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Jerusalem Est : l’art et la manière de conjuguer le pourrissement et l’annexion

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Une serie d’articles sur Jérusalem Est, traduits par Michel Ghys, et révélateurs du racisme et des visées de l’Etat d’Israël.


Les Jérusalémites qu’Israël n’aime pas, par Neta Sela

« Pour tout citoyen en Israël, il va de soi que son courrier lui parvienne dans sa boîte aux lettres privée. Cela semble aller tellement de soi que personne ne s’arrête fût-ce un instant pour imaginer ce que ce serait si les choses étaient différentes. Alors voici un chiffre : dans les quartiers arabes du nord de Jérusalem vivent environ 75.000 habitants, mais il n’y a à leur service qu’un seul employé de poste.

« Même s’il était Superman, il ne réussirait pas à distribuer le courrier à tout le monde. Alors, il dépose les lettres dans des supermarchés ou des magasins et chacun doit s’y rendre et demander ses lettres parce que chez nous, dans les quartiers nord, les gens n’ont pas de boîtes aux lettres », raconte le directeur du centre communautaire de Beit Hanina, Houssam Wataad. « Par exemple on envoie une note de consommation d’eau à quelqu’un », dit-il à titre d’illustration, « mais la lettre ne lui arrive pas, alors les frais gonflent et il n’y a pas grand-chose à faire. Dans les services, on dit que ça a été envoyé et le bonhomme dit qu’il n’a rien reçu et les gens sont vraiment coupés du cours de la vie. Quelque chose d’aussi élémentaire pour l’ouest de la ville que de recevoir du courrier, n’est pas si évident à Jérusalem-Est. »

La distribution du courrier n’est qu’un petit exemple illustrant l’ensemble du tableau. Officiellement, l’Etat d’Israël marque cette année les 39 ans de l’unification de la capitale ; mais Jérusalem n’a jamais été réellement unifiée. Au fil des années, il semble bien que l’unité des deux parties aille seulement et continûment dans le sens de la désintégration. La frontière qui jadis séparait Israël de la Jordanie fait toujours office de frontière, et des deux côtés de la route N°1, existent deux villes presque totalement séparées et menant deux vies différentes. A la fois au niveau de l’impression sur le terrain et au niveau du rapport aux institutions.

Si vous êtes un habitant de l’est de la ville, tant le gouvernement que la municipalité s’occuperont de vous toujours plus lentement, de manière lacunaire et soupçonneuse – et toujours avec un tas de difficultés. Dans leur majorité, les habitants de l’est de la ville n’essaieront pas non plus de se plaindre de cette différence de traitement par rapport aux habitants de l’ouest de la ville. Ils sentent que la frontière n’est pas seulement physique mais tracée au cœur de la réalité quotidienne dans laquelle ils vivent. Wataad pense que parler de « sentiment d’impuissance est trop doux pour décrire la situation ». Il préfère parler de « blessure ouverte dans tous les secteurs de la vie auxquels on touche ».

Ici, il n’y a ni loi ni police.

Saman Khouri, qui habite dans l’est de la ville et est membre de la Coalition palestinienne pour la Paix, en a par-dessus la tête de ce qu’il voit autour de lui. Selon lui, la raison pour laquelle la ville est aussi fortement scindée réside avant tout dans le rapport de l’Etat d’Israël à l’égard des habitants de l’est de la ville. « Depuis ’67, par exemple », dit-il, « la loi n’est quasiment pas mise en application dans Jérusalem-Est. Cela crée une situation où le crime, la drogue, la prostitution ne sont plus sous contrôle et personne ne s’en soucie, alors chacun fait sa loi et les gens ne sont pas pressés de s’adresser à la police. Du temps de l’administration jordanienne, il y avait une très forte discipline policière pour tout ce qui était lié aux atteintes à la moralité, mais cela n’intéresse absolument pas la police israélienne. Elle ne s’occupe que des atteintes à la sécurité de l’Etat. Le sentiment, c’est que les policiers ne viennent pas pour me protéger, pour protéger l’habitant, mais qu’ils ne sont là que pour protéger l’Etat. » Selon Saman Khouri, la présence raréfiée de la police en comparaison avec la présence massive des forces de la police des frontières dans l’est de la ville « donne toujours aux habitants la sensation de se trouver en dehors de la frontière, de ne pas faire partie de la ville ».

