Martine Sevegrand, historienne, propose dans un article à paraître dans Golias-Hebdo, un rappel historique des positions de l’Eglise catholique romaine sur le statut de Jérusalem.
« Rome et Jérusalem
Le Saint-Siège a exprimé, dès le 1er mai 1948, son inquiétude : la Terre sainte est ravagée par le conflit et les Lieux saints menacés. Pie XII évoquait dans une encyclique la misère des « exilés […] errants, chassés de leurs demeures, en quête de pain et d’un gîte ». Il se ralliait au plan voté par l’ONU en novembre 1947 : donner à Jérusalem et à ses environs (comme Bethléem) un statut international juridiquement établi, avec une administration onusienne. On sait, hélas, qu’il n’en fut rien. Malgré le partage de Jérusalem entre Israël et la Jordanie, Pie XII publiait une nouvelle encyclique sur les Lieux saints en avril 1949. Sans se prononcer sur le conflit israélo-arabe, le Saint-Siège concentra ses interventions sur la revendication d’un corpus separatum pour Jérusalem, ne se prononçant pas sur l’État d’Israël mais il créait une Mission pontificale pour aider les réfugiés palestiniens.
En janvier 1964, Paul VI vint en pèlerinage à Jérusalem. S’il visita sans difficulté les Lieux saints situés dans la partie arabe de la Ville, pour se rendre à Nazareth, il lui fallait entrer en Israël. On aménagea donc un point de passage spécial pour qu’il n’ait pas à passer dans la partie israélienne de Jérusalem. Certes, il rencontra les autorités israéliennes mais ne prononça pas le mot « Israël ». Cependant, en 1965, l’adoption au Concile de la déclaration Nostra aetate qui soulignait les liens entre la foi chrétienne et la « lignée d’Abraham » allait modifier profondément la théologie catholique envers l’Israël biblique mais qu’en serait-il au plan politique ?
L’occupation militaire de la Jérusalem arabe et la théologie
La victoire israélienne de juin 1967 aboutit à la conquête de la Ville arabe et à son annexion par Israël. Une résolution du Conseil de sécurité de l’Onu en 1968 déclarant invalides toutes les mesures prises par Israël n’y changea rien, bien sûr ! Certains théologiens catholiques adoptèrent le point de vue juif d’une liaison indissoluble entre le peuple élu et sa terre. Ainsi, le dominicain Jean-Paul Lichtenberg pour qui « la terre souffre et espère, comme si elle ne pouvait vivre sans le peuple à qui elle fut destinée ». Jérusalem et les Lieux saints resteraient donc à Israël ? En novembre 1967, Mgr Elchinger, archevêque de Strasbourg, écrivait dans Tribune juive : « Il n’y a pas lieu d’exagérer l’importance des Lieux saints car les plus grandes reliques que le Christ nous a laissées ne sont pas des pierres, mais l’Évangile et l’Eucharistie ».
Mais d’autres comme Raymond Tournay, dominicain de l’École biblique de Jérusalem, s’appuyaient sur les recherches archéologiques pour montrer que la souveraineté politique d’Israël avait été courte, très limitée et qu’un juif d’aujourd’hui ne pouvait prétendre descendre des Hébreux. En 1985, une note de la commission du Saint-Siège pour les relations avec le judaïsme tranchait la question de la terre : « Pour ce qui concerne l’existence de l’État d’Israël et de ses options politiques, celles-ci doivent être envisagées dans une optique qui n’est pas en elle-même religieuse, mais se réfère aux principes communs du droit international ». Une référence au droit international qui, tout à la fois, soulignait la légitimité de l’État d’Israël – que le Saint-Siège n’avait pas encore reconnu – et l’illégitimité de l’occupation de Jérusalem.
Jean-Paul II entre Israël et la Palestine
Dès 1980, Israël votait solennellement la réunification de Jérusalem déclarée « capitale éternelle de l’État d’Israël », décision de nouveau dénoncée par le Conseil de sécurité rappelant que « l’acquisition de territoire par la force est inadmissible ». C’est pourquoi toutes les ambassades sont restées à Tel Aviv. Y compris celle du Saint-Siège. Mais au fil du temps, le Saint-Siège a assoupli sa position sur Jérusalem et n’évoquait plus un corpus separatum mais seulement un « statut spécial internationalement garanti ».
Des personnalités israéliennes étaient reçues discrètement au Vatican, jusqu’à la visite officielle de Golda Meir en janvier 1973. Soucieux de maintenir l’équilibre, Jean-Paul II recevait Yasser Arafat en septembre 1982 puis nommait, en 1987, un Palestinien, Mgr Sabbah, à la tête du patriarcat de Jérusalem. Mais, au grand scandale des catholiques sionistes, le Saint-Siège n’avait toujours pas reconnu officiellement l’État d’Israël. Il faut dire qu’à la fin du pontificat de Paul VI, le Saint-Siège n’entretenait des relations diplomatiques officielles qu’avec 85 États !
Jean-Paul II mais aussi les négociations engagées entre Israël et l’OLP changèrent la donne.
Une commission bilatérale entre Israël et le Saint-Siège fut créée en 1992 et aboutit, le 30 décembre 1993, à un « Accord fondamental » entre les deux parties. Dans un discours prononcé le 15 janvier suivant, Jean-Paul II n’en soulignait pas moins que des questions n’étaient réglées, en particulier « le statut de la Ville sainte de Jérusalem ». Cet Accord fondamental n’a pas été ratifié par la Knesset mais des relations diplomatiques ont été établies en juin 1994. De nombreuses questions d’ordre financier restent en suspens, concernant en particulier les communautés catholiques et, en janvier 2017, des négociations ont été reprises. Du côté palestinien, le Saint-Siège a établi des relations diplomatiques avec l’OLP en octobre 1994 et reconnu l’État de Palestine en mai 2015.
Pour Jérusalem, le Saint-Siège affirme que la question ne peut se réduire, comme l’affirme Israël, au libre accès aux Lieux saints et que d’ailleurs, si les pèlerins étrangers y accèdent sans entrave, ce n’est pas le cas pour les Palestiniens chrétiens. »
Martine Sevegrand
CAPJPO-EuroPalestine