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LE TEMOIGNAGE DU PALESTINIEN ABED AL AHMAR, DETENU PENDANT 11 ANS SANS JUGEMENT EN ISRAEL

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« Avoue quelque chose ! Allez, avoue juste un petit quelque chose, bon sang ! »
Le témoignage hallucinant du Palestinien Abed Al Ahmar,
détenu pendant onze ans sans jugement par Israël, publié par Gideon Levy, dans le quotidien israélien Ha’aretz.


[Au total, Abed al-Ahmar a passé onze années en prison, sans jugement, ce qui fait de lui le recordman de la détention administrative en Israël. Rendu il y a peu à la liberté, il nous parle de téléphones portables clandestins, de cotes de veau surgelées et autres merveilles de la vie carcérale.]

Quds se met à pleurer, au moment où sa mère le passe aux bras de son père. A notre connaissance, Quds est le seul bébé palestinien à porter le nom de la ville de Jérusalem (en arabe). Il a un an et demi et, la semaine passée, son père l’a tenu dans ses bras pour la première fois. Non. En réalité, c’était la seconde fois. En effet, alors qu’il n’avait que quelques mois, l’officier de la sécurité de la prison avait permis à son père de le tenir dans ces bras pour quelques minutes, contrairement au règlement. Mais ce n’est qu’à la fin de la semaine dernière que le père et l’enfant purent se toucher sans aucune entrave, et, donc, bien sûr, Quds se mit à pleurer quand son étranger de père le prit dans ses bras.
« Il doit me prendre pour un téléphone portable », expliqua le père. Quds est né quelques mois après l’arrestation de son père – après la ré-arrestation de son père. Abed al-Ahmar, du camp de réfugiés de Dheïsheh, en bordure de Bethléem, a effectué la plus longue période de détention administrative (il s’agit d’une incarcération sans aucun procès), dans l’ absolu.
Il a passé, au total, onze années de ses trente-sept années d’ existence dans diverses prisons israéliennes, sans qu’il y ait procès et, donc, sans avoir été accusé ni jugé coupable de quoi que ce soit. Amnesty International l’a déclaré « prisonnier de conscience ».
Très difficile de comprendre pourquoi Israël vient le chercher chez lui, de temps à autre ?. A la fin de la semaine passée, il a été relâché pour la énième fois, après vingt mois d’affilée supplémentaires d’incarcération.

A l’attendre, chez lui, se trouvaient Allegra Pacheco, une Israélienne juive d’origine américaine, son avocate dévouée devenue sa femme ; ses vieux parents et le petit Quds. Ah oui : il y avait aussi quelque trois mille autres personnes qui ont dansé jusque tard dans la nuit du vendredi sur une piste de danse improvisée installée dans la cour de leur maison en pierres de taille, à Bethléem, en bordure du camp de réfugiés de Dheïshéh.
Tard, un soir de novembre 2002 – quatre mois qu’ils étaient mariés – Allegra fut tirée de son sommeil par des bruits de bottes de soldats israéliens. Son mari continuait à dormir. Il était convaincu qu’en aucun cas il ne se ferait à nouveau arrêter à nouveau si rapidement, après seulement quelques mois de liberté. Après avoir vérifié la carte d’identité d’Ahmar, un soldat dit : « Le colis que nous recherchons n’est pas ici. » Mais ils reconsidérèrent la question, à la suite de l’intervention d’un certain « Yunes », chef du service de sécurité Shin Bet à Dheïshéh et à Doha. Au cours d’un bref interrogatoire au commissariat d’Etzion, on lui a posé des questions au sujet du Hamas. Par le passé, on l’avait en permanence accusé d’appartenance au Front Populaire, mais cette fois-ci, allez savoir pourquoi, c’était : le Hamas.
On était en plein mois sacré de Ramadan, mais Ahmar prit une cigarette et demanda du feu à son tourmenteur. « Tu peux nier autant que tu veux, on sait tout », dit le tourmenteur à l’hérétique qui fumait pendant Ramadan et était accusé de recruter des activistes pour le compte du Hamas.
Ce fut le premier, et quasiment l’unique interrogatoire qu’il eut à subir durant les vingt mois suivants, à l’exception d’une autre conversation, très brève, avec « Nimrod », à travers la grille, au centre de détention d’Ofer.
Ahmar dit que « Nimrod » lui a suggéré d’avouer.
