3 octobre – Ariel Sharon a sans doute subi une déconfiture, dans la récente crise du siège de la Muqata, dont Yasser Arafat est sorti vainqueur, aux plans médiatique et psychologique. Malheureusement, le ridicule ne tue pas, même politiquement, et, comme l’explique la journaliste israélienne Amira Hass dans l’article ci-dessous, sur le terrain, Israël poursuit inexorablement sa conquête de la terre de Palestine. Traduction effectuée par La Paix Maintenant France.
ISRAEL POURSUIT INEXORABLEMENT LA CONQUETE DE LA TERRE PALESTINIENNE
Haaretz 2.10.02
Israel est en train de gagner la guerre pour la terre
par Amira Hass
Le sentiment d’humiliation soi-disant ressenti en Israel a la suite de la
fin du siege de la Muqata est bien exagere. De meme que le sentiment de
triomphe ressenti par les Palestiniens. Cette affaire de la Muqata a une
dimension symbolique qui occulte le fait qu’Israel recueille victoire apres
victoire dans ce qui est la lutte reelle.
Le conflit entre les deux peuples est a propos de la terre, et non a propos
de la personnalite de Yasser Arafat ou d’Ariel Sharon. Et, dans cette
bataille pour le controle de la terre en Cisjordanie et dans la Bande de
Gaza, c’est Israel qui gagne.
La lutte a lieu sur trois fronts. D’abord, dans la perspective de la cloture
de separation et de defense (dont le trace est realise en fonction des
exigences des colons), les Palestiniens de Cisjordanie vont perdre des
dizaines de milliers de dounams (1 dounam = 1000 m2, ndt) de terres
cultivables et fertiles, ainsi que de terres susceptibles d’etre valorisees.
En theorie, les terres perdues en raison de la cloture ne representent que
quelques centaines de dounams, mais des milliers d’autres verront leur acces
bloque, alors qu’elles ont une grande valeur pour leurs proprietaires et
pour l’economie palestinienne en general.
Au moins 11 villages, avec leurs habitants, leurs maisons et leurs terres,
vont se retrouver dans le no man’s land entre la cloture et la Ligne Verte.
Comme leur localisation dans une zone de securite et de separation sera
consideree comme un probleme, il est probable que ces villages feront
l’objet de decrets militaires particuliers et seront soumis a de severes
restrictions de mouvement. Ce qui revient a priver les habitants du droit
d’utiliser les ressources des terres qui leur appartiennent encore. Pour 20
villages, la grande partie de leurs terres se trouvera a l’ouest de la
cloture, alors que les zones construites se retrouveront a l’est. A en juger
par ce qui s’est passe dans le cas des clotures construites autour des
colonies juives, et qui englobent des parcelles non officiellement
« annexees », il n’est pas difficile de deviner ce qui arrivera a ces
villageois. Les proprietaires n’auront pas la possibilite d’acceder a leurs
terres et de les cultiver. Parfois, les villageois se rendront compte qu’il
n’y aura aucune cle entre les mains des soldats deployes sur le site.
Parfois, des chiens eloigneront les proprietaires. Et, parfois, l’officier
de securite d’une colonie menacera les Palestiniens, ou l’armee imposera un
couvre-feu.
Outre l’impossibilite de cultiver leurs terres, les Palestiniens qui vivront
a l’ombre de la cloture seront aussi confrontes a de severes restrictions
qui rendront difficile la vente de leurs produits (de telles restrictions
sont deja appliquees depuis deux ans en Cisjordanie et a Gaza). Le droit
d’ecouler ses produits constitue le deuxieme front de labataille pour la
terre, et ces limitations font perdre jusqu’a 60% de leurs revenus aux
Palestiniens vivant dans ces villages.
A cause des bouclages, il est plus facile, dans les villes palestiniennes,
de trouver une goyave produite en Israel que la meme, produite dans un
village voisin. Un vehicule de Tnouva (conglomerat agricole israelien, ndt),
avec des plaques d’immatriculation israeliennes et un chauffeur arabe
israelien, peut circuler sur les meilleures routes de Cisjordanie, mais ces
routes sont fermees aux Palestiniens. Ces restrictions qui concernent la
vente des produits ont, en deux ans, transforme l’agriculture palestinienne
en une entreprise improductive, et quasiment chimerique. L’economie a
souffert de ce phenomene, mais de facon negligeable, alors que les pertes
subies par l’economie palestinienne en general, et par le secteur agricole
en particulier, ont ete devastatrices. Cette misere, collective et
individuelle, relancera-t-elle le phenomene de la vente privee de terres aux
juifs?
Le troisieme front concerne la bureaucratie. Ce qui reste des accords d’Oslo
est l’acceptation par les Palestiniens de permettre a Israel de limiter la
construction sur 60% des terres de Cisjordanie, en zone « C » (sous controle
administratif israelien). Toute construction, tout developpement sur ces
terres, exige un accord de la part d’Israel, meme dans le cas de terres
appartenant a des proprietaires prives.
Il y a 15 jours, par exemple, l’armee et l’administration civile ont demoli
34 unites de logement situees dans un quartier residentiel pres de Ramallah
et construites par une association d’ouvriers palestiniens quand il s’est
revele que certaines des terres se trouvaient en zone « B » (sous controle
administratif palestinien), et d’autres en zone « C ». L’ordre d’arreter les
travaux a ete donne il y a un an, mais selon les Palestiniens, la demolition
a ete effectuee en l’absence de toute annonce prealable, et sans donner une
chance aux habitants d’entamer un recours juridique.
La determination des autorites israeliennes a empecher les « transgressions »
dans le domaine de la construction est a mettre en perspective avec
l’indigence dont elles font preuve quand il s’agit de faire quoi que ce soit
a propos de la construction « legale » qui s’etend dans les colonies.
Les mesures de securite prises par Israel ne font rien pour promouvoir
l’etablissement d’un Etat palestinien sur les frontieres du 4 juin 1967, et
n’ont rien a voir avec les standards en vigueur dans la communaute
internationale. Les mesures de securite prises par Israel, y compris pendant
les annees d’Oslo, creent des faits accomplis sur le terrain, afin de peser
sur les negociations diplomatiques, et afin de promouvoir une campagne de
maillage du territoire palestinien que l’Etat d’Israel compte s’approprier.