Le fait que l’est de la ville constitue une zone séparée se reflète dans tous les aspects de la vie quotidienne. Les habitants arabes ne voyagent pas sur les lignes urbaines des bus de Egged. Ils ont leur propre réseau de transport public qui ne dessert que la partie est de la ville. Ils ont un bureau d’enregistrement de la population séparé, une branche séparée pour l’assurance sociale et aussi un office de l’emploi qui leur est réservé, et dans tous les départements des services nationaux, ils se retrouvent à devoir attendre et à faire la file pendant de longues heures. Même pour des cas plus critiques, où il y a menace pour la vie, l’habitant de Jérusalem-Est est contraint d’attendre longtemps avant que n’arrive l’ambulance de Magen David Adom qui doit d’abord attendre une escorte de la police. Inutile de dire que dans de nombreux cas, l’ambulance arrive trop tard.

L’électricité dans l’est de la ville est fournie aux habitants par la société d’électricité de Jérusalem-Est et pas par la société nationale d’électricité. Quant à l’eau, les habitants des quartiers arabes du nord la reçoivent de la société Al-Birah, entièrement localisée à Ramallah. En cas de rupture de canalisation, par exemple, les équipes sont censées venir de Ramallah mais elles n’obtiennent pas toujours l’autorisation de passer.

Des budgets pour l’est de la ville ? Il n’y en a pas.

Nul besoin d’être expert en infrastructures pour comprendre que la municipalité de Jérusalem ne prend pas la peine d’investir des budgets importants pour les habitants arabes. Il suffit d’y aller faire un tour. Des rues semées de trous, peu de trottoirs et des jardins publics tenus pour un luxe. A Tsour-Bakhar, quartier comptant une quinzaine de milliers d’habitants, jamais réseau d’égouts n’a été installé. Dans des parties de Beit Hanina également, du camp de Shouafat, Silwan, Jabel Moukaber et Rass al-Amoud, cela ne sent pas terriblement bon. Des habitants de Kfar Akab, les eaux d’égouts ayant en quelque sorte fait déborder la coupe, ont ainsi décidé, de leur propre initiative, d’installer un réseau d’égout en le payant de leur poche. Ils n’ont même pas demandé à la municipalité s’ils pouvaient : à quoi bon ?

Les permis de bâtir sont eux aussi une denrée rare. Il vous faut l’attendre en moyenne cinq ans si pas davantage. La lenteur bureaucratique est accablante, poussant les habitants à faire la loi eux-mêmes et, bien souvent, n’ayant pas d’autre choix, à enfreindre la loi. Et c’est à ce moment-là précisément que les autorités légales entrent en scène. L’étendue des destructions de maisons dans l’est de la ville est sans précédent. D’après les chiffres du Comité contre les Destructions de Maisons à Jérusalem-Est , le nombre d’ordres de démolition – ordonnances administratives et judiciaires réunies – transmis par la municipalité de Jérusalem pendant l’année 2005 a atteint 937. Si on y ajoute les ordres de démolition lancés par le Ministère de l’Intérieur, ce nombre grimpe à 999.

Cette semaine ont été publiés les chiffres du baccalauréat dans le pays et il est difficile de dire si qui que ce soit a été surpris par le fait que les étudiants de l’est de la ville sont classés à la dernière place pour le taux de réussite au bac – 13,78%. Un des problèmes les plus douloureux est effectivement la situation difficile où se trouve le système scolaire. Chaque année, des centaines d’enfants restent en dehors du réseau d’enseignement public à cause d’un manque criant de salles de classe. Celles qui existent sont terriblement surpeuplées. Dans des cas extrêmes, comme par exemple à l’école fondamentale d’A-Tour, il n’y avait pas assez de place l’année passée pour tous les élèves, si bien que les cours se sont donnés en deux groupes : un premier groupe de 8 heures du matin à midi, le deuxième groupe commençant à 12h30 et terminant à 16 heures. Le phénomène s’est répété aussi dans des quartiers comme Jabel Moukaber, Silwan et Kfar Akab. En 2002, la municipalité a adopté un plan directeur pour traiter le problème, recommandant la construction de 1.155 classes pour 2005 au plus tard. En dépit des recommandations, seules 276 classes ont été construites sur cette période – moins du quart.

