Hébron, sans doute la ville la plus dure de Palestine où quelques centaines de colons, épaulés par des soldats, pourrissent la vie de dizaines de milliers d’habitants palestiniens, les agressant en permanence, leur tirant dessus à n’importe quel moment dans la vieille ville devenue impraticable, leur jetant des détritus, au point que peu de gens s’aventurent dans les rues et doivent rester cloîtrés chez eux, que les commerces ont dû baisser leurs rideaux les uns après les autres et que pour aller à l’école à deux pas de chez eux, les enfants, doivent faire de terribles détours pour éviter les attaques de colons ou de soldats.
Sara, militante de CAPJPO-EuroPalestine, qui en revient pour avoir passé l’été dans les territoires palestiniens occupés, nous livre quelques scènes et photos qui continuent à la hanter après son retour.
La Palestine est une grande prison gardée par les colons et l’armée israélienne.
A Hébron nous étions dans la vieille ville en visite chez Abou Sa’r qui nous montrait comment les colons lui bloquaient ses fenêtres et empêchaient ainsi l’air et la lumière de passer dans sa maison.
Nous avons visité également le toit de sa maison d’où nous avions une vue imprenable sur de petits colons qui se sont mis à nous lancer des pierres et nous insulter en nous demandant de rentrer et de nous en fermer dans la chambre .
Nous avons filmé la scène en étant très offusqué par cette dizaine de gamins à bouclettes de 5 à 7 ans nous ordonnant de rentrer dans notre maison-prison. Nous avons obéi aux ordres afin de ne pas causer de problèmes aux gens qui essayaient de résister en restant chez eux.
Nous étions dans la petite pièce sous le toit en train de boire le thé et le café offerts avec joie et généreusement par cette famille très pauvre.
Pendant que le père nous racontait comment sa femme avait perdu à 2 reprises ses deux enfants en accouchant seule à la maison car l’armée empêchait l’ambulance de venir la chercher, leur jeune fille est arrivée en courant pour dire :
– « Ils sont là, ils arrivent, ils sautent sur notre toit ! »
Je cours alors pour voir qui arrive par les toits ?
Et me voilà face à une quinzaine de soldats armés jusqu’aux dents qui me demandent
– « Qui êtes-vous ? Que faites-vous là ? »
– « Je suis invitée pas mes amis et vous qui êtes-vous ? », répondis-je en anglais.
– « Partez ! Je vous dis de partir d’ici ! »
– « Désolée, je suis invitée et je suis passée par la porte contrairement à vous ! C’est à vous de partir. »
D’un regard agressif et sur un ton inqualifiable, l’un des soldats vraisemblablement d’origine marocaine me dit :
-« Donne moi ton appareil photos »
-« Non ! Pourquoi te donnerai-je ce qui m’appartient ! »
Il essaie de m’arracher mon appareil photo mais je m’accroche à lui fermement.
Alors, il fait un geste à ses copains en tendant le bras vers eux pour qu’ils lui donnent un couteau pour couper la corde de l’appareil accrocher à mon coup.
Je reste de marbre accrochée à mon appareil.
Soudain je le vois pointer son M16 dans une direction derrière moi, je me retourne et je trouve mon mari derrière en train de prendre des photos de la scène.
Je leur pose alors la question :
– « Mais qu’est-ce qui vous arrive ? Pourquoi vous êtes là ?
L’un d’eux me répond :
– « Quelqu’un d’ici a lancé des pierres ! ».
– « Non ce sont les petits colons qui ont lancé les pierres sur nous ».
– « Bon ! Donne moi ton passeport » me dit le soldat.
– « Non je ne te le donnerai pas. »
– « Alors je t’emmène au poste. »
– « Ok ! Pas de problème ! Je raconterai à ton supérieur la vérité et lui montrerai les photos des colons lançant des pierres ! ».
– « Je te dis donne moi ton passeport » .
– « Allons au poste ! Je ne montrerai mon passeport qu’à ton chef. »
– « Puisque tu ne veux pas donner ton passeport, on embarque le jeune garçon », dit-il en montrant un gamin de 12 ans, Sa’r, le fils de mes hôtes.
Je tente de l’en empêcher, mais peine perdue, je suis telle une fourmi face aux troupeaux de fauves armés.
Là, le soldat s’adresse dans une langue que je ne comprends pas à un groupe de soldats qui s’empare du jeune garçon et le monte sur le toit. Les autres nous forcent à rentrer dans la pièce de la maison.
Nous obéissons par crainte des représailles pour Sa’r.
Les parents de Sa’r sont assis dans la pièce, l’air apparemment placide, comme si cela ne les concernait pas. Pas question pour eux de montrer leur émotion aux soldats.
La mère allaite son bébé et le père continue à nous montrer un film en nous racontant ce qu’ils subissent tous les jours.
Me sentant terriblement coupable, je demande au père :
– « Est-ce que cela est arrivé parce nous étions sur le toit ? Est-ce que c’est de notre faute ? »
– « Non, le toit, c’est chez moi. Tu sais ils n’ont pas besoin d’excuses pour essayer de nous terroriser. Quoi qu’il arrive je reste chez moi, Je ne quitterai pas ma maison. Ils essaient de m’intimider ou de me proposer beaucoup d’argent pour leur vendre et partir mais je resterai chez moi ici jusqu’à ma mort . »
La mère dit :
– « J’ai le sentiment que je vais perdre mes enfants . Ils feront tout pour ça, mais nous ne partirons pas. »
Le père rajoute : « Il accuse mon fils de lancer des pierres, alors même que vous étiez là et avez pu constater que ce n’était pas le cas ! Ce chef d’accusation veut dire 3 ans de prison. »
Puis j’entends du bruit sur le toit et je réalise qu’ils sont en train de tabasser Sa’r
On sort de la pièce et je cours vers Sa’r qui avait le coup rouge. Je leur crie :
– « Arrêtez, il n’a rien fait ! Ce sont les colons qui lançaient les pierres ! Nous sommes témoins et nous avons des photos le prouvant ».
