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L’ISRAELIENNE SHULAMIT ALONI : « COMME LES ALLEMANDS, NOUS NE VOULONS PAS SAVOIR »

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6 avril – Une interview de l’avocate et militante pacifiste israélienne Shulamit Aloni, qui désespère de l’aveuglement de ses compatriotes (repris du site aloufok).


 » Comme les Allemands, nous ne voulons pas savoir  »
Entretien avec Shulamit Aloni *
Shulamit Aloni, à quoi voulez-vous en venir en disant que vous comprenez les Allemands ?
Dans ce pays, on rencontre aujourd’hui des gens qui disent : « je ne veux pas savoir, je ne lis pas les journaux. » Si les gens ne sont pas prêts à lire Gidéon Lévy et Amira Hass [reporters du Ha’Aretz dans les territoires occupés], c’est simplement parce qu’ils ne veulent pas savoir ce qui se passe. Ils ne disent pas que les articles écrits par ces deux journalistes ne sont pas corrects, mais simplement qu’ils ne veulent pas savoir.
Nous n’avons pas accepté que les Allemands disent « nous ne savions pas » et cela nous a, à juste titre, rendu furieux. Ils ne voulaient tout simplement pas savoir. Ils étaient derrière le Führer et ils admiraient leur armée. Chez nous aussi, les gens ne savent pas et ne veulent pas savoir. Ce qu’ils savent, c’est qu’ils doivent se montrer patriotes. Et quoi de plus patriotique qu’une guerre ? Et on hisse le drapeau dans les écoles. Et on apprend l’hymne national. Il y a même cette imbécile [Limor Livnat, ministre de l’Education] qui a proposé d’inscrire sur les murs des classes : « Elohim yaazor lanou » [« Dieu nous viendra en aide »]. Ne sait-elle pas que, sur le ceinturon des soldats nazis, il était inscrit : « Dieu est avec nous » ? Il règne ici une hystérie de patriotisme et les gens ne disent plus rien.
Vous ne choisissez pas la simplicité en faisant une telle comparaison …
Notre société est rongée par l’insensibilisation et par l’exaltation de la force. Je suis effrayée par notre effondrement moral. Je suis effrayée par notre arrogance et par la facilité avec laquelle nous tuons et assassinons des Palestiniens. Je suis effrayée de ce que l’on a pu arracher 4 000 oliviers dans les Territoires sans que cela provoque de remous. Je ne peux trouver le repos quand je vois la muraille que nous sommes en train d’ériger. Nous volons la terre à des gens qui vivent en ce lieu précis depuis des siècles. Lorsque les camarades d’Arik Sharon ont vu leurs terres expropriées, ils ont reçu des indemnités énormes. Nous sommes en train de détruire des serres, des plantations et des infrastructures vitales pour trois millions de personnes, et nous nous persuadons que c’est nous la victime.
Quand nos tireurs d’élite tuent des gens, je ne peux vivre avec ça. Je ne peux admettre que nous ne cessions de ressasser que nous sommes la victime et que nous ne fassions pas notre examen de conscience. Il faut comprendre que nos bombardements aériens ne sont pas moins sanglants que leurs attentats. Pendant que nous pleurons nos 900 morts, nous ne nous souvenons pas que nous avons tué 3 000 civils palestiniens. Nous sommes violents, nous nous mentons à nous-mêmes, notre exaltation de la force nous ronge. Et nous nous disons une démocratie. Il ne peut y avoir de démocratie quand on domine trois millions de gens qui n’ont pas de voix. Nous n’essayons même pas de comprendre que ce que les Palestiniens veulent, c’est la souveraineté et les droits de l’Homme.
D’où vient cette insensibilisation dont vous parlez ?
Notre insensibilité morale absolue découle de notre domination. Quand le général [Amos] Yadlin, qui dirige le Collège de la Sécurité Nationale, écrit un article dans lequel il juge moral de tuer des femmes et des enfants lors de nos liquidations ciblées, et quand quelqu’un comme le professeur Assa Kasher [philosophe à l’Université de Tel-Aviv] soutient cette position, il y a un problème. On retient des Arabes israéliens à l’aéroport international et on casse leurs bagages ; il est de plus en plus courant de retarder des militants de gauche pour les forcer à se taire. Pourquoi ? Que nous arrive-t-il ? Mais les gens se taisent pour ne pas avoir d’ennuis.
Il y a ici des phénomènes dont il y a lieu de s’inquiéter. Pourquoi n’a-t-on pas ouvert d’enquête après la mort par écrasement de la manifestante américaine Rachel Corey ? Pourquoi le gouvernement n’empêche-t-il pas cela ? Pourquoi n’enquête-t-on pas sur les soldats qui abattent des journalistes ? Pourquoi couvre-t-on ceux qui ont la gâchette facile ? L’armée utilise des tireurs d’élite qui s’exercent en tirant sur des Arabes. L’effondrement moral de notre société est la conséquence directe de ce qui se passe dans les Territoires. Nous sommes responsables du sang juif versé.
