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Paul Monmaur : « La mobilisation citoyenne est une condition nécessaire à une paix juste et durable au Proche-Orient »

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5 novembre – Nous publions ci-dessous une tribune libre de Paul Monmaur, enseignant-chercheur à l’Université Paris 7, écrite il y a plusieurs semaines, c’est à dire avant l’annonce des négociations de Genève, et proposée en vain à plusieurs quotidiens (Seul france-Soir en a tout récemment donné un petit extrait).


La spirale de la violence réduit les chances de compromis négociés dans le conflit israélo-palestinien. La responsabilité des Israéliens et celle des Palestiniens sont très inégales. Pour bien le comprendre, il est bon de faire un bref rappel chronologique des principaux évènements fondateurs de l’état d’Israël. En 1917, lors de l’annonce de la création d’un foyer national juif sur le territoire de la Palestine historique (déclaration Balfour), les Arabes constituaient la majorité écrasante (90%) de la population palestinienne. Le flux élevé de l’immigration juive clandestine, alimenté par la montée de l’antisémitisme en Europe, allait modifier ce pourcentage. Toutefois, en 1947, les Arabes constituaient toujours une très forte majorité (2/3) de la population palestinienne et possédaient la plus grande partie des terres. La communauté juive qui représentait alors le 1/3 de la population totale possédait moins de 10% du territoire. La guerre de 1948 a bouleversé ces données. Provoquant le transfert de 700 000 Arabes majoritairement vers la Jordanie, la Syrie et le Liban, la guerre a permis à la communauté juive de créer, avec l’aide d’une Europe culpabilisée par ses exactions antisémites, l’état d’Israël qui s’étend sur plus de 75 % de la Palestine. Les Palestiniens « non incorporés au nouvel état juif » devenaient alors une communauté réduite disposant d’un territoire exsangue, éclaté, ingérable sans le bon vouloir israélien : la Cisjordanie et Gaza. En reconnaissant l’état d’Israël en 1949, les Nations Unis validaient cette situation qui, acquise par la force, très inéquitable et dans laquelle l’unité territoriale et la cohésion sociale palestiniennes sont brisées, portait les germes d’un conflit chronique violent entre les deux peuples. Lors de la guerre des 6 jours en juin 1967, l’armée israélienne a occupé la Cisjordanie et Gaza, provoquant un nouvel exode de Palestiniens et favorisant l’implantation de plus de 100 colonies juives qui constellent ces territoires. Elles abritent, en y incluant Jérusalem-Est, quelque 400 000 colons. Au plan politique, cette implantation représente une forme de conquête territoriale insidieuse et progressive, rampante, et, d’un point de vue humain, difficilement réversible. Cette nouvelle expansion du peuple juif en terre palestinienne fournit un argument supplémentaire à ceux qui dénoncent la volonté de l’état israélien d’œuvrer pour réaliser le « Grand Israël », à savoir, un état Juif s’étendant du Jourdain au Sinaï avec transfert, de gré ou de force, des populations arabes vers d’autres pays du Proche-Orient. Elle décapite la thèse, clamée par les dirigeants israéliens et très largement répandue en Occident, selon laquelle la guerre conduite par Israël se réduit à un simple réflexe d’autodéfense provoqué par l’agression palestinienne. La seconde Intifada déclenchée en septembre 2000 coïncide avec l’attitude agressive et provocatrice d’Ariel Sharon et de ses amis en armes sur l’esplanade des Mosquées à Jérusalem. En fait, elle ne fait qu’exprimer une revendication « désespérée » aussi fondamentale que légitime pour le peuple palestinien sans nation et sans droit : retrait israélien des territoires occupés et création, au côté d’Israël, d’un état palestinien indépendant, dans les frontières d’avant l’occupation de juin 1967, avec Jérusalem-Est comme capitale. C’est manifestement le plus que pensent pouvoir demander les Palestiniens acculés en-deçà des frontières de Gaza et de la Cisjordanie et souvent considérés comme des réfugiés indésirables sur leur propre sol. Mais c’est encore trop pour Israël, au moins pour ceux de ses dirigeants qui prétendent qu’un état palestinien souverain représenterait un danger mortel pour leur pays. Or le rapport des forces en présence, asymétrique, est favorable à ces derniers. D’un côté, l’état juif avec une armée imposante, structurée et moderne, dotée d’un armement diversifié et sophistiqué – blindés, hélicoptères, avions F-16, missiles, etc. C’est aussi un état riche, fermement soutenu par l’hyper puissance américaine, capable de faire entendre sa voix partout dans le monde via de puissants relais médiatiques et qui, par le biais d’une intense activité diplomatique, se place au-dessus du droit international que l’ONU a la charge de faire respecter – Israël est, avec la Turquie, la nation qui applique le moins les résolutions votées