Il y a une quinzaine de jours, l’association « Ir Amim » [‘ville des peuples’] a organisé une tournée d’inspection dans le réseau scolaire de l’est de la ville. Des personnes du milieu de l’enseignement et du monde académique avaient été invitées à se joindre à cette tournée. Une des participantes, Nora Rash, de l’Ecole de l’Education de l’Université Hébraïque, en a rédigé un compte-rendu où elle décrit ce qu’elle a vu de « honteux ». Nora Rash y parle de la visite à l’école fondamentale pour filles de Shouafat. A l’origine, il s’agissait d’un immeuble à appartements. De ce fait, chaque salle de classe fait environ 12m², avec une moyenne de 35 élèves par classe. Les participants à la tournée d’inspection ont demandé aux élèves ce qui se passait quand l’une d’elles voulait aller au tableau et les gamines ont fait la démonstration : « On se presse derrière la table, on monte dessus, sur les genoux pour ne pas salir la table, on progresse de rangée en rangée jusqu’à ce qu’il soit possible de redescendre sur le sol et de rejoindre l’institutrice ».

« Le bureau de la directrice », rapporte Nora Rash, « est une petite pièce qu’elle partage avec la secrétaire de l’école et où se trouve aussi la photocopieuse. Une autre petite pièce sert de salle des professeurs où il n’y a aucune chance de voir se réunir les 17 enseignantes. Des annexes, une salle de gymnastique, une bibliothèque, des laboratoires, sont un rêve qu’il n’y a aucun espoir de voir se réaliser. Le président du comité des parents de cette même école a raconté que les parents ont acheté, de leur poche, du matériel de laboratoire mais que faute d’une pièce pour l’accueillir, il reste enfermé dans une armoire. » Et Nora Rash ajoute qu’ « à propos d’ordinateurs, il n’y a simplement rien à dire ».

Mais peut-être ceux qui ont obtenu de s’entasser dans des salles de classe doivent-ils reconnaître leur bonne fortune ? Pour l’année scolaire 2004-2005, d’après les chiffres du Bureau Central des Statistiques, il y avait dans l’est de la ville 79.000 enfants en âge de scolarité. Selon les chiffres de la directrice de l’enseignement de la ville et du Ministère de l’Enseignement, seuls 64.536 étaient inscrits dans les réseaux scolaires public et privé. A partir de cet écart dans les chiffres, on ne voit pas clairement où, ni si, ces 14.500 enfants étudient, eux qui ne sont pas connus des registres de l’enseignement. « Des centaines d’enfants ne vont pas à l’école car ils n’ont nulle part où aller », déclare Wataad. « Personne ne fait l’effort de les rechercher pour les intégrer au circuit scolaire. Ils restent simplement à la maison ou vont travailler ou apprennent sur le terrain. Personne ne trouve d’intérêt ou le courage de chercher et d’examiner où restent ces enfants ou ce qu’on fait d’eux ».

Le combat démographique : quel Jérusalem aurons-nous ?

Pour Israël Kimshi, responsable de recherche à l’Institut de Jérusalem pour la Recherche sur Israël, il ne fait pas l’ombre d’un doute qu’il y a discrimination entre l’est et l’ouest de la ville. « Il y a un écart important et il se manifeste dans tous les secteurs des services. Que ce soit au niveau de la propreté, le manque de jardins publics ou de salles de classes, l’éclairage public, on peut retrouver ces décalages dans tous les domaines. Il est clair que l’Etat d’Israël aurait pu investir beaucoup plus durant ces 40 dernières années mais qu’il ne l’a pas fait. »

Mais par-dessus toutes ces conditions de vie, flotte l’avenir qui a déjà commencé à donner quelques signes. En 1967, la population juive de Jérusalem représentait 74%. En 2004, la proportion de Juifs a baissé pour atteindre 66%. Parallèlement, avait lieu une augmentation constante du nombre d’Arabes dans la ville. En 1967, ils représentaient donc 26% de l’ensemble des habitants pour grimper jusqu’à 34% en 2004. Durant les années 1967-2003, la population de Jérusalem a augmenté de 160%. Tandis que l’accroissement de la population juive pour les mêmes années avoisinait les 135%, la population arabe augmentait elle de 233%.

