L’historien et journaliste Dominique Vidal, qu’un responsable du Mémorial de la Shoah avait tenté de censurer, a finalement pu prendre la parole normalement, mercredi soir, devant un nombreux public, dans le cadre d’une rencontre à la FNAC de la Place d’Italie (Paris XIIIème), sur le thème « Les historiens allemands et la Shoah ».
Cette réunion était co-parrainée, outre la librairie, par plusieurs institutions, dont le Mémorial de la Shoah. Mais quelques jours avant l’événement, le directeur du Mémorial, Jacques Fredj, déclarait qu’il ne voulait pas de la présence de Dominique Vidal.
Motif invoqué ? Le fait que Dominique Vidal, rédacteur-en-chef adjoint du Monde Diplomatique, soit un intellectuel intervenant souvent sur le conflit israélo-palestinien, de manière engagée, puisqu’il milite clairement pour la reconnaissance des droits nationaux du peuple palestinien.
Or, selon Fredj, il n’est pas sain de mélanger la « Shoah » (le génocide des Juifs) et le conflit du Proche-Orient.
Nous ne pourrions que saluer l’expression d’une telle sagesse intellectuelle et politique, si elle était sincère, ce qui n’est pas le cas.
D’abord, comme le lui a fait observer, par écrit, l’intéressé dans les jours précédant la manifestation, Dominique Vidal se trouve être un historien qualifié pour raconter ou expliquer au public le génocide nazi, et plus particulièrement encore l’évolution de la recherche historique allemande sur le sujet. Il est très précisément l’auteur, comme il l’a rappelé, d’un livre intitulé « Les historiens allemands relisent la Shoah ». Inversement, nous n’avons pas trouvé la trace d’une quelconque intervention de Jacques Fredj, en sa qualité de gardien de la mémoire du génocide, à l’encontre de personnes connues pour leur soutien à la politique israélienne, y compris lorsque ces dernières invoquent le génocide nazi pour justifier les crimes du gouvernement et de l’armée israéliens à l’encontre du peuple palestinien.
Dominique Vidal avait donc décidé de ne pas accepter le diktat, et prévenu qu’il se rendrait au débat, comme prévu.
Ce qu’il a fait, l’émotion suscitée par la tentative de « Berufsverbot » de Fredj ayant amené dans l’Espace-Rencontres de la FNAC un public fourni, de près de 200 personnes.
Le débat entre historiens (Edouard Husson, auteur de « Comprendre Hitler et la Shoah » ; Robert Wistrich, auteur de « Hitler, l’Europe et la Shoah », et Dominique Vidal) a donc pu avoir lieu, pendant deux heures environ.
Il fut de l’avis général très intéressant. Les intervenants avaient entre autres un défi intellectuel à relever : comment, alors que ces dernières années, l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale tend, auprès du grand public, à devenir la seule histoire du génocide des Juifs (après une occultation, ou en tout cas une minoration de ce volet de la guerre dans la période suivant immédiatement le conflit mondial), et que l’intitulé de la soirée portait justement sur ce thème, offrir une perspective plus globale des événements à ce même public ?
Edouard Husson et Dominique Vidal le firent, avec une narration vivante, nourrie d’exemples. Dominique Vidal souligna d’abord que dans l’histoire du nazisme, qui va de 1933 à 1945, le déclenchement de la guerre ouverte, à partir de 1939, joua un rôle formidable d’accélérateur de la politique d’extermination du peuple juif ; que la réalisation de la « solution finale » et de ses 6 millions de victimes fut un mélange d’improvisations, dans cet immense chaos et cette libération des comportements barbares qu’apporte la guerre, et de planification étatique, le chef suprême Adolf Hitler jouant bien entendu un rôle important dans le processus. « Sans la guerre, il n’y a pas de génocide », résuma Dominique Vidal, en datant les étapes les plus importantes : invasion de la Pologne à l’automne 1939, systématisation du génocide lorsque la guerre devient complètement mondiale (1941), etc. Edouard Husson rappela de son côté que le génocide des juifs, en dépit des caractéristiques lui conférant une certaine « unicité », fut contemporain de massacres généralisés, de la part des armées hitlériennes en territoires occupés. Ainsi notamment des soldats soviétiques prisonniers de l’armée allemande, que celui-ci extermina : sur les 5,7 millions de prisonniers militaires soviétiques faits par la Wehrmacht entre juin 1941 et la victoire finale de l’Armée Rouge sur le nazisme en mai 1945, 3,5 millions moururent en captivité, la plupart ayant été purement simplement laissés à mourir de faim par leurs geôliers.