A lire, ci-dessous, « Victimes d’hier et d’aujourd’hui : le drame des Palestiniens d’Irak », qui retrace la situation des réfugiés palestiniens et leurs descendants dans ce pays depuis leur arrivée en 1948 (publié initialement par Réalités Newsletter).
VICTIMES D’HIER ET D’AUJOURD’HUI : Le drame des Palestiniens d’Irak
Le 30 avril dernier, le leader religieux chiite Al-Sistani a dû lancer une fatwa (décret religieux) interdisant les attaques contre les réfugiés palestiniens vivant en Irak, et exigeant la protection de leurs biens.
Il répondait ainsi à un message de l’Autorité palestinienne, daté du 19 avril, qui l’appelait à réagir pour assurer la protection des réfugiés palestiniens dans son pays, aujourd’hui en danger.
Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), qui avait exprimé sa préoccupation à maintes reprises au cours des mois passés, sur la situation de ces réfugiés, n’a pas manqué de saluer ce geste. D’autant qu’après l’attentat au mausolée d’Ali al-Hadi à Samarra, à quelque 120 km au nord de Bagdad, le 22 février, les Palestiniens d’Irak ont vu leur situation sécuritaire se détériorer gravement. Une douzaine d’entre eux ont ainsi été tués dans la seule région de Bagdad, dont une femme enceinte et deux adolescents, et plusieurs autres enlevés.
Selon le Congrès des Libertés en Irak, ces attaques seraient l’œuvre de groupes armés liés au ministère irakien de l’Intérieur et à la Garde nationale. Ce qui a poussé de nombreux Palestiniens à fuir la capitale irakienne. Ceux qui ont choisi d’y rester n’osent plus quitter leur maison, rappelle le HCR dans un communiqué. Fin avril, le gouvernement syrien a même accepté d’accueillir les réfugiés palestiniens venus de Bagdad et qui ont trouvé refuge sur la frontière entre la Syrie et la Jordanie.
Selon les estimations du HCR, 34. 000 Palestiniens vivent en Irak. Ces derniers, qui sont installées depuis des décennies en Irak, ont été victimes du conflit entre les politiques nationalistes du régime Baath irakien et expansionniste de l’Etat israélien. “Durant des dizaines d’années de vie en Irak, ils ont subi toutes les tragédies : guerres, embargo, prison. Mais ils ont toujours été traités comme des citoyens de seconde zone. Le régime nationaliste du Baath a utilisé les familles déplacées comme un moyen de pression sur les régimes arabes et sur le racisme en Israël”, note le Congrès des Libertés en Irak dans un communiqué rendu public en mars dernier.
“Depuis la nouvelle guerre du Golfe, les Palestiniens sont de nouveau victimes de l’occupation et de son gouvernement fantoche, qui les accuse de soutenir le terrorisme. Comme si ce n’était pas assez de les forcer à vivre dans des camps où manquent tous les moyens les plus élémentaires, ils sont traités avec suspicion et inhumanité. Aujourd’hui, ils sont victimes des raids quotidiens à domicile, des brutalités et de la prison”, ajoute le communiqué.
Ces mauvais traitements sont souvent justifiés par le fait que ces Palestiniens ont longtemps profité des largesses du régime de Saddam Hussein. Ce qui est totalement faux et contredit par les faits historiques.
Le mythe des “Palestiniens de Saddam”
Dans un rapport sur ces “Réfugiés palestiniens en Irak”, publié au lendemain d’une mission dans ce pays, effectuée du 10 au 17 juin 2003, soit quelques semaines après la chute du régime baathiste, le Dr Haytham Manna, porte-parole de la Commission arabe des droits humains écrit notamment: “Peu d’Irakiens, encore moins les sociétés arabes et le reste du monde, connaissent la véritable situation des Palestiniens en Irak. Ceux que les journalistes occidentaux avaient surnommé les ‘‘Palestiniens de Saddam » sont en réalité les oubliés de l’ONU, de la communauté internationale, de la Ligue Arabe et des pouvoirs successifs en Irak”.
L’activiste syrien s’inscrit en faux contre les allégations selon lesquelles les Palestiniens jouissaient d’une situation privilégiée sous Saddam Hussein. Ce “mythe” est né du fait que l’ex-raïs suggérait en permanence que les Palestiniens étaient proches de son régime. Ces derniers, qui résidaient dans le pays à titre de réfugiés, ne pouvaient cependant le démentir au péril de leur vie. Résultat: ce mensonge d’Etat est devenu une certitude chez nombre d’Irakiens mal informés. A preuve: lorsque l’activiste syrien fit part à l’un des dirigeants de l’opposition irakienne de son intention d’enquêter sur la situation des réfugiés palestiniens en Irak, celui-ci le mit en garde: “Fais attention, ce milieu pullule de partisans de Saddam et de ses moukhabarat”.