«Admets que tu appartiens à une organisation. Avoue quelque chose. Avoue un petit quelque chose, je sais pas quoi, moi : on t’en accusera, et tout ce cauchemar prendra fin. Tu sais qu’on peut créer de l’information, à ton sujet ? Nous avons des collaborateurs : ils sont prêts à déclarer n’importe quoi. »
Sa détention fut prolongée de huit jours, puis encore de quatre, et il était persuadé qu’ il allait bientôt pouvoir rentrer chez lui. Puis le verdict tomba : six mois de détention administrative ! « J’eus la sensation qu’ils étaient devenus fous et qu’ils allaient briser nos vies », se souvient-il.
« Je pensais qu’il y avait eu une erreur, quelque part, et que le juge d’appel me libèrerait immédiatement. Puis le juge confirma les six mois de détention, et j’ai pensé faire à nouveau appel, pensant que la prochaine session serait peut-être la bonne, et que le juge annulerait peut-être la décision. Mais l’appel fut une fois encore rejeté. Je pensais en moi-même : six mois vont passer, les choses vont se calmer. Et puis je me suis pris encore six mois. Et encore six mois. Et encore six mois. Six fois six mois. Jusqu’à ce que finalement le juge indique qu’il fallait laisser tomber deux mois, parce qu’il n’y avait « pas d’élément nouveau ».
Ils m’ont suspecté et ils m’ont suspecté, onze années durant, mais ils n’ont rien trouvé contre moi. Après sa détention à Etzion, il a été transféré au centre Ofer, qui est situé sur l’Autoroute 443 vers Jérusalem. Il a été chargé d’assurer l’ interprétariat pour le médecin de cette prison.
Depuis des années, Ahmar était un militant des droits de l’homme et animateur social, et il maîtrisait bien l’hébreu. Au lendemain des incursions de l’armée israélienne, principalement à Jénine, beaucoup de Palestiniens blessés étaient incarcérés au centre Ofer, et le personnel médical était débordé.
Ahmar a un excellent souvenir de deux médecins, Valéry et Nikolaï : « Ils avaient une attitude humaine envers les gens, et ils veillaient à ce qu’ils soient soignés. Ils n’étaient pas racistes pour deux sous.
Parfois, dans la prison de Dahariya, nous avons été battus à coups de bâton par des médecins et des infirmiers. Un médecin a badigeonné entièrement le corps de mon frère en blanc, après quoi il l’a obligé à rester debout en plein soleil, si bien qu’on a dû l’hospitaliser. C’était en 1992. Il y a des toubibs et des infirmiers qui disent : « Prends un cachet d ‘aspirine ! », et c’est tout. Mais Valéry et Nikolaï, c’était autre chose : eux, ils soignaient les gens. »
A la prison, il y avait aussi des gardes humains, comme celui qui est allé chez la cousine de sa femme, à Tel Aviv, et qui a fait entrer illégalement à la prison les premières photos qu’il ait jamais vues de Quds, âgé alors de seulement quelques semaines, pour que le papa puisse voir à quoi ressemblait son fils. Tiens, voilà l’album des photos passées en contrebande – on le parcourt page après page, comme n’importe quelque album de photos de bébés : Quds dans la baignoire, Quds en train de brailler. Tiens, une petite différence, toutefois : sur cet album, là, au lieu du titre habituel, il y a marqué : « Photos introduites clandestinement dans la prison ».

Nous étions 22 prisonniers etdétenus «administratifs», sous une tente en plastique qui devenait une serre horticole, en été. « Tu pousses comme un concombre, ou un plant de tomate », plaisantaient entre eux les prisonniers. Trois douches et trois WC pour quatre-vingt personnes. Les conditions, à Ofer, ont été améliorées, tout récemment, après une lutte tenace menée par les représentants des quelque neuf cents prisonniers incarcérés là-bas. Mais le problème numéro un reste celui des visites. Durant les vingt derniers mois d’incarcération d’Ahmar, sa mère, une dame âgée que les visites dans les prisons semblent suffire à rassasier, n’a reçu qu’une seule autorisation de rendre visite à son fils.