Qu’est-ce que cela signifie ?
Dans Yediot Aharonot, Nahum Barnéa a un jour écrit que Sharon lui avait dit : « le sang juif est le ciment le plus efficace pour maintenir le consensus national. Quand le terrorisme diminue, les interrogations apparaissent, les critiques se font entendre et l’amertume grandit. Lorsque la terreur ne s’exerce pas, notre société se relâche et perd son panache. » Je vous le demande, n’était-il pas évident que nos opérations brutales dans la Bande de Gaza ne pouvaient entraîner que des représailles ? Tout le monde savait qu’il y aurait une réaction. Alors qui est responsable du sang juif ? Nous-mêmes. Nous mobilisons toute la force dont nous disposons. Ils font régner la terreur et nous la leur rendons au centuple. Notre stratégie est une stratégie de la force, pas de la détente. Si nous avions joué la carte de l’apaisement, nous n’aurions pas fait de sale coup à Abou Mazen lorsqu’il a été nommé Premier ministre [de l’Autorité palestinienne]. Aujourd’hui, tout le monde dit que l’armée et le gouvernement israéliens ont fait échec à Abou Mazen et que ça a été une erreur. Mais il y a chez nous un véritable culte de l’armée, comme si l’armée était une valeur en soi, la clé de notre union et de notre existence. Dans ce pays, ce n’est pas l’Etat qui a son armée, mais l’armée qui a son Etat.
Que voulez-vous dire ?
On vient d’acheter des avions extrêmement sophistiqués pour plusieurs milliards. Qui en avait besoin ? Cet argent, on aurait pu le consacrer à la santé et aux pauvres. Nous avons la paix avec l’Egypte et avec la Jordanie. La Syrie veut la paix et est hors jeu. L’Irak n’est pas une menace et l’Iran est le problème de la communauté internationale. Mais Shaul Mofaz gesticule et menace les Iraniens, en persan, de bombarder leur réacteur atomique [le ministre de la Défense israélien est d’origine iranienne]. Qu’est-ce qui lui prend ? Depuis 37 ans, la paranoïa juive fait l’objet d’un lavage de cerveau. On nous dit qu’on veut nous exterminer. Qui ça, « on » ? Nous sommes en paix avec l’Egypte et avec la Jordanie, et ces deux pays ne nous menacent plus. Et les Palestiniens, ils vont peut-être nous jeter à la mer ? La guerre actuelle n’est pas une guerre de survie mais une guerre coloniale.
Quand vous dites que tout le monde se tait, vous englobez la gauche israélienne ?
Oui. Il n’était pas juste que des membres de la gauche prennent position contre les objecteurs de conscience. Dans un Etat moralement perverti et dans un pays où l’on fait accoucher les femmes sur le bord de la route, on devrait être fier de nos objecteurs plutôt que des les attaquer. Mais on préfère rester sage et montrer son patriotisme. Je me considère comme une patriote et c’est être patriote que protester contre la dépravation morale qui s’empare de nous. On me dit qu’il faut être populaire et populiste, qu’il faut coller à la masse. Dans le monde entier, on réprouve le nationalisme. Chez nous, on en fait un étendard. Tous les partis politiques sont fautifs. Il y a un tel attrait pour le pouvoir qu’à gauche, on croit que le pouvoir sera reconquis en épousant l’esprit de la droite.
L’élection de Yossi Beilin à la tête du Yahad, et donc de la gauche, changera-t-elle quelque chose ?
Je ne vois rien pour l’instant. Je suis hors du coup et je n’ai pas de conseils à donner, parce que je n’ai plus de responsabilités politiques. Je soutiens Yossi parce qu’il est déterminé dans son combat pour la paix. Je ne crois pas que nous pourrons restaurer la société israélienne selon les valeurs de la liberté, de la justice et de la paix sans faire d’abord la paix.
Croyez-vous que la gauche soit sur la bonne voie ?
Je ne suis pas croyante. Je ne crois plus. J’espère seulement qu’il y aura une dynamique. Mais cette dynamique n’existera que si Ran Cohen [chef de file de l’aile sociale du Meretz], Beilin et Jammous [« Buffle », surnom arabe du député Haïm Oron] et toute la bande commencent d’abord par se bouger. Ces derniers temps, les seules voix que l’on a entendues au Meretz étaient celles de Zahava Galon et Roman Bronfman [dissident démocrate du parti populiste russophone de Nathan Sharanski]. Et leurs voix semblaient bien isolées. Il faut se bouger, reprendre langue avec toutes les organisations de lutte pour la paix, attaquer directement le gouvernement, s’exprimer dans la rue et oser rompre avec le politically correct. Il faut dire la vérité : notre combat contre les Palestiniens est un combat colonial et nous commettons des choses horribles. Il faut reconnaître que nous aussi nous avons fait exploser les Britanniques à l’époque où ils occupaient le pays.
