18 novembre – Voici la traduction (par Michel Ghys, pour solidarité-palestine.org), d’un article de Adam Keller, porte-parole de Gush Shalom, après l’attaque de Hébron, au cours de laquelle trois combattants palestiniens ont tué 12 soldats et miliciens colons armés, et en ont blessé une quinzaine d’autres.
«La semaine dernière, c’était une appréhension. Aujourd’hui, c’est une triste réalité.
Il y a un peu plus d’une semaine, l’armée israélienne assassinait, à Jénine, Eyad Sawalha, un leader important du Jihad Islamique. Comme d’habitude, la «liquidation réussie d’un terroriste» était célébrée dans les titres de la presse israélienne. Comme d’habitude, les partisans du leader assassiné juraient une «dure vengeance». Il n’y avait aucun besoin d’être expert ni d’avoir accès à une information classée secrète pour prendre cette menace au sérieux. Il suffisait de se rappeler l’histoire de la dernière décade, plus spécialement des deux dernières années, et des effets dévastateurs de ces assassinats. Et connaissant la tendance d’Ariel Sharon à ordonner des assassinats précisément à des moments où leur contrecoup pourra servir ses desseins politiques et militaires, on n’aura pas à se demander quels mobiles animent Sharon pour frapper ostensiblement le Jihad Islamique – une petite organisation, ultra-radicale, étroitement unie – précisément au moment où Fatah et Hamas, les deux forces principales de la scène politique palestinienne, tiennent des pourparlers au Caire, sous les auspices de l’Egypte et de l’Europe, avec le but déclaré d’arriver à un accord sur les termes d’un cesser-le-feu avec Israël.
Ce qui vient dêtre dit n’est qu’une conjecture et ne peut être prouvé. Ce qui est indubitable, c’est que le Jihad Islamique a lancé une attaque de représailles vendredi dernier, une embuscade contre les forces israéliennes à Hébron, en Cisjordanie mais du côté opposé à l’endroit où Sawalha a été tué. Ces représailles ont fait douze morts israéliens, soldats, officiers et membres de milice de colons ainsi que de nombreux blessés. Les journaux d’aujourd’hui montrent un autre fait: que ce résultat ait ou non été recherché, après l’attaque de Hébron, le gros de l’opinion publique israélienne est encore plus sceptique qu’elle ne l’était déjà face aux pourparlers du Caire ou tout autre mouvement palestinien en direction d’un cesser-le-feu.
Ainsi le cycle de la revanche de la revanche de la revanche se poursuit. Une fois de plus, après un bref et très partiel répit, la vieille ville de Hébron se retrouve sous occupation israélienne complète. Une fois de plus, le couvre-feu maintient ses 150 000 habitants palestiniens emprisonnés chez eux, pendant que des colons nationalistes-religieux sont libres de parcourir les rues et de détruire les voitures et les propriétés des Palestiniens. Le Premier Ministre Sharon et le Ministre de la Défense nouvellement installé Mofaz ont donné pour instructions à l’armée de lancer de «lourdes représailles» pour les morts de vendredi. Déjà, des bulldozers de l’armée sont à l’œuvre détruisant des champs et des oliveraies autour du lieu de l’embuscade mortelle, et trois maisons ont été dynamitées dans la même zone, apparemment sans enquête pour savoir si leurs habitants ont en quoi que ce soit été impliqués dans l’attaque. Ailleurs dans la ville, six autres maisons ont été détruites: certaines sous le prétexte qu’elles avaient été les maisons des combattants du Jihad Islamique aujourd’hui morts qui ont monté l’embuscade contre les soldats et d’autres maisons parce que, soi-disant, d’autres membres de la même organisation, morts ou cachés, y auraient habité.