Les responsables de la prison ont décrété qu’ils n’étaient pas certains qu’elle était bien sa mère. « J’avais dix-neuf mois devant moi pour leur prouver que c’est ma mère. Je n’y suis toujours pas arrivé. Ils disaient : « Ce n’est pas ta mère ! » Il y a plus de cent détenus qui doivent prouver que leur mère est leur mère et que leur père est leur père. Imaginez : vous êtes en prison, et voilà que quelqu’un vient vous dire : « Prouve que Monsieur est bien ton père ! ». Vous diriez quoi, vous ? » Réglementairement, les visites sont espacées d’au moins deux mois.
Après des heures d’attente sous le cagnard ou sous la pluie, Quds finissait par arriver, avec sa mère : généralement, ils s’endormait sur son bras. Une fois, un des officiers demanda à Ahmar : « Tu penses à ton fils ? Tu veux le voir ? ». Quelques jours après, il organisa une visite de la famille tout près de l’enceinte de sécurité, et non pas en passant par le portail, selon le règlement : Ahmar put alors toucher son enfant, pour la première fois. Mais l’officier leur demanda d’abréger les effusions. Il faisait très chaud, et « cette rencontre fut bien trop brève pour une rencontre familiale », dit l’épouse d’Ahmar. Les parents d’Ahmar sont venus le voir une fois, son épouse et son fils deux ou trois fois, et ses jeunes neveux une fois. Voilà qui explique le règne du téléphone mobile, en prison. Ahmar dit que le régime des visites, draconien, est seul responsable de la coupure entre les prisonniers et leur famille.
« Dans la prison, il y a un nombre incroyable de téléphones mobiles. Nous sommes à l’affût de toutes les « forfaits incroyables » proposés par les compagnies. Et maintenant, il existe même un « family deal », offert par Cellcom [un des trois principaux opérateurs de téléphonie cellulaire en Israël]. Tu ne peux appeler qu’un seul numéro, toujours le même, et tu paies 35 shekels par mois. Tous ceux qui parlent l’hébreu appellent la compagnie et s’abonnent. Si la réception est mauvaise [en raison des brouillages opérés par les autorités carcérales afin d’empêcher l’utilisation des mobiles], on peut composer un code afin de l’améliorer. Ce code change, mais il est immédiatement répercuté dans l’ensemble de la prison. Quiconque découvre l’info passe la consigne, tout de suite. Il y a des choses que l’on sait d’expérience, et d’autres que connaissent des gens qui ont travaillé dans la téléphonie : des techniciens incarcérés eux aussi, parmi nous. Parfois ils appellent un agent de Cellcom à Naplouse ou à Hébron, et ils lui demandent le tuyau dont on a besoin. Mais, le plus souvent, c’est la « débrouille ». On met le portable dans de la mousse polystyrène, ou bien on le place dans un arbre, histoire de voir si la réception est meilleure. On fait des antennes avec du fil électrique, on tente de déplacer le mobile, de l’incliner, lentement, jusqu’à ce qu’on ait trouvé la meilleure orientation. « Alors ils installent de nouveaux appareils de brouillage électronique, et nous, nous trouvons de nouvelles parades. Dans chaque tente, certains prisonniers sont désignés pour tester toute la superficie, centimètre carré par centimètre carré (je devrais dire : tout le volume, centimètre cube par centimètre cube.), du tapis de sol jusqu’au toit, jusqu’à ce que la communication passe. Nous changeons de position, nous-mêmes, et nous cherchons, jusqu’à ce que nous finissions par trouver. En haut, ça va : on reçoit. Mais comment placer (et maintenir) votre oreille à trois mètres de hauteur ? C’est là où le haut-parleur qu’ont certains téléphones est vachement pratique ! Alors on s’arrange pour accrocher un mobile avec haut-parleur à trois mètres du sol. Il y a des types spécialisés dans ce genre d’installation. Si vous avez un problème avec votre portable, vous l’ envoyez à Mohammed, au bloc 4 : il vous le répare, et il vous le renvoie. Vous n’avez plus qu’à lui faire passer quelques cigarettes pour le service rendu. « Quand ils ont ouvert le nouveau centre de détention, la prison de Gilboa, près de la prison de Shatta, ils ont installé du plastique, sur le sol, pour que les prisonniers ne puissent plus creuser pour planquer leur mobi. Les prisonniers là-bas nous ont écrit pour nous demander conseil sur ce qu’ils pourraient faire. La plupart sont des prisonniers récents. Nous leur avons suggéré de faire rentrer clandestinement de la peinture et de peindre le plastique, pour qu’on ne puisse pas remarquer une déchirure éventuelle. Ils sont en train d’examiner sérieusement la question, ces jours-ci.
