11novembre – Nous reproduisons ci-dessous un texte sur les formes de résistance non-violente utilisés contre l’occupation par les Palestiniens, écrit par Abdul Jawad Saleh, membre (non-inscrit) du Conseil législatif palestinien.
« Il semble qu’actuellement, il soit de bon ton d’appeler à un mouvement palestinien non violent. Pourtant, il existe depuis longtemps un mouvement très actif de résistance non-violente, mouvement qui existe encore aujourd’hui. Depuis longtemps, nous nous opposons à l’occupation israélienne en nous efforçant de la contourner et de construire sur des bases durables une société, des écoles et une économie palestiniennes en dépit de cette occupation. Certains Palestiniens se sont effectivement engagés à développer un mouvement de résistance non-violente, engagement qui remonte au moins au début de l’occupation israélienne, en 1967. Agé de 70 ans, dirigeant modéré, ancien maire, ancien ministre et, actuellement, membre du Conseil législatif (mais aussi l’un des membres fondateurs du Front national palestinien), je me suis pour ma part investi sur le plan professionnel et personnel en consacrant ma vie à la résistance non violente face à l’occupation israélienne. Affirmer qu’elle n’a jamais existé est une étrange manière de passer sous silence un mouvement politique bien réel.
Malheureusement, nombre de dirigeants israéliens n’ont jamais vu l’intérêt de cette résistance pacifique à l’occupation. Il y a plusieurs raisons à cela : Israël est déterminé à se vouloir victime. Il convient de reconnaître que le statut de victime du pacifisme est peu glorieux, voire difficile à concilier avec le respect de soi. Les Palestiniens n’ont jamais constitué une menace militaire. A franchement parler, ils n’ont en jamais eu les moyens. Mais le fait de lutter contre une « force », fût-elle fictive, confère sa légitimité à la stratégie militaire israélienne. A mesure que l’occupation israélienne progresse sans jamais s’arrêter, Israël peut construire de nouvelles colonies et emprisonner les Palestiniens dans plusieurs enclaves, chacune encerclée par des colonies, des routes de contournement et des points de passage. Pour la plupart illégales, ces actions ne peuvent se justifier que parce qu’elles sont menées sous le couvert d’une arme. En un mot, elles se résument à l’exercice d’un pouvoir militaire à l’encontre de civils non violents. Ariel Sharon ne veut surtout pas d’un mouvement de résistance non violente à la manière de Gandhi, qui attirerait la sympathie de la communauté internationale. Israël veut que le monde sympathise avec lui, même lorsqu’il envoie son armée détruire nos maisons.
Pour fragiliser la résistance non violente de la part des Palestiniens, Israël a systématiquement démantelé et discrédité les forces politiques modérées des Territoires occupés. L’on sait que des forces d’occupation comparables ont employé cette tactique avec succès. Le régime sud-africain d’apartheid a anéanti les dirigeants des communautés noires dans le but d’affaiblir les initiatives de résistance non violente de l’ANC.
Nous autres, Palestiniens, avons bien travaillé dans le sens de la résistance non violente. Nous avons organisé des manifestations non violentes, des grèves de travailleurs et boycotté les biens et les banques israéliens. Israël a réagi en démantelant nos conseils municipaux élus, en sapant notre appareil judiciaire par la fermeture des cours d’appel, et en exilant de nombreux maires et représentants des collectivités qui prônaient le pacifisme.
Aux premiers jours de l’occupation, un mouvement de travailleurs volontaires s’est constitué sous l’égide de conseils municipaux élus démocratiquement. Dynamique, ce mouvement a créé des emplois, construit des écoles, fondé des clubs de jeunes et des bibliothèques publiques. Pour résister pacifiquement, il faut que les dirigeants soient forts mais le mouvement palestinien de résistance non violente avait des forces à revendre. Sept ans plus tard, soit en 1973, la création de Front national palestinien a donné le jour à une direction centrale terriblement nécessaire, regroupant des représentants de tous les Territoires occupés. Son objectif ? S’opposer collectivement à l’occupation israélienne par des moyens non violents.
Quels avantages la non-violence a-t-elle apportés ? Dans les dix ans qui ont suivi, l’Autorité d’occupation israélienne a dissous les Conseils municipaux palestiniens, exilé les dirigeant élus et tenté d’assassiner les autres. Le 10 décembre 1973 (qui, par une ironie du sort, a été proclamé « journée internationale des droits humains »), huit des personnalités les plus modérées des Territoires occupés, dont un maire, ont été expulsées sans qu’aucune accusation n’ait été prononcée contre elles et sans qu’elles puissent se faire assister par des avocats.