Le fait de transformer plus d’une centaine de personnes, dont de nombreux enfants, en sans-abris, est-il vraiment une mesure efficace contre la récurrence de telles attaques contre les forces d’occupation israéliennes? Et qu’en est-il de la décision de l’armée de fermer le Bureau de Coordination du District (District Coordinating Office – DCO) de Hébron où, depuis Oslo, des officiers israéliens et palestiniens avaient l’habitude de se rencontrer pour tenter de résoudre les problèmes récurrents? Les officiers palestiniens du DCO ont été brutalement mis à la porte et leurs ordinateurs et documents confisqués. On leur a dit de ne jamais revenir, à eux qui formaient le groupe des officiels palestiniens qui, plus que n’importe qui, ont essayé, pendant les sept dernières années, de faire fonctionner la structure des accords d’Oslo et qui, dans des conditions souvent impossibles, ont tenté de débrouiller des problèmes compliqués, par la voie du dialogue avec leurs collègues israéliens. De tels efforts venant du camp palestinien ne sont manifestement plus appréciés ni désirés par ceux qui ont maintenant le pouvoir en Israël.
Pendant ce temps, les médias éprouvent les plus grandes difficultés à donner une claire définition de ce qui s’est produit vendredi soir. On entend les termes de «massacre», «attaque terroriste», «embuscade» et «bataille», parfois dans le même bulletin d’information ou le même article. Selon tous les critères objectifs, un «massacre», ce n’était pas – à moins d’accepter l’argument pacifiste cohérent que toute guerre, toute bataille, est meurtre et massacre.
Toutefois, il est profondément perturbant pour le peuple israélien – surtout après qu’on n’ait cessé de lui répéter que les Palestiniens étaient «proches de l’effondrement» – d’accepter ce qui s’est passé vendredi: trois combattants palestiniens ont résisté pendant des heures face à une force israélienne de loin supérieure et, avant d’être débordés et tués, ils sont parvenus à tuer douze soldats et officiers israéliens, dont un colonel.
Pour partie, ce bilan sanglant résulte du comportement, courageux mais imprudent, des troupes israéliennes. A plusieurs reprises, elles ont chargé de front, en terrain découvert, face au feu d’adversaires cachés: une conduite que les forces armées du monde, au prix d’un lourd tribut, ont appris à éviter au moins depuis la première Guerre mondiale. Mais il n’est pas complètement surprenant qu’une armée qui a pris l’habitude de s’imposer à des civils sans défense et de briser toute résistance par l’usage massif de chars, d’hélicoptères de combat et de gadgets électroniques high tech, se retrouve un peu rouillée dans le domaine de la tactique élémentaire.
En attendant, les colons ne paraissent pas perturbés par de tels problèmes. Leur principal souci est d’utiliser ce dernier incident – comme ils ont utilisé tous les incidents violents de ces vingt dernières années – comme prétexte à une plus grande extension de leurs enclaves armées au cœur de Hébron au dépens de la terre et des maisons de leurs récalcitrants voisins palestiniens. Déjà hier soir, plus d’un millier de colons vindicatifs ont réuni une manifestation sur le site ou trois maisons palestiniennes avaient été rasée et des oliviers palestiniens déracinés, proclamant leur intention d’établir un nouveau quartier de colonie en cet endroit pour constituer une «continuité territoriale» entre les enclaves à l’intérieur de Hébron et la plus grande colonie de Kiryat Arba, juste à l’extérieur. Le Premier Ministre Sharon qui a visté le site aujourd’hui, a chaudement encouragé cette idée, parlant ouvertement de l’attaque de vendredi comme d’une «occasion qu’on ne pouvait laisser passer» afin de «créer des faits-accomplis». Ytshak Lévy, du Parti National Religieux et Ministre du Tourisme d’un pays où pratiquement aucun touriste n’est venu en deux ans, a déjà annoncé que son Ministère financerait une «promenade Kiryat Arba – Hébron».
Ce soir, nous avons rejoint une veillée de La Paix Maintenant! devant le Ministère de la Défense, pour protester contre cette idée folle qui prend abusivement une effusion de sang comme prétexte pour un acte qui ne peut mener qu’à davantage d’effusion de sang. Pour appeler au retrait et au démantellement des colonies à Hébron en particulier et dans les Territoires occupés en général. L’idée est de maintenir ces veillées chaque soir, à 6 heures, tout le reste de la semaine. Non que qui que ce soit puisse entretenir la moindre illusion: Sharon, s’il est réélu en janvier – ce que les sondages d’opinions lui donnent une bonne chance de réaliser – construira sûrement la promenade de mort des colons et autres coûteuses fantaisies.
Adam Keller
Traduit de l’anglais par Michel Ghys