La tendance démographique à Jérusalem est claire : la population juive diminue en comparaison de la population arabe. Le Premier Ministre, Ehoud Olmert, ancien maire de Jérusalem, connaît lui aussi parfaitement la balance démographique et il agit essentiellement en fonction de celle-ci. Il a déjà parlé dans le passé de la possibilité que l’Etat d’Israël se sépare de quelques dizaines de milliers d’habitants des quartiers arabes, périphériques, de Jérusalem. Dans une interview accordée en décembre 2003 au quotidien « Yediot Aharonot », il disait : « Je n’entrerai pas dans le détail de la ligne de frontière. Je dis simplement qu’elle sera basée sur la maximisation du nombre de Juifs et la minimisation du nombre d’Arabes à l’intérieur de l’Etat d’Israël. Je crois que cela nous maintiendra dans une proportion de 80% de Juifs et 20% d’Arabes. Nous pourrons ainsi maintenir un Etat juif et démocratique. » Depuis lors, la clôture a été construite dans la zone de « l’enveloppe » de Jérusalem et 55.000 habitants ont déjà été laissés en dehors de la clôture et en dehors de la vie de leur ville de résidence.

Il se pourrait qu’à la prochaine Journée de Jérusalem, quand Israël fêtera les 40 ans de l’unification de la ville, tout soit différent. De l’avis de Kimshi, « Jérusalem aura un autre aspect. Aussi bien l’israélienne que la jordanienne. Toutes deux auront un air différent. La Jérusalem israélienne se sera étendue territorialement, englobant des zones qui n’appartenaient pas auparavant au territoire municipal de la ville. Et à ce qu’on dit, les quartiers arabes, comme Jabel Moukaber, Oum-Tsouba, Beit Hanina et Shouafat, seront selon toutes apparences scindés de la ville ».

Yediot Aharonot, 23 mai 2006
Version anglaise : www.ynetnews.com/articles/0,7340,L-3253821,00.html

(Traduction de l’hébreu : Michel Ghys)

Toujours à propos de Jérusalem, Michel Guys a traduit un autre article, à partir cette fois de Haaretz.

23 élèves, une enseignante et un tableau dans une chambre à coucher

par Niv Hachlili

La loi sur l’enseignement obligatoire s’applique sans doute aux enfants de Jérusalem-Est, mais cela ne se reflète presque pas sur le terrain : des dizaines de milliers d’élèves étudient dans des pièces d’habitation surpeuplées, sans équipement, sans chauffage. Et ceux-là ont encore de la chance : pour des milliers d’autres, ni la municipalité ni le Ministère de l’éducation n’ont entendu parler d’eux.

Bienvenue à l’école « Shouafat – Filles – N°2 ». L’apparence est peut-être trompeuse : il s’agit d’un immeuble d’habitation à mi-hauteur d’une rue délabrée, à côté d’un terrain boueux et vide, près du quartier de Shouafat, au nord-est de Jérusalem. Pas âme qui vive dans le petit hall d’entrée mais les voix qu’on entend venir d’une des pièces, voix d’élèves répétant des phrases de leur livre, révèlent la destination improvisée du bâtiment. 340 filles étudient ici, dans dix classes. Presque toutes viennent du camp de réfugiés de Shouafat (situé en dehors du tracé de la « Ceinture de Jérusalem »). 17 enseignantes ont la charge de ces élèves. Une étroite cage d’escalier mène au premier étage. Là, à côté des classes, se trouve aussi le bureau de la directrice. Deux tables et une photocopieuse occupent l’espace serré de la pièce, un ordinateur sur la table de la secrétaire. C’est l’unique ordinateur de l’école, dit la directrice, Maisun Halak.

Une des classes était jadis une chambre. Quatre mètres sur quatre. 23 fillettes y sont assises pour y étudier. Elles sont pressées contre les murs, entre les tables. Il n’y a pas de place pour les cartables, alors on les dépose sur le rebord de fenêtre. Les fenêtres sont grillagées. Sur les murs, des dessins et des décorations faites par les élèves. L’entrée dans la pièce est étroite, ne permettant pas le passage de plus d’une personne à la fois. Que fait-on si une des fillettes doit sortir au milieu du cours ? Elle grimpe sur la table et manœuvre. Et, à Dieu ne plaise, en cas d’urgence ? Comment pourra-t-on sortir de la pièce ? La question reste sans réponse.

