Dans une lettre ouverte à ses concitoyens israéliens, le réalisateur Udi Aloni explique pourquoi et comment il viendra témoigner lundi 19 mars à Versailles, à la demande d’Olivia Zémor, présidente de CAPJPO-EuroPalestine, poursuivie pour avoir demandé il y a 7 ans à Vanessa Paradis de ne pas aller chanter à Tel Aviv. Voici son texte (traduit de l’hébreu)
« J’ACCUSE 2018
Je vais en France la semaine prochaine pour témoigner devant le tribunal de Versailles, près de Paris.
Dans une démarche extravagante, le gouvernement français, cédant aux sollicitations d’une association d’extrême-droite pro-israélienne, veut faire condamner une militante elle-même d’origine juive, dans ce qui est en réalité une tentative de faire taire la campagne de lutte non violente pour apporter la justice au peuple palestinien.
Je pars pour témoigner en tant qu’être humain, juif, citoyen israélien, et membre de l’association états-unienne « Une voix juive pour la paix ».
Je pars pour deux raisons qui se complètent:
– La première est évidente; défendre les droits élémentaires du peuple palestinien pour une lutte non-armée contre l’oppression, l’apartheid, l’occupation et la colonisation de ses territoires. (Je ne pourrai malheureusement pas m’attarder et développer cette réalité dans cet article ; par contre, je le ferai au tribunal en l’étayant sur des faits). En effet, je vais prouver qu’Israël est gouverné par un régime raciste et contraire à la loi Internationale et à la morale humaine. C’est pour cela que la société civile a le droit de se battre et de lutter de façon non-violente contre ce régime.
– La deuxième raison pour laquelle je me rends au tribunal est pour faire un « Tikkun », autrement dit une réparation morale, une valeur qui est au fondement même de la culture juive. J’entends me battre contre l’effrayante vague d’une nouvelle sorte d’antisémitisme en Europe. Un antisémitisme qui essaie d’interdire aux Juifs de la diaspora un droit reconnu à tout être humain, celui d’être un citoyen à part entière, aux identités multiples et indépendantes, et de se battre contre les pratiques colonialistes de l’Etat d’Israël.
Quelque 74 ans après la chute du régime de Vichy, le gouvernement Français choisit, avec ce procès de prendre le chemin de cette monstrueuse islamophobie qui lève sa tête en Europe. Il déclare la guerre au droit d’une citoyenne de croire qu’être un bon Juif, c’est être un humain dans l’esprit de Primo Levi et non pas un colonialiste dans l’esprit de l’Etat d’Israël de 2018.
Je pars à Paris pour un combat qui est loin d’être achevé, continuer et affirmer le droit d’être un juif honnête comme me l’a appris ma mère, qui le tenait de mon grand-père. Et plus important encore, je pars pour me battre pour le droit du peuple palestinien à la justice, à l’égalité, pour mettre fin à cette longue oppression dont il a trop souffert.
Mais, est-ce-que le gouvernement Israélien va réussir, comme dans d’autres régimes sombres, à étendre son long bras pour faire taire l’opposition qui lui est faite, en dehors de ses frontières ?
Voilà des questions auxquelles le tribunal de Versailles devra répondre. La relaxe de l’accusée s’impose, selon moi. Les accusations portées contre elle sont absurdes, et le tribunal devrait au contraire sanctionner ceux qui essaient d’instrumentaliser le système judiciaire pour que ce dernier se lance dans des démarches anti-juives, anti-palestiniennes, anti-françaises, bref, anti-humaines.
Après l’Holocauste, il est naturel que des juifs du monde entier soient à la pointe de la lutte anticolonialiste et dans la lutte pour les droits de l’homme et du citoyen, de ceux qui se sont tenus aux côtés de Martin Luther King, de Nelson Mandela, et de bien d’autres.
Le peuple juif à compté parmi ces enfants des grands humanistes au 20éme siècle. Des personnages comme Primo Levi, Martin Buber, Hannah Arendt, et même ma mère, Shulamit Aloni, pour n’en citer que quelques uns.
Malheureusement et à notre grande tristesse, l’État d’Israël et son gouvernement ont choisi un chemin contraire à l’esprit du judaïsme humaniste, et au lieu de poursuivre l’esprit des Prophètes de l’Ancien Testament, il a choisi l’esprit de l’occupation et de la conquête du Livre de Josué.
Dans notre Bible il est écrit : » il aime le métèque, pour lui donner du pain et une tunique ! Aimez le métèque ; oui, vous avez été des métèques en terre de Misraïm ». La seule façon pour moi de pratiquer ma particularité, et mon identité de Juif doit être en accord avec ce commandement. Ce commandement qui est en accord avec les valeurs de la liberté, l’égalité, et la fraternité de tous les humains, car nous sommes faits à l’image de Dieu.
Mon amour envers le pays d’Israël et le pays de la Palestine est le même, et tant qu’il y en a une qui n’est pas libre, l’autre nation n’a pas le droit à sa liberté.
Et me voici ici, dans un tribunal français pendant que le gouvernement français collabore avec un colon, qui dénie tous droits, même les plus élémentaires, au peuple palestinien ; et au lieu de l’arrêter, la République Française s’est mise à ses côtés, un fondamentaliste qui croit que Dieu a donné aux Juifs la terre de la Palestine. Et en face de lui une prévenue qui pense que tous les êtres humains sont égaux. Voyez-vous, nous sommes une minorité parmi le peuple juif, mais il faut se rappeler que même la résistance était une minorité à l’époque de Vichy et de l’occupation ! Au même titre, nous sommes la résistance du peuple juif ! Nous nous battons pour l’avenir, pour notre avenir, et l’avenir de la morale juive.
Le gouvernement français non seulement doit respecter notre droit de prendre la parole mais c’est aussi son devoir est de nous aider et nous soutenir dans cette quête. Non pas uniquement pour les Palestiniens, mais aussi pour les Juifs, pour les Israéliens et pour le monde entier car