Le quotidien israélien Haaretz fait un reportage sur les exactions des colons de la région d’Hébron et sur le courage de Ezra Nawi, plombier de 53 ans de Jérusalem et membre d’une association anticolonialiste Ta’ayush, qui tente infatigablement de protéger les Palestiniens, aux côtés de pacifistes internationaux, et en l’absence de toute institution israélienne ou internationale pour leur venir en aide.
Ci-dessous de larges extraits de l’article.
Ha’aretz, 5 juin 2005
Une force de protection à lui tout seul
par Nir Hasson
« Un plombier de 53 ans de Jérusalem est devenu une institution à lui tout seul, dévolue à l’aide et à la protection des Palestiniens troglodytes des collines au sud de Hebron. Même les Palestiniens affirment que, sans Ezra
Nawi, ils n’auraient pas survécu dans la région, face aux pressions de l’armée et au harcèlement des colons.
Il y a deux mois environ, des bergers palestiniens de ces collines remarquaient un colon en train de répandre des graines de blé empoisonnées sur les pâturages. Ils réussirent à faire partir leurs moutons à temps (des
dizaines d’animaux de ferme avaient été tués lors d’une attaque analogue), mais le lendemain matin, on retrouvait les cadavres de deux daims sauvages qui avaient mangé ces graines empoisonnées.
Ezra Nawi, un militant de gauche arrivé comme d’habitude ce matin-là pour aider les villageois de Al-Tawani, décida de protester. Il prit l’un des cadavres et le plaça au milieu de la route en direction de Ma’on, la colonie d’où, d’après les Palestiniens, venaient les empoisonneurs. « Je voulais
qu’ils voient les conséquences de leurs actes », dit Nawi. Plus tard, il était interrogé par la police pour « obstruction à l’enquète » en raison de sa
protestation.
Mais cela fait longtemps que Nawi n’est plus impressionné par la police. Il dit qu’il ne compte pas les fois où il a été arrêté, interrogé puis libéré pour son action sur les Collines de Hebron. La dernière fois, c’était il y a
quinze jours, où on l’a soupçonné de s’être fait passer pour un policier afin de pénétrer dans la Zone A, de passer par la Hebron arabe en route vers Tel Roumeida, tout cela pour manifester sa solidarité avec les habitants
palestiniens.
Une zone de conflits durs
Les Collines sud de Hebron sont devenues depuis quelques années une zone de conflits durs entre les Palestiniens (pour la plupart troglodytes, paysans ou bergers) et les colons. Ces six derniers mois, les colons, rattachés à
certains groupes radicaux qui occupent les avant-postes illégaux de la région, ont considérablement intensifié leurs attaques et les harcèlements contre les Palestiniens.
Il y a trois semaines, plusieurs meules de foin étaient incendiées. Quelques heures auparavant, quatre jeunes colons avaient scié les branches de nombreux oliviers. La même semaine, des bergers juifs menaient un troupeau
d’oies et de moutons sur des champs palestiniens semés de lentilles. A Beit Imra, environ 200 oliviers, vieux d’une quinzaine d’années, étaient abattus.
Un champ cultivé non loin de là était passé sous la charrue et détruit par es colons. Et il y a quinze jours, 20 colons armés de bâtons et de pierres agressaient des bergers. Un enfant de 10 ans fut blessé au visage, blessures qui nécessitèrent des points de suture, et trois brebis furent tuées.
Quelques jours plus tard, les colons s’emparaient de 10 jeunes agneaux non sevrés. Les nuits suivantes, les Palestiniens disent avoir entendu les agneaux bêler, sans pouvoir les approcher.
C’est aux volontaires internationaux que les colons réservent leurs attaques les plus violentes. Ces volontaires accompagnent les Palestiniens pour les
protéger du harcèlement. Plusieurs fois, des hommes masqués ont attaqué des enfants palestiniens et des volontaires qui les accompagnaient à l’école.
Plusieurs volontaires furent hospitalisés.
Les attaques des colons contre les Palestiniens de la région sont quotidiennes. Ces religieux fanatiques trouvent des idées de plus en plus malveillantes et destructrices : incendies, destructions de champs cultivés, empoisonnements de champs, d’animaux et de puits, et bien d’autres encore.
La plupart des cas de violences ne sont pas rapportés à la police. Ezra Nawi affirme : « se plaindre à la police est épuisant. Les habitants perdent deux heures pour se rendre au commissariat, on les humilie à l’entrée, on les fait
attendre pendant plusieurs heures, et dans le meilleur des cas, ils reçoivent une note disant que leur plainte a été classée ».
Ezra Nawi, qui parle arabe couramment, coordonne la plupart des actions d’aide aux Palestiniens. Il accompagne des Palestiniens dans son 4×4 pour porter plainte, ou rassemble un groupe de volontaires pour construire un dispensaire, creuser un puits, rénover une école ou rouvrir une grotte
bloquée par l’armée ou par les colons. Il utilise ses compétences professionnelles pour réparer les infrastructures d’adduction dans les villages. Il a aussi organisé les groupes de volontaires étrangers qui
escortent les enfants à l’école ou les bergers aux pâturages.
Il est aussi coordinateur de Ta’ayoush, une organisation judéo-arabe pour les droits de l’homme, dans la région des Collines de Hebron. Il amène des groupes d’Israéliens pour aider des Palestiniens à récolter les olives et pour les protéger. Il aide les Palestiniens à contacter des avocats, des journalistes, tente d’alerter l’opinion internationale. Il fournit leur fournit des caméras vidéo pour témoigner du harcèlement dont ils font l’objet. Récemment, il a organisé une veille de volontaires étrangers qui ont passé la nuit auprès des meules de foin pour empêcher les colons d’y
mettre le feu encore une fois.
Mais l’oeuvre dont il est le plus fier est l’école d’été qu’il a organisée pour les enfants du village. Cette école a ouvert plusieurs fois, avec même un voyage à Jéricho. « Pour la première fois, ces enfants ont vu une piscine et un prestidigitateur. Ils ont aussi vu d’autres Israéliens, qui ne sont ni des colons ni des soldats ».
Malgré son activité incessante, Nawi est loin d’être optimiste. « Depuis mon arrivée, les colonies se sont agrandies, et la pauvreté aussi. Les enfants de 14 ans ont l’air d’en avoir 10. Les attaques contre eux sont de plus en
plus méchantes et cruelles ».
Il y a trois semaines, Nawi a été arrêté et interrogé, soupçonné d’avoir tenté de heurter un soldat après avoir refusé d’obtempérer aux ordres d’un officier de sécurité d’une colonie qui lui demandait de s’arrêter pour inspection. »