La pièce de l’autre côté du couloir est déjà plus accueillante. Les tables vertes ont été peintes grâce à la contribution de Centre Peres pour la Paix. La directrice a fait appel à un architecte pour qu’il aménage l’espace afin d’en tirer un profit maximum. Le budget n’a suffi qu’à une classe. Dans la cuisine, ce sont 34 élèves qui étudient. Là, c’est sur les meubles de cuisine et le marbre du plan de travail que les fillettes déposent leurs cartables. Dans le salon, 40 élèves pour une leçon de mathématiques. Ici aussi le surpeuplement est invraisemblable. Une partie des élèves est obligée de s’asseoir à côté du tableau à un endroit d’où il est impossible de voir convenablement ce qui y est écrit. Dans la plus grande des pièces, ce sont 44 élèves qui étudient. Toutes portent sweet-shirt, manteau et voile. Il fait froid dans les classes et il n’y a pas d’argent pour chauffer.

C’est l’Etat d’Israël qui est responsable des écoles de Jérusalem-Est. Après la guerre des Six Jours, en annexant l’est de la ville et en appliquant le statut de résident permanent à tous ses habitants arabes, l’Etat a aussi pris sur lui la responsabilité de dispenser un enseignement à leurs enfants. Des dizaines de milliers d’enfants sont aujourd’hui soumis à la loi israélienne sur l’enseignement obligatoire tout en faisant l’objet d’une discrimination dans le partage des budgets, dans les infrastructures et dans les programmes de développement des établissements scolaires. Des années de négligence et de manque de considération ont fait du système d’enseignement à Jérusalem-Est le pire du pays. Les taux d’échecs y sont les plus élevés, les taux d’accès au bac les plus bas.

Dans l’Israël de 2005, le système du « hèder » des orthodoxes, importé de la diaspora connaît une deuxième jeunesse précisément dans le système d’enseignement de l’est de la ville. D’après les chiffres de la municipalité, il manque 1 354 salles de classe règlementaires et pour résoudre le problème du manque de place, il a fallu diverses solutions créatives. La principale consistant à louer des bâtiments d’habitation pour en faire des écoles.

Dans un de ses chapitres, le rapport 2003-2004 de l’inspectrice de la municipalité de Jérusalem abordait la question de l’enseignement à Jérusalem-Est. Il y est, entre autres, écrit que « L’est de la ville souffre d’un manque cruel de salles de classe. Le plan directeur des établissements scolaires de Jérusalem-Est publié au début de l’année 2003 montre qu’au cours de la dernière décennie, la population d’élèves dans le secteur arabe de Jérusalem, au sein des écoles de la municipalité, a augmenté de 7% par an. Afin de surmonter le manque criant de place, la municipalité loue depuis des années à des particuliers, des bâtiments qu’elle utilise alors comme bâtiments scolaires. D’après le plan directeur, environ 40% des salles de classe de l’est de la ville ne sont pas réglementaires et se trouvent dans des bâtiments loués qui n’ont pas été conçus comme bâtiments scolaires et doivent être rendus conformes. Pendant l’année scolaire 5763 [2002-2003], le nombre de salles de classe louées dans l’enseignement officiel a atteint les 400. Le tableau de la situation dans tous les bâtiments qui ont été visités est particulièrement dur. »

D’après les chiffres mis à jour, transmis par la direction de l’enseignement de la municipalité de Jérusalem : sur les 108 bâtiments servant d’écoles à l’est de la ville, 46 sont réglementaires et 62 ne le sont pas.

Différences de classes sociales

Le matin, dans les quartiers nord de Beit Hanina et Shouafat considérés comme formant une continuité territoriale, les trottoirs se remplissent de milliers d’enfants revêtus de leur uniforme. Les huit écoles officielles qui y fonctionnent accueillent aussi, en plus des enfants des quartiers, les enfants des camps de réfugiés de Shouafat ainsi qu’une partie des enfants des quartiers d’Anata, Dahat al-Salaam et Ras Hamis. Au total, tous ces quartiers du nord-est de Jérusalem comptent plus de quatre-vingt mille habitants. Leurs enfants étudient dans six écoles fondamentales à Beit Hanina et Shouafat et dans deux écoles secondaires pour garçons, l’une nouvelle et spacieuse à Beit Hanina et l’autre à Shouafat. A l’exception de la nouvelle école secondaire, les écoles sont installées dans des bâtiments qui ont été loués et convertis pour y donner cours. L’école fondamentale pour filles de Beit Hanina est installée dans quatre bâtiments d’habitation séparés. L’école fondamentale N°2 pour garçons de Shouafat est installée dans deux bâtiments d’habitation. Tous les bâtiments sont éloignés les uns des autres. Même si les enfants qui y suivent l’enseignement fondamental réussissent, ils ne sont pas assurés d’avoir de la place dans les classes supérieures. La situation des filles est particulièrement grave car il n’existe pour elles qu’un collège et aucun lycée officiel.