par l’ONU. De l’autre, la Palestine résiduelle, disloquée, pauvre et sans voix, oubliée de la communauté internationale. Démunis, ses combattants sont contraints à la résistance clandestine. Leur impuissance à faire reconnaître les droits les plus fondamentaux et légitimes du peuple palestinien les conduit parfois à se transformer en « bombes humaines » utilisées contre l’armée et, de plus en plus souvent, contre les civils israéliens, expression d’un désespoir extrême. Le gouvernement israélien reste sourd à cette détresse. Mieux, il l’exploite : il trouve dans cette forme désespérée de résistance palestinienne un prétexte au développement de son action militaire et à sa conséquence logique, l’extension de son territoire. Il résulte de ce rapport de force une situation intenable pour le peuple palestinien, tant sur le plan politique et économique qu’humain. A titre d’exemples : (1) A Ramallah, le président élu Yasser Arafat et sa suite, hauts symboles de la résistance palestinienne, sont murés dans un palais délabré assiégé par l’armée israélienne, dépouillés de leur autorité politique et menacés d’exil, voire de mort. (2) L’assaut est donné contre les principales villes palestiniennes accompagné de rafles, de détentions sans jugement, d’exécutions de civils, d’assassinats de résistants et de dirigeants du Hamas, de destructions de maisons et d’infrastructures de toutes sortes, de confiscations de terres fertiles – environ 30 000 ruraux ont ainsi perdu leurs moyens d’existence. (3) Un immense mur « de sécurité » se construit autour de la Cisjordanie et de Jérusalem qui annexera, une fois terminé, pas moins de 10% de cette région et isolera une partie importante de la population Cisjordanienne. Les habitants de Gaza sont déjà « contenus » par une clôture électrifiée hermétiquement close installée par Israël autour de ce territoire durant la première Intifada 1987-1993. (4) Des barrages, des clôtures, des cordons de chars sont mis en place autour des villes, les isolant les unes des autres et créant ainsi des enclaves-prisons. (5) Les couvre-feux, les check points et les bouclages se multiplient et se systématisent. Les Palestiniens sont ainsi privés de toute liberté de circulation et de l’accès libre aux produits et services de premières nécessités – alimentation, médicaments, soins médicaux, etc. (6) Quatre-vingt cinq pour cent de la nappe phréatique – ressource en eau potable – qui s’étend ente Israël et la Cisjordanie et qui est alimentée par les eaux de pluie palestinienne, est confisquée par Israël. (7) L’éducation, en particulier l’Université est aussi la cible de l’armée d’occupation : des écoles sont détruites, des universités fermées et leurs matériels informatiques mis hors d’usage, les routes y conduisant sont défoncées et des portes d’accès sont soudées. Sur une dizaine, environ, d’établissements universitaires palestiniens, très peu fonctionnent correctement. « Vouloir continuer à étudier ou à enseigner aujourd’hui en Palestine, c’est risquer chaque jour sa vie » déclare une professeur en sciences politiques de l’Université de Birzeit. « S’attaquer au système éducatif palestinien, c’est pousser la classe moyenne à quitter le pays », ajoute ce Professeur, mais c’est aussi s’opposer à l’émergence d’intellectuels et de leaders dont tout pays a nécessairement besoin.
A cela s’ajoutent, côté palestinien, plus de 2500 morts et 18 000 blessés dont au moins 6000 mineurs depuis le début de la deuxième Intifada. Le bilan est accablant et il s’alourdit chaque jour.
Bref, il y a là rassemblés tous les critères d’identification d’un « génocide » qui se déroule dans un épais silence et à l’abri des regards. A l’image des accords d’Oslo signés en septembre 1993 et des négociations de Camp David en juillet 2000, la « feuille de route » proposée récemment par le Quartet – Etats-Unis, Nations Unies, Union Européenne et Russie -, en vue d’aboutir à une paix durable sur la base de la création d’un état palestinien au côté d’Israël ne change pas grand-chose à la situation sur le terrain : on continue de tuer de part et d’autre, les colonies existantes ne cessent de croître et des centaines de bulldozers poursuivent activement la construction du mur de séparation en Cisjordanie, multipliant les enclaves palestiniennes, véritables ghettos qui achèvent de briser cette région et son peuple. Ces échecs répétés sont la preuve que les mesures de paix proposées sont inadaptées et que les principales forces politiques internationales capables de peser significativement sur le cours des évènements à l’échelle planétaire – les Etats-Unis, les Nations Unies, l’Union Européenne, la Russie et la Chine – n’ont jamais eu la volonté ni le courage de s’opposer avec détermination à l’expansionnisme israélien, et de résoudre le problème israélo-palestinien avec justice, cohérence et dignité notamment eu égard au peuple palestinien spolié, persécuté et humilié.