Il faut montrer que l’on prend l’argent des pauvres pour l’investir dans les Territoires. Il faut emmener dans les Territoires les gens de Dimona et Yeroham [villes de développement touchées de plein fouet par la crise économique et la cure ultra-libérale imposée par Binyamin Netanyahou] et leur montrer que c’est avec leur argent que l’on construit ces belles maisons aux toits verts [des colons], ces routes splendides et cette clôture monstrueuse. Qu’ils voient la réalité et qu’ils ne puissent plus dire après cela qu’ils ne savaient pas. Qu’on montre tout cela à ces gens qui ne perçoivent plus de salaires depuis des mois et ils cesseront de voter Likoud.
Vous voyez-vous revenir à la vie politique ?
Je ne me vois pas revenir. Je fais entendre ma voix, je m’agite et j’écris des articles. Mais je ne reviendrai pas. Je ne suis pas nostalgique. Le fait que Sharon et Pérès, à leur âge, soient encore là est décourageant. Il est temps de laisser la place à une nouvelle génération se développer. Mais voyez ce qu’on a fait à Mitzna…
De Barak et Netanyahou, lequel est un dirigeant convenable ?
Ehoud Barak a été une véritable catastrophe et j’espère qu’on ne le laissera pas remettre les pieds en politique. S’il est tombé, c’est à cause de ses combines. Barak n’a pas compris l’état d’esprit du peuple. Quand on lui criait « Rak bli Shas ! » [« Tout sauf le Shas », parti ultra-orthodoxe sépharade et oriental alors dirigé par le très populaire et populiste Arieh Deri], il n’entendait pas. Résultat, nous avons maintenant le Shinouï [parti laïque de droite, populiste, xénophobe et anti-oriental]. Il a amené catastrophe sur catastrophe. Il n’a pas appliqué les accords [israélo-palestiniens] que le gouvernement israélien s’était engagé à appliquer. Il est allé jusqu’à se moquer d’un Netanyahou qui avait donné Hébron [aux Palestiniens] et s’est même vanté de n’avoir, lui, rien donné. Je n’accepte pas sa politique économique mais, au moins, Netanyahou est conséquent. Barak ne faisait que parler.
Propos recueillis par Attila Somfalvi ( attila-s@y-i.co.il )
Traduit de l’hébreu par Pascal FENAUX ( pfenaux_courrierinternational@yahoo.fr )
Reference : http://www.ynet.co.il/home/0,7340,L-2369-2890816,00.html

( * ) Née en 1928 à Tel-Aviv, Shulamit Aloni est avocate et publiciste de formation. Membre du Palmah [milice nationaliste de gauche] durant la guerre de 1948, elle fonde dans les années 60 le Ratz – « Mouvement israélien des Droits civiques » – et siège un temps comme députée travailliste à la Knesset. En 1973, elle transforme le Ratz en parti politique et quitte le Maarakh – « Cartel » composé de l’Avoda travailliste, du Mapam sioniste socialiste et de ligues villageoises arabes. En 1988, un deuxième gouvernement d’union nationale composé du Likoud et du Maarakh organise la répression du soulèvement palestinien dans les territoires occupés, ce qui provoque l’explosion du Maarakh suite au départ du Mapam et des ligues arabes. En 1990, le Ratz s’allie au Mapam et aux libéraux indépendants du Shinouï – « Mouvement pour le Changement » – pour former le Meretz – « Parti démocratique d’Israël ». Lorsque le Parti travailliste de Yitzhak Rabin et Shimon Pérès revient au pouvoir au printemps 1992, le Meretz rallie la coalition gouvernementale et Shulamit Aloni obtient les portefeuilles de la Culture, des Communications et de l’Education.
Minée par des conflits récurrents avec Yossi Sarid, autre figure de proue du Meretz, elle démissionne de toutes ses fonctions juste avant la victoire des droites nationalistes et religieuses de Binyamin Netanyahou au printemps 1996. En accueillant en son sein les dissidents travaillistes du Shahar – « Paix, Education et Progrès » – emmenés par Yossi Beilin, le Meretz s’est transformé en Yahad – « Ensemble » ou « Israël social-démocrate ». Lors des élections de la présidence du Yahad, Ran Cohen, activiste social et oriental, affrontait Yossi Beilin, négociateur des accords israélo-palestiniens d’Oslo (1993) et du pacte de Genève (2003). Aloni a alors choisi de soutenir publiquement Beilin. Depuis qu’elle a retrouvé sa liberté de parole, ses interventions publiques suscitent polémique sur polémique.
Archivé sur http://www.aloufok.net/article.php3?id_article=1141
www.aloufok.net

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