Au fil des années, de flagrantes différences sociales se sont créées. Beaucoup parmi les habitants de Beit Hanina et de Shouafat constituent la classe moyenne des Arabes de l’Est de la ville et ils se sont dès lors souciés de trouver pour leurs enfants des solutions alternatives d’enseignement. Ceux-là iront dans des écoles privées et leurs parents débourseront entre 1000 et 3000 dollars par année scolaire et par enfant. Ceux qui n’ont pas cette chance, les pauvres qui habitent le camp de réfugiés et les autres quartiers, devront se contenter du réseau d’enseignement de la municipalité et du ministère de l’enseignement. Selon une évaluation non officielle, plus de 80% des enfants de ces écoles publiques vivent en dehors de Beit Hanina et Shouafat.

Deux organismes ont la responsabilité de l’enseignement fondamental de l’est de la ville. Le Ministère de l’enseignement est responsable du paiement des salaires des enseignants et des directeurs des écoles, et la direction de l’enseignement de la municipalité est responsable des dépenses courantes et de l’entretien des bâtiments. Maisun Halak, directrice de l’école pour filles N°2 de Shouafat, explique que la direction de l’enseignement de la municipalité de Jérusalem lui alloue 24000 shekels [~4400 €] par an pour les dépenses courantes. Avec cette somme, elle doit faire tourner l’école. Pas de laboratoires, pas d’ordinateurs. Pas de cours artistiques. Jusqu’à l’année dernière, la municipalité fournissait des repas chauds, dit-elle, mais cette année, Maisun Halak a dû y renoncer ; il n’y a pas de place pour prendre ces repas et les organiser gaspillerait un temps précieux. Même comme ça, il manque des heures de cours d’instituteurs.

Un inspecteur du Ministère de l’enseignement se rend de temps à autre dans l’école mais ses pouvoirs sont très limités. Sa fonction consiste en l’accompagnement, le suivi et l’instruction des directeurs et des instituteurs. Tout le reste échappe à sa responsabilité. Maisun Halak s’est adressée à la municipalité pour obtenir l’autorisation de construire deux classes supplémentaires sur le toit. La demande a été rejetée, le bâtiment appartenant à un particulier à qui il est loué. Comment le budget de l’école est-il fixé ? Qui est responsable de contrôler que les élèves reçoivent bien le peu qui leur revient ?

Il n’y a pas de contrôle effectif

Un paragraphe du rapport 2003-2004 de l’inspectrice de la municipalité offre un rare coup d’œil sur la manière d’agir de la direction de l’enseignement de la municipalité de Jérusalem et montre clairement que personne ne surveille l’argent public injecté dans l’enseignement à Jérusalem-Est : « En conséquence de l’absence d’un contrôle effectif sur l’argent de la direction de l’enseignement de la municipalité de Jérusalem dans les établissements scolaires de Jérusalem-Est, des usages et des habitudes se sont installés ces dernières années dans le secteur de la gestion financière qui ne s’accordent pas avec une administration normale. La direction de l’enseignement de la municipalité de Jérusalem fait part d’une amélioration de la situation au cours de la dernière période, suite à la guidance et au contrôle qui ont été mis sur pied. Jusqu’en 5764 [2003-2004], aucun tarif clair et unique n’était fixé pour les services scolaires, ni de règles pour l’octroi des réductions. L’examen a montré que la direction de l’enseignement de la municipalité de Jérusalem ne disposait pas des données sur les sommes reçues des parents par les établissements scolaires, sur le pourcentage d’encaissement ni sur le type de réductions offertes. En 2002, la direction de l’enseignement de la municipalité de Jérusalem a diffusé par écrit auprès de toutes les directions d’établissements scolaires, des directives et des instructions sur la comptabilité des écoles. En 5763 [2002-2003], des contrôles ont eu lieu dans 12 écoles seulement, sur 44. Dans toutes les écoles contrôlées, on a trouvé des lacunes. »