“Mais lorsque je suis retourné à la même personne, et lui ai rapporté ce que j’ai vu, ses yeux s’emplirent de larmes et il me répondit : ‘‘Il n’est pas étonnant que le citoyen lambda soit dupé. Moi-même, j’ignore cette réalité », ajoute Manna. Selon lui, la presse arabe s’est laissée duper, elle aussi, par la propagande de Saddam. Ainsi, le journal jordanien El- Majd a-t-il écrit à propos de ces pseudos privilé- giés: “Bagdad leur a accordé tous les privilèges à l’exception de la propriété de la terre et de biens immobiliers”. Tandis qu’une autre publication de la région alla, après la chute du régime baathiste, jusqu’à titrer: “Les Palestiniens d’Irak : l’heure des comptes”.
S’inscrivant en faux contre ce mythe des “Palestiniens de Saddam”, Manna a essayé dans son rapport déjà cité de rétablir la vérité sur la situation réelle des réfugiés palestiniens en Irak – car il s’agit bien de réfugiés et non d’hôtes personnels du raïs -, dans l’espoir que ces victimes finiront par bénéficier du minimum de dignité due à tous les réfugiés, et qu’ils ne soient pas à la merci de la nouvelle conjoncture politique en Irak, comme ils l’ont été par le passé.
Comment sont-ils arrivés en Irak ?
L’armée irakienne, qui se trouvait en Palestine lors de la guerre israélo-arabe de 1948, avait mis sur pied le “Groupe [armée] palestinien al-Karmel”, en recrutant des villageois résidant dans le Sud de Haïfa. Durant l’été de la même année, qui sera celle de la nakba (catastrophe), elle transféra en Irak les quelque 3.000 à 4.000 membres des familles de ces combattants. Celles-ci sont originaires de Ijzim, Aïn Ghazal, Jabâ, Sarafund, al-Mazar, Ârat, Ârara, Tuntura, Teira, Kafarland, Âtlit, Um al-Zienat, Um al-Faham et Aïn al-Howd, des villages palestiniens dont beaucoup ont disparu depuis et leurs territoires annexés par les Israéliens.
Entre 1948, date de leur arrivée dans le pays, et 1950, c’est le ministère irakien de la Défense qui a pris en charge ces réfugiés. On commença alors par les héberger dans les casernes de l’armée à Chaïba, près de Bassora, dans certains clubs à Mossoul, dans les gouvernorats de Abou Gharib et Hawidja, et dans certaines écoles et édifices publics.
La situation demeura inchangée jusqu’en 1958, date de la conclusion d’un accord entre l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) et l’Etat irakien. En vertu de cet accord, ce dernier s’est engagé à prendre en charge les Palestiniens vivant sur son sol, en contrepartie d’une exemption de ses redevances financières envers l’ONU.
Après cette date, les réfugiés palestiniens sont passés sous la tutelle du ministère irakien du Travail et des Affaires sociales, lequel mit en place une Direction des Affaires palestiniennes, sans pour autant sentir la nécessité de promulguer une loi définissant le statut juridique de cette population. Les Palestiniens furent de nouveau répartis dans des habitations collectives, des sortes de “refuges” et divers autres types de locaux insalubres.
Comment vivent-ils ?
Selon les diverses sources informées interrogées par Manna, la politique officielle irakienne vis-à-vis des réfugiés palestiniens n’a jamais été claire ni efficace. L’administration n’a jamais bénéficié des moyens nécessaires à une bonne gestion des affaires de cette population et de ses besoins dans tous les domaines. Les réfugiés étaient d’ailleurs parqués dans des “refuges” et des maisons collectives situés dans les quartiers bagdadis de Baldiat, Tel Mohamed, Amine, Zaafarania, Al-Hourriya, Assalam, Batawine, Djihad, Abou Tachir… Ces habitations collectives manquant du minimum de confort sanitaire étaient censées constituer une solution provisoire. Mais le provisoire s’est éternisé.
“C’est un modèle unique d’habitat collectif. Je ne pense pas qu’une société quelconque a pu connaître pire, au cours des trente dernières années du XXème siècle”, écrit Issam Sakhnin dans une étude intitulée “Les Palestiniens en Irak”.
Le refuge est une grande bâtisse, qui se compose parfois de 80 pièces, voire davantage. C’est le plus souvent une ancienne école, un hôtel abandonné à cause de sa vétusté, voire une vieille clinique vétérinaire, que la Direction des Affaires palestiniennes loue, et dans lesquels elle parque de façon inhumaine les familles pauvres palestiniennes.