De nouvelles expulsions et arrestations ont suivi et les autorités locales se sont vu imposer un contrôle. Comme les Israéliens le prévoyaient, cette action a eu pour effet immédiat de fragiliser considérablement le mouvement de résistance non violente. S’en sont suivis des mois de bouclage des villes et villages, d’humiliations, de harcèlements incessants, de fouilles des maisons, de démolition par bulldozers de centaines d’habitations, d’arrachage de vignes et d’oliviers, de comblement de puits, de construction de dizaines de milliers d’habitations dans des colonies ainsi que de la confiscation de terres en violation du droit international.
L’argument qui veut que si les Palestiniens avaient agi différemment, autrement dit si nous nous étions mobilisés de manière efficace et pacifiste, nous aurions aujourd’hui un État, fait actuellement son chemin dans les médias occidentaux et malheureusement, le public commence à y croire. Peu importe pendant combien de temps ce message continuera d’être véhiculé, l’Histoire montrera que les Palestiniens ont réagi face à l’occupation israélienne en déployant un mouvement de résistance non violente bien organisé, qui a été écrasé en toutes occasions.
Ce mouvement non-violent survit. La preuve en est que l’été dernier, pendant six semaines, on n’a déploré aucune victime israélienne alors même que de nombreux Palestiniens étaient tués.
Ceux qui nous demandent de nous organiser pacifiquement ont bien de la chance de n’avoir jamais connu les problèmes auxquels se heurtent les habitants palestiniens de Cisjordanie et de Gaza qui, chaque jour, s’efforcent d’avoir de l’eau en quantité suffisante, de franchir les 250 points de contrôle qui les encerclent, de nourrir leurs enfants, de gagner leur vie et de trouver un minimum de dignité dans leur existence. Heureusement pour eux, ces avocats du pacifisme n’ont jamais été contraints d’expliquer à leurs fils et à leurs filles que l’honneur de la famille demeure intact même si pendant plus de 40 ans, nous avons dû subir la violence de l’oppression et de l’humiliation.
C’est du bourbier de l’occupation et des dévastations qu’est née la deuxième Intifada. N’étant pas encore parvenu à venir totalement à bout du mouvement pacifiste palestinien, Ariel Sharon s’est vu offrir une seconde chance pour ce faire en devenant Premier ministre. Depuis que Sharon a pris ses fonctions, Israël n’a cessé de détruire les institutions démocratiques, les villes de Palestine, le siège des ministères de l’Administration palestinienne, les bureaux des institutions de la société civile, centres éducatifs et culturels, ainsi que les industries et l’infrastructure socioéconomique, dans des proportions sans précédent dans l’Histoire moderne. L’entrave aux travaux agricoles, le refus d’octroyer des permis de travail et l’appauvrissement constant de populations de plus en plus affamées mettent à rude épreuve la tolérance des pacifistes contraints de faire toujours plus d’efforts. En déracinant, blessant et tuant des citoyens innocents et en détruisant des milliers de maisons, l’intensité de la violence israélienne a provoqué – et ce n’est probablement pas un hasard – la réaction à laquelle on pouvait s’attendre de la part d’une jeunesse palestinienne qui n’en peut mais. Le mépris total et la violation par Israël de toutes les normes et réglementations internationales sous un régime d’occupation prolongé ont été les catalyseurs de l’effondrement du mouvement de résistance non violente. Sachant qu’Israël inflige aux jeunes Palestiniens la torture, des mesures de répression aussi arbitraires qu’illégales et des sanctions collectives contraires au droit, il devient plus difficile de convaincre ces jeunes que le monde extérieur est sensible à la stratégie pacifiste qui, à terme, aboutira à une paix juste.
Les Palestiniens sont dotés d’une volonté irréductible de survie qui finira par vaincre. Le mouvement de résistance non violente a toujours apporté la preuve de l’engagement indéniable de notre peuple en faveur d’une évolution pacifique et démocratique.
Les Palestiniens sont parfaitement conscients de la nécessité d’une réforme institutionnelle interne. D’ailleurs, la notion de « réforme » a évolué au fil des ans. Quiconque, de l’extérieur, s’intéresse effectivement à la paix et à la résolution non violente du conflit avec Israël devrait s’employer à lutter pour mettre fin à la violence et à la répression exercées par l’État hébreu, et faire tout ce qui est en son pouvoir pour assurer la tenue d’élections libres en Palestine, sous l’égide d’une nouvelle commission électorale indépendante.
Donnez un chance au pacifisme ! C’est tout ce que nous vous demandons ! »
L’auteur de ce texte est membre (non-inscrit) du Conseil législatif palestinien. Au cours de ses vingt-deux années d’exil en Jordanie, il a publié plusieurs livres sur les conséquences juridiques de l’administration imposée par Israël sur les Territoires occupés. Depuis qu’Israël l’a autorisé à retourner en Cisjordanie, il a été soutenu massivement par la population lors des élections et fut nommé ministre de l’Agriculture de l’Autorité palestinienne en 1996.