Les transports jusqu’à l’école sont financés par les parents. La décision gouvernementale de juillet 2005 n’est pas parvenue jusqu’ici, qui établissait que tous les enfants restés à l’extérieur du Mur avaient droit à un transport depuis le barrage jusqu’à l’école. Le mur qui entoure le camp de réfugiés de Shouafat a été construit en mars mais les transports auxquels le gouvernement s’était engagé ne sont pas là. Une partie des parents n’a pas l’argent pour payer le transport et les enfants vont à pied. La seule voie par laquelle les enfants peuvent sortir, c’est le barrage à l’entrée du camp. En chemin, ils sont obligés de traverser une grand-route qui passe entre le camp de réfugiés et le quartier. Les critères du Ministère de l’enseignement pour les transports ne sont pas établis d’après la situation économique des familles, ni d’après les obstacles que les enfants rencontrent sur le chemin de l’école, mais seulement sur base de la distance. D’accompagnement psychologique des enfants, de guidance et de soutien, il n’est pas question. Ici on apprend à encaisser et à intérioriser : il y a des ordres de priorité. L’anglais et le calcul ont priorité sur les émotions.

La municipalité de Jérusalem fait savoir, en réponse, que les dépenses de chauffage sont comprises dans le cadre budgétaire courant transféré aux écoles. La municipalité n’a pas connaissance d’une école qui ne serait pas chauffée les jours d’hiver. Dans l’enseignement normal, les critères pour les transports sont fixés par le Ministère de l’enseignement. Le droit à un transport concerne l’élève et pas l’école et s’il y a une école à proximité du lieu d’habitation d’élèves, ceux-ci ne bénéficieront pas d’un transport. L’enseignement à Jérusalem-Est ne se voit pas allouer un budget séparé mais intégré au budget général de la direction de l’enseignement de la municipalité de Jérusalem. C’est pourquoi la préparation d’un rapport séparé sur le budget de l’est de la ville exige du temps.

Le Ministère de l’enseignement fait savoir quant à lui qu’ « à ce jour, la construction de la clôture de séparation n’est pas encore achevée dans le nord de Jérusalem et que pour les enfants, le problème de la traverser n’existe pas encore. Avec l’achèvement de la construction de la clôture, on ne s’attend pas à des problèmes puisque toutes les demandes de la direction de l’enseignement de Jérusalem, qui est responsable des transports à Jérusalem-Est, ont été acceptées dans leur principe par le Ministère. D’après l’accord établi avec la direction de l’enseignement de la municipalité de Jérusalem, le problème sera résolu en coordination avec l’armée israélienne, de deux manières : soit les élèves seront transportés vers le point de passage dans la clôture, le franchiront, monteront dans des bus qui les emmèneront jusqu’à l’école, soit ils bénéficieront d’un passage rapide de la clôture qu’ils franchiront à bord du même véhicule avec lequel ils seront venus jusque là. »

Rima Issa, journaliste et réalisatrice de documentaires, a participé à la préparation de cet article.

80 000 enfants en âge d’enseignement obligatoire à Jérusalem-Est

36 272 enfants dans l’enseignement officiel

9 574 dans l’enseignement non officiel reconnu

6 408 dans des écoles du Waqf

13 955 dans des écoles privées

14 000 « présents-absents »

1 354 salles de classe manquantes

62 bâtiments scolaires non conformes (sur 108).

Source : www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=662943

(Traduction de l’hébreu : Michel Ghys)

Le traducteur n’a pu s’empêcher de rapprocher cet article d’une dépêche publiée par l’AFP/Le Monde, à la même époque, sous le titre :

Niches de riches pour chiens perdus à Jérusalem

Les chiens perdus de la ville sainte seront bientôt accueillis dans un asile de luxe, avec niches climatisées, piscine, jardins et vue imprenable, qui doit être construit au nord de Jérusalem à l’initiative de la municipalité, rapporte vendredi le Yediot Aharonot. Trois repas par jour seront fournis aux pensionnaires de cet établissement, comparé par le journal à un hôtel cinq étoiles et qui pourra accueillir des visiteurs susceptibles de les adopter. « Les animaux aussi, et particulièrement ceux qui ont connu les souffrances de la rue, ont droit à une qualité de vie », a déclaré au journal le maire ultra orthodoxe de Jérusalem, Uri Lupolianski. Le coût de la construction de l’hôtel pour chiens qui pourra accueillir une centaine de quadrupèdes est estimé à 10 millions de shekels (2,2 millions de dollars) qui seront rassemblés sous forme de dons.

http://www.lemonde.fr/web/depeches/0,14-0,39-25737359@7-44,0.html

Publié par CAPJPO-EuroPalestine

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