Le soldat saute sur mon mari, lui arrache l’appareil photo et se met à effacer toutes les photos. Je leur dis :
-« Vous pouvez effacer des photos compromettantes pour vous mais vous ne prouvez pas effacer ce que nous avons vu et inscrit dans notre mémoire. »
Le soldat fou furieux me pose alors une question en arabe :
– « De quelle origine es-tu » ?
Je ne réponds pas, alors il repose la question en anglais. Je réponds :
– « Française. »
– « Quelle autre langue parles -tu? »
– « Je parle français et un peu l’anglais, langue dans laquelle je suis en train de te parler. »
Il me fixe du regard et je comprends qu’il se doute que je suis d’origine arabe.
– « Non tu parles une autre langue ! »
– « Non. »
– « Alors viens avec moi sur le toit » .
Je monte avec lui. Il m’emmène jusqu’au bord du toit et me serre tout près du vide pour bien me faire comprendre que ma vie est entre ses mains. Je le regarde froidement et très calmement lui dit :
– « Arrête ton cirque ! Vous faites subir aux Palestiniens tous les jours ce genre de pressions et vous n’arrivez pas à leur faire peur ! Est-ce que si tu crois vraiment me faire peur ? »
Je l’ai senti à ce moment troublé et désemparé, ce qui m’a énormément confortée. Puis il m’a laissée tranquille et a donné l’ordre à ses copains de partir. Ils sont partis en embarquant le garçon.
Nous avons retrouvé les parents qui continuaient à se maîtriser pour garder leur calme, tandis qu le père racontait comment les colons avaient allumé un jour un feu pour brûler leur maison et comment la mère s’est trouvée à l’hôpital complètement asphyxiée, comment les colons sont rentrés chez eux un autre jour pour voler toutes les cages de canaris, et comment quotidiennement les soldats investissent leur maison etc……….
Le père répétait sans cesse :
– « Ils prétendent que nous sommes des terroristes, moi je n’ai jamais fait aux juifs ce qu’ils me font subir et ils osent me dire que je suis terroriste parce que j’ai décidé de rester cher moi, là où je suis né et où mes parents et arrière-parents sont nés aussi. Ce sont eux les terroristes, les étrangers qui viennent voler nos maisons ! Moi je suis chez moi et je reste ici, et c’est à eux de partir et non pas à moi. »
Peu de temps après, la petite soeur vient pour dire que son frère est prisonnier devant le barrage militaire. Alors nous y allons et nous entamons des discussions interminables pour pouvoir parler à un supérieur, tout en étayant de nos divers témoignages, en espagnol, en français, en anglais, l’innocence de l’enfant. L’un des soldats, un peu plus « ouvert » que les autres nous promet qu’il serait relâché cinq minutes plus tard. Mais de cinq minutes en cinq minutes nous comprenons finalement que les soldats se moquent de nous et qu’ils essaient de nous « avoir à l’usure ».
L’un des soldats prend la peine de nous expliquer qu’il ne faut jamais croire les soldats quand ils s’adressent aux étrangers, car ils n’en font qu’à leur tête, et tous nos témoignages réunis ne valent pas la parole, même mensongère, d’un soldat israélien ou même d’un petit colon de 7 ans.
Pendant cette discussion avec ce soldat à moitié iranien et chilien, j’ai par moment pitié pour lui. Je le sens presque victime de la colonisation, mais je constate ensuite que dès qu’un Palestinien s’approche de nous pour voir ce qui se passe, son visage se durcit immédiatement, la haine de l’arabe transforme ce « doux soldat » en un monstre violent. En une fraction de seconde, sa voix si calme avec nous devient un bruit assourdissant tel un cri d’animal sauvage, et il n’a de cesse de gesticuler pour bien montrer qu’il a tous les droits sur la vie des Palestiniens. Et pourtant quelques secondes avant il nous expliquait qu’il faisait ce travail à contre-cœur, qu’il attendait la fin de ses trois ans de service pour faire le tour du Monde, et reprendre ses esprits.
Mais quand je lui dis qu’il n’est pas obligé de faire ce sale boulot, il s’écrie:
– « Mais il faut bien défendre mon pays !! Nous sommes victimes du terrorisme ! Regardez en Irak et en Afghanistan ce que les terroristes font subir aux Américains et aux Anglais et au Monde. Nous aussi sommes les victimes du terrorisme ».
Là, je pense qu’il aurait besoin de faire 2 à 3 fois le tour du Monde pour réussir peut- être à comprendre qui sont les vraies victimes, et comment il est lui-même victime et acteur de la colonisation.
Au bout de 4h de discussions Sa’r était libéré.
C’est à ce moment là seulement là que le père et la mère expriment leur émotion et accueillent leur enfant avec des sourires tendres et lumineux. Sourires qui en disaient long sur l’ampleur de leurs douleurs et de leurs joies.
Ce genre d’histoire se répète tous les jours des milliers de fois partout en Palestine, sans témoins, mais le plus souvent c’est la prison ou la mort qui en marquent la fin.
SARA (CAPJPO-EuroPalestine)