Dans ce contexte, la mobilisation citoyenne prend tout son sens ; elle doit contraindre les Etats puissants à conduire une politique humaniste et pas uniquement conforme à leurs seuls intérêts économiques et stratégiques. Chaque citoyen sensibilisé doit, dans chaque rue, chaque quartier, chaque ville, chaque pays, entreprendre des actions dynamisant la prise de conscience collective de la tragédie vécue par le peuple palestinien. Une prise de conscience collective est nécessaire à la mise en place d’actions concertées et efficaces de grande ampleur, comme, par exemple, la suspension des relations économiques et commerciales européennes avec Israël qui dépend de l’Europe pour près de la moitié de ses importations et exportations. En proie à de réelles difficultés budgétaires et sociales générées, essentiellement, par une militarisation démesurée et un effort de guerre insensé, ce pays ne peut, en toute rigueur, que céder à cette formidable pression. De même, l’envoi, au Proche-Orient, d’une force d’interposition capable de mettre fin à toutes les exactions et d’assurer la protection des Palestiniens et des Israéliens s’impose comme une mesure d’extrême urgence. Elle doit être suivie d’autres, plus ambitieuses et incontournables si l’on veut aboutir à une paix juste et durable dans cette région du monde : (1) retirer à Israël les moyens de mettre en œuvre sa politique expansionniste, (2) reconnaître la dramatique erreur ou lâcheté onusienne de 1949 et corriger ses conséquences dévastatrices en redessinant la frontière entre ce pays et la Palestine de manière à répartir équitablement et de façon cohérente le territoire et les richesses de la Palestine historique entre les deux peuples, (3) créer, au côté d’Israël et sur la base de l’équité comme il vient d’être dit, d’un état palestinien indépendant, souverain et viable, (4) remettre en état les structures palestiniennes endommagées ou détruites et, (5) aider au retour ceux des Palestiniens transférés qui le désirent et indemniser justement les autres. Pour être mené à bien, un tel programme doit être placé sous l’autorité d’une organisation internationale comme l’ONU préalablement réformée par la mobilisation citoyenne internationale. Cette dernière doit donner les lui moyens de faire respecter les droits fondamentaux des peuples et des personnes comme définis par le droit international.

Fait encourageant, une mobilisation citoyenne émerge au sein même du peuple d’Israël. Elle se manifeste sous la forme de divers mouvements protestataires, comme, par exemple, les « refuzniks », ces courageux soldats et réservistes qui refusent d’accomplir leur service militaire ou leur période de réserve dans les territoires palestiniens. Encore trop modeste pour peser significativement sur les affaires du pays, elle peut et doit s’amplifier, notamment autour de l’idée selon laquelle la politique extrémiste de ses dirigeants conduit le peuple d’Israël dans une impasse tragique, cela pour au moins deux raisons : d’abord, mener une guerre totale contre les victimes de l’injustice et contre ceux qu’elle plonge dans la misère et le désespoir n’éradique pas les attentats-suicides meurtriers et augmente la détermination et le nombre de ceux qui sont prêts à les commettre ; ensuite, même si Israël s’empare de toute la Cisjordanie, quelle sera réellement la sécurité des Israéliens dans un Proche-Orient encore plus hostile et en partie déstabilisé par l’arrivée de nouveaux réfugiés palestiniens ? Si la mobilisation citoyenne parvient, dans un Israël devenu plus lucide et lassé par les violences exercées et subies, à atteindre une taille critique, elle aura la capacité politique de mettre fin à l’offensive coloniale de la communauté juive planifiée et commencée il y a plus de 50 ans et, ce faisant, d’ouvrir la voie, sous l’égide d’une ONU nouvelle, à de véritables négociations conduisant à une paix juste et durable dans cette région du monde. L’histoire nous apprend que c’est la montée de la contestation populaire aux Etats-Unis qui a précipité la fin de la guerre du Vietnam.

Mes parents et leurs enfants ont pris un risque certain en aidant à cacher deux familles juives alors traquées par le nazisme. C’est dans la continuité de leur action citoyenne et solidaire que s’inscrit ma démarche en faveur de ceux qui sont, aujourd’hui, persécutés.
Paul Monmaur,
Enseignant-Chercheur à l’Université Paris VII, membre d’Associations et de Comités en faveur d’une paix juste et durable au Proche-Orient.

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