Nous reproduisons ci-dessous un texte de Christiane Taubira, députée de Guyane, sur la révolte des jeunes de banlieue, ainsi qu’un appel à pétition pour une « saisine citoyenne du conseil constitutionnel » sur l’état d’urgence.
« Le rêve, possible encore, dans le poing qui se lève (sans s’abattre) »*
« Voilà plus de trois ans que les mots servent de lances et d’obus. Etait-ce le début, en juillet 2002, à l’Assemblée Nationale, lors des débats sur la loi d’orientation sur la sécurité intérieure ? Le ministre, déjà le même, tenait à la tribune des propos guerriers pour présenter un texte aux intentions manifestement belliqueuses. Je lui ai dit alors qu’il préparait la guerre civile en France. Il a réagi en monarque susceptible mais offensif, me signifiant que ni ma qualité de femme ni mon appartenance aux ‘DOM-TOM’ ne m’autorisaient à lui parler ainsi. En une phrase, il avait posé la préséance virile et révélé son tropisme obsessionnel sur l’origine des personnes. La charge de cavalerie verbale s’est poursuivie depuis, fabriquant la légitimité des assauts par les actes tels que les traques dans les halls d’immeubles, le bourrage des prisons, le démantèlement de la police de proximité, le démaillage social par l’asphyxie du réseau des éducateurs et médiateurs. Mais le ministre n’est pas seul en cause. Tous ceux qui l’ont flatté, craint ou admiré dans ses numéros de saltimbanque narcissique partagent avec lui la responsabilité d’avoir creusé dans le cœur de millions de Français de tous âges un sillon d’amertume et de rancœur. Les plus vieux amortissent. Ceux qui sont dans la fleur de l’âge serrent les dents et les poings. Les plus jeunes n’acceptent pas qu’ayant pourri leur avenir après avoir abîmé leur présent, l’on puisse impunément y ajouter l’humiliation, la provocation, le mépris.
Aujourd’hui, la parole publique française est superstitieuse. Elle a peur de nommer la nature des choses et croit conjurer ainsi les malheurs qu’elle se prépare. Elle entonne le refrain des malfrats de banlieue qui organisent le désordre pour s’assurer le contrôle des territoires. Ces malfrats sont l’alibi éculé de la défausse pour économiser des actions publiques, en refoulant la justice sociale, l’éducation, la culture au rang de colifichets pour Elus avachis. On sait que les bandits aspirent, comme les délinquants en col blanc, à la stabilité et à la tranquillité, qu’ils ont besoin que la police et la justice regardent ailleurs. La parole publique est radoteuse, délibérément trompeuse. Car il est certain que si ces malfrats étaient combattus par temps calme et qu’étaient éradiqués les trafics de stupéfiants et d’armes qui narguent et fissurent l’état de droit, disparaîtrait alors le précieux prétexte qui permet d’absoudre les défaillances d’Etat et de caillasser ‘la racaille’ globalisée, sans état d’âme, avec l’arrogance du bon droit abritée derrière ‘la force injuste de la loi’. Dans ce jeu pervers, la responsabilité des Politiques est énorme. Elle est à droite, massivement, cynique. Elle est à gauche, lamentablement, pusillanime. Consensuelle sur l’ordre à rétablir. Quel ordre ? Celui de la discrimination, de la relégation, du préjugé de couleur, de la culpabilité ethnique ?
Même leurs efforts pour compatir sont pathétiques ! Ils parlent, en passant, presque en courant, de la mort regrettable de deux adolescents. C’est la faute à ‘pas de chance’. Que savent-ils des éclats tranchants qui lacèrent les cœurs devant ces destins concassés ? Que comprennent-ils de l’inquiétude au quotidien de ces mères, de ces pères obstinément attelés à dispenser une éducation que les injustices sociales rendent obsolète ? Que perçoivent-ils de ce génie de la dérision qui rend les privations supportables ? Qu’enten