« Une fois, j’ai commandé des pizzas pour l’officier de sécurité, à la prison de Megiddo. Je lisais le Yedioth Ahronoth (un quotidien israélien en hébreu), et c’est alors que j’ai vu une publicité pour un marchand de pizzas d’Afula. C’est à côté de Megiddo. Alors j’ai eu l’idée de commander des pizzas pour l’officier de sécurité. J’ai appelé le pizzaiolo et j’ai commandé cinquante pizzas, pour faire bonne mesure. L’officier de sécurité est venu me trouver tout de suite, parce que tout le monde sait que je parle hébreu. Il a dit : « On va te confisquer ton portable ». Il était vraiment hors de lui, et très menaçant. Mais il n’a pas trouvé mon portable. « Autour de notre aile, il y a une barrière. Faut pas croire : nous avons nos vigies, à nous… S’ils voient beaucoup de gardiens et un radiogoniomètre, nous savons qu’ils cherchent quelque chose. Nous enveloppons nos portables dans un chiffon, ou bien nous le dissimulons à l’ intérieur d’une éponge, et nous le jetons dans l’enceinte de l’aile voisine. Quand tout danger est écarté, les copains d’à côté nous relancent nos mobis. Ils [les autorités] le savent. Mais ils ont déclaré forfait. Ce qu’ils recherchent, en ce moment, ce sont des tunnels. J’ai dit à un flic [= un gardien] un peu lourdingue qu’il y avait un tunnel sous le bloc 9. Il y est allé : il a même amené avec lui d’autres gardiens. Et ils ont cherché ! Une fois, il y avait un tunnel de dix-huit mètres de long, à Ofer, et quatre copains se sont échappés. Avant de faire la belle, ils ont dit aux autres que tous ceux qui voulaient se barrer devait en profiter. Mais la plupart des détenus avaient des condamnations de courte durée, alors ils ont préféré rester. Le tunnel avait été creusé à la petite cuillère. C’est une question de volonté : il a fallu des mois. Parfois, certains profitent du brouillard, et ils découpent les barbelés à la cisaille. « Vous savez, un détenu, c’est quelqu’un qui est là, assis, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Alors, que fait-il, le détenu ? Je vais vous le dire : il réfléchit !
C’est un autre monde, différent de tout ce que vous connaissez. Cet univers particulier a ses règles et ses normes propres. A cet égard, arrêter quelqu’un comme moi, qui ai beaucoup d’expérience, c’est très mauvais pour eux. C’est une expérience qui se transmet de génération à génération et de prison à prison. Dans trois prisons différentes – Ketziot, Ofer et Megiddo – j’étais le recordman de la durée de détention. A trente-sept ans, à la fois le plus jeune et le plus vieux.
« La nourriture est infecte. Si vous êtes encabanés pour vingt ans, vous boufferez des schnitzel [cotes de veau NdT] pendant vingt ans. C’est un truc qui ressemble un peu à de la sciure. Parfois ils vous en amènent qui sont encore à moitié congelés. Aujourd’hui, il y a une cuisine. Après avoir mangé toujours la même chose pendant un certain temps, vous avez l’ impression que vous mangez du papier. Vous perdez le sens du goût. Désormais, nous avons l’autorisation de faire venir de la nourriture de l’ extérieur, c’est ce qui nous a sauvés. « Vous devez vous lever à six heures du mat’, pour l’appel. Les prisonniers reconnus coupables ont tout le temps de lire. Et puis vous allez à des réunions politiques. Dans chaque aile de la prison, il y a un responsable chargé de l’éducation. Des vétérans font des conférences aux nouveaux venus sur la politique, l’Intifada. Et puis il y a les types du Hamas et du Jihad islamique, qui assistent à des conférences de théologie. Les détenus administratifs n’y assistent pas, parce que quiconque, dans leur cas, assisterait à des cours ou à des réunions politiques verrait sa détention prolongée. Il y a des collaborateurs, qui caftent les autres. Il y a des gars trop naïfs, qui disent au téléphone qu’ils ont parlé à Untel ou Untel. Nous sommes sur écoute, et nous savons quand les autorités de la prison nous espionnent : le son change imperceptiblement. Alors, on raccroche, ou bien alors on échange nos mobiles avec un pote. « Chaque prisonnier a en moyenne une trentaine de numéros différents. On fait même des transferts entre la prison d’Ofer et celle de Ketziot. Le numéro que j’ai utilisé pour vous appeler est maintenant celui d’un prisonnier à Nafha. Essayez, pour vérifier. « Cellcom est la compagnie leader, dans les prisons : ils ont beaucoup de forfaits intéressants.
