer les populations locales palestiniennes à s’installer dans les villes alentour et ainsi laisser la région aussi vide de Palestiniens que possible. La démolition des maisons et des citernes n’est rien d’autre que l’arme de ceux qui voudraient voir la région débarrassée de sa population.
Les vallées du Jourdain et du sud d’Al Khalil/Hébron sont les principales cibles des intrigants adeptes de l’annexion et de la déportation des populations. Arguant de raisons de sécurité, les dirigeants israéliens les convoitent depuis le début de l’occupation des territoires palestiniens.
Dans les deux cas, Israël multiplie les constructions pour ses colons tandis qu’elle détruit méthodiquement et cruellement les biens palestiniens. Dans le premier cas, des réserves naturelles étaient le prétexte à l’expulsion. Dans le second il s’agit de la « zone militaire 918 ». Celle-ci implique les onze villages palestiniens des environs mais ne touche aucune des colonies illégales juives situées sur tous les sommets autour, soulignent les deux journalistes de Haaretz.
Dans ces collines au sud d’Hébron et notamment à Masafer Yatta et à Shafa Yatta, la destruction fomentée par Israël sur ordre des colons, a paradoxalement transformé des hameaux de bergers en lieu « d’héritage », l’héritage de la résistance non-violente à l’occupation et du lien indéfectible à la terre.
C’est aussi devenu un haut-lieu de l’architecture écologiste, des maisons en pierre alimentées en énergie par des panneaux solaires et des turbines à vent, dotées de toilettes sèches et de système d’irrigation par l’eau de pluie.
Ici la détresse a engendré le progrès, et de la destruction a découlé l’innovation. Néanmoins, les scènes de démolition ne laissent pas indifférents.
Le 11 septembre dernier, pour l’anniversaire de l’attentat du World Trade Center, les forces d’occupation ont saccagé les villages de Al Mufaqara, de Khallet Al Daba et de Khirbet Jinbah. Et 16 personnes, dont une veuve et ses six enfants, se sont retrouvées sans-abri.
Mahmoud Hamadi, porte-parole officieux d’Al Muqafara, interroge : «Pourquoi laisser les colons s’installer ici et pas les Palestiniens ? Je ne suis pas un être humain ? Ils ne connaissent que la force, mais la force, c’est pour les ânes. Qui est le terroriste, celui qui construit une maison ou celui qui la démolit ? ». En 1999, un vaste plan d’évacuation était déjà l’œuvre. La maison de Mahmoud Hamadi avait été rasée, une première fois.
Depuis, Israël n’a pas cessé d’essayer de chasser les habitants par la force.
Lui est né sur ces terres en 1965, et ne les a pas quittées. « Les israéliens prétendent qu’on n’est pas là toute l’année mais c’est faux. Ils prétendent que c’est une zone militaire fermée mais pourtant ils y construisent les colonies Avigayil et de Havat Ma’on, et étendent celles de Mitzpeh Yair et Nof Nesher. Pour les Israéliens, ce n’est pas une zone fermée ».
La veille des démolitions, l’occupant est venu déconnecter une arrivée d’eau. Le lendemain Hamadi a reçu un coup de téléphone de Nasser Nawaj’ah qui vit dans le village voisin de Sussia et travaille avec l’association israélienne de défense des droits de l’homme B’Tselem. Celui-ci le prévenait de l’arrivée de l’armée et de la « police des frontières »..
Dans leur viseur, la famille de Mahmoud Hamadi. Après avoir été menotté, il a dû assister impuissant à la destruction de quatre maisons familiales- l’une lui appartenant, les autres à sa fille et ses petits-enfants, dans un ouragan de bulldozers et de soldats. A 11h du matin, il ne restait plus rien.
Hamadi et ses deux petites-filles, Sausan, deux ans et Maharan, 4 mois, sont assis sur le sol sous la tente reçue du Croissant-Rouge. Il y fait chaud et ça sent le renfermé. En fier grand-père, Hamadi montre à Gideon Levy et Alex Levac une photo de Sausan brandissant un bâton face aux soldats venus détruire sa maison. Une héroïne est née. Les ruines de la mosquée détruite en 2012 ont été gardées intactes, tel un monument au souvenir.
A Khallet Al-Daba, un drapeau palestinien flotte sur un tas de gravats. Il a été installé là après la démolition de deux maisons ce même 11 septembre.
Soixante-dix personnes habitent ce hameau. Treize d’entre elles, quatre adultes et neuf enfants de la famille Dababsi, sont maintenant sans-abri. Leurs maisons, construites il y a six ans, avaient déjà été rasées en 2016. Au milieu des décombres de 2019, un WC porte un autocollant aux couleurs de l’union européenne, qui l’a financé. L’Europe protestera-t-elle contre ces démolitions ? S’opposera-t-elle au fait qu’Israël détruise ce que l’Union Européenne a construit ?
Jaber Dababsi, 34 ans et père de quatre enfants, est l’un des dépossédés. Le sac à main de sa femme, qui contenait ses bijoux en or et 1700 shekels (soit 485 dollars), a disparu pendant la démolition, nous apprend-il. Il l’a retrouvé plus tard dans la vallée, vide. Il ne portera pas plainte, personne ne mènerait de toute façon l’enquête.
« Si les plantes et les arbres n’avaient pas été déracinés, je vous aurais servi un thé à la menthe ou au citron » s’excuse-t-il auprès d’Alex Levac et Gideon Levy avec un sourire, tandis que Rithan, sept ans et Rian, dix ans, sont assis à l’ombre des ruines de leur maison.
Les deux journalistes reprennent la route jusqu’à Khirbet Jenbah. Elle est parfois en terre, parfois en goudron. Ce dernier a dû être versé de nuit par les Palestiniens, pour que personne ne les voie.
Ici les forces d’occupation ont tout saccagé. Elles ont en outre placé d’énormes rochers au milieu de la route et ont arraché le goudron. Des Palestiniens ont alors essayé d’ouvrir une voie dans les collines, sans succès. Cherchant à louer une pelleteuse pour enlever les rochers, ils ont réalisé que les forces israéliennes avaient déjà prévenu tous les propriétaires de pelleteuse de Yatta que quiconque en louerait une pour enlever les rochers en paierait les conséquences. Les tentacules de l’occupant sont partout. »
(Traduit par Sarah V. pour CAPJPO-EuroPalestine)
Source : https://www.haaretz.com/
CAPJPO-EuroPalestine