Sakhnin en fait la description suivante dans son étude déjà citée: “Un refuge abrite entre 24 et 61 familles de réfugiés. Chaque famille de six membres dispose d’une seule chambre aux murs détruits et aux plafonds troués. Si elle dépasse ce nombre, la loi est censée lui attribuer une seconde pièce. Mais souvent, la réalité ne suit pas la loi. Dans la majorité des cas, la famille est obligée de diviser en deux – à l’aide d’une couverture ou d’un voile – une chambre d’à peine plus de 12 m2. Le refuge est renforcé par des morceaux de tôle. Face à l’accroissement démographique, ces refuges tombent en ruines, tout en restant surpeuplés. Quant à l’infrastructure sanitaire, elle est rare ou inexistante. Ainsi, un refuge, qui abrite quelquefois plus de trente familles, ne dispose que d’un seul cabinet de toilette, ou de trois pour les mieux lotis d’entre eux. Les bennes à ordure s’amoncellent devant les portes et se transforment dans la chaleur caniculaire de Bagdad en foyers pour les maladies. Les eaux sales obstruent les passages : faute de canalisations d’égout, elles ne peuvent s’écouler que dans la voie publique et l’entrée des refuges. Les allées sont sombres, humides et étroites. Elles deviennent des aires de jeu pour les enfants, qui ont peu d’autres espaces pour jouer. A cause de la chaleur étouffante, toutes les familles habitant un refuge disposant d’une terrasse sont contraintes, et à l’instar des Bagdadis, de dormir sur cette terrasse durant les nuits d’été. Souvent, la terrasse est divisée en deux par une couverture : d’un côté dorment les femmes et de l’autre les hommes”.
“Les déboires du statut juridique des réfugiés palestiniens donnent une idée du fossé séparant les autorités irakiennes de l’Etat de droit”, écrit Manna dans le même rapport. Et d’ajouter: “Depuis quarante ans, le discours politique officiel exprime un soutien inconditionnel au peuple palestinien, à un point tel qu’on croirait l’Irak un paradis pour ces derniers. Alors qu’en réalité, ceux-ci sont en butte à de nombreuses tracasseries dans les domaines du travail, du logement, des voyages à l’étranger… Les travailleurs palestiniens cumulent autant les inconvénients auxquels sont confrontés les étrangers que les injustices subies par les Irakiens de la part de leur régime. C’est ainsi que nous n’arrivons pas à nous expliquer le fait qu’ils aient le droit de voyager une fois par an (cette mesure, entrée en vigueur avant la première guerre du Golfe de 1991 et l’embargo qui s’en est suivi contre l’Irak, fut maintenue jusqu’à l’effondrement du régime de Saddam Hussein), et pas celui d’ouvrir un compte d’épargne à la poste”.
Par ailleurs, plusieurs décisions gouvernementales accordent en théorie le droit de propriété aux ressortissants palestiniens établis en Irak, mais la réalité est tout autre. Après la guerre de Juin-1967, une commission ministérielle s’est penchée sur la situation des Palestiniens résidant en Irak. Elle a recommandé d’attribuer des terrains à bâtir et des prêts en matériaux de construction aux “frères palestiniens, en attendant leur retour dans leur patrie”. Le décret n° 1 de 1968, spécifique aux Palestiniens, leur octroie également une aide financière.
Après ces promesses fermes est survenu le coup d’Etat du parti Baath, en juillet 1968. Le Conseil du Commandement de la Révolution promulgue le décret n°366 relatif au règlement de la crise du logement. Il préconise pour les Palestiniens la construction de logements sociaux, dotés de toutes les commodités, au lieu des terrains qu’il était initialement prévu de leur réserver. Cette loi décrète également l’égalité entre Palestiniens et Irakiens en matière d’embauche, de retraite, de congés payés, de crédits bancaires et de bourses d’études à l’étranger. En revanche, elle leur interdit l’achat de terrains, la construction de logements et la demande de prêts immobiliers. Un autre décret, promulgué en 1981, accorde aux Palestiniens certains droits dans le domaine immobilier, et la jouissance d’un seul logement, après approbation du ministère de l’Intérieur. La circulaire n° 5, de 1983, conditionne l’accord préalable des organismes publics du travail et de l’enseignement professionnel pour le recrutement d’un Palestinien ou le passage de celui-ci d’un lieu de travail à un autre. En 1989, Saddam Hussein promulgue un décret qui suspend pour une durée de cinq ans l’application des mesures citées plus haut. En 1997, le même chef de l’Etat promulgue un autre décret lequel accorde aux Palestiniens titulaires de médailles du parti le droit d’acquérir une parcelle de terrain à bâtir.
Le problème, c’est que tous ces décrets et circulaires, qui servaient pour la propagande pro-palestinienne du régime, restaient souvent lettres mortes et n’étaient appliqués que parcimonieusement et souvent à la tête du client. Résultat: peu de réfugiés palestiniens en ont réellement profité. C’est pour cette infime minorité, constituée des membres du parti Baath, que l’immense majorité des Palestiniens d’Irak est en train de payer aujourd’hui.
Ryadh Fékih
Publié par CAPJPO-EuroPalestine