« Pourquoi les prisonniers font-ils preuve d’une telle ingéniosité ? C’est parce que nous avons été très longtemps privés de visites de nos familles. Des années durant,je n’ai jamais eu l’idée de me procurer un mobile. Mais après avoir tenté, en vain, durant plus de vingt mois, de prouver que ma mère était bien ma mère. Là, vous pensez au téléphone mobile, croyez-moi. Il y a des prisonniers qui n’ont pas vu leur famille durant trois ans. Et puis ils ont pensé à une solution, et ils l’ont trouvée. Les prisonniers sont inventifs. Quelqu’un qui n’a pas vu sa famille depuis trois ans fera n’ importe quoi. Il est prêt à marcher main dans la main avec le Diable en personne. Maintenant, ils ont des téléphones mobiles avec transmission d’ image. Quelqu’un dont la mère est mourante pourra la voir pour la dernière fois. Si nous pouvons introduire l’internet à la prison, nous le ferons, croyez-moi. S’ils n’ont absolument aucune considération pour nos sentiments et qu’ils se contentent de nous opprimer, qu’on ne s’attende pas à ceque nous ne trouvions pas une solution.
« La mère d’Amin est décédée. Amin est un prisonnier originaire du camp (de réfugiés NdA) d’Al-Am’ari. Sa mère était une réfugiée de Lod. Je ne l’ai jamais vue qu’à travers les grilles, à la prison de Jenaid et à celle d’ Ashkelon. Elle nous disait toujours de ne pas nous en faire, qu’un jour nous retournerions à Lod. Elle est tombée malade, et elle était mourante. Amin a é té informé, grâce au téléphone mobile, que sa mère se mourait. J’ai écrit au commandant des unités de l’armée israélienne stationnées dans l’Ayosh [cet acronyme désigne la région de Judée-Samarie], pour lui demander qu’Amin soit autorisé à aller voir sa mère. Il n’avait plus que quarante jours à tirer, avant le terme de sa condamnation. Mais Amin n’a été libéré qu’après que sa mère était morte et enterrée. Si nous avions eu un mobile qui transmette les photos, Amin aurait pu au moins voir sa mère. D’autres prisons ont déjà des mobiles avec images, mais à Ofer, il n’y en a pas encore. Le problème, c’est la grosseur des téléphones. Parfois, ils sont trop gros, et cela rend le passage en contrebande plus difficile. Quelqu’un a entendu dire qu’à Abu Dhabi [un pays du Golfe] on peut acheter un mobi qui est tellement petit qu’il ressemble à un stylo. Tout le monde était aux anges. Vous ne pouvez pas imaginer à quel point ils étaient heureux d’ entendre cette bonne nouvelle !
« Mais le plus dur, c’est le « pourquoi » vous êtes là. Même si vous étiez prisonniers dans une belle villa, ce serait la même chose. Vous pourriez avoir des barreaux en or massif : à quoi bon ? Vous ne vivez pas. Vous êtes contraint en tout. Vous ne pouvez pas faire ce que vous voulez. Vous ne pouvez même pas manger ce que vous voulez. Il y a en permanence quelque chose qui contrôle votre vie, et tout ça, absolument pour rien. J’ai toujours l’impression que c’était la dernière fois, mais eux, ils ne disent jamais « pouce ». Ils poussent les gens à l’intérieur du cercle.
Quds a déjà vu – à son âge ! – des grenades incapacitantes. Quand il est venu me voir, ils (les gardiens) ont dit : « Voilà une graine de terroriste ! » Ils catégorisent les gens dès la plus tendre enfance. Sigmund Freud lui-même n’était pas capable de dire ce que des bébés de son âge allaient devenir plus tard. Piaget non plus. Mais, eux, les gardiens de prison israéliens, apparemment : ils le savent !. »

Un article de Gideon Levy, dans le quotidien israélien Ha’aretz du 6 août 2004. Traduit de l’anglais par MC pour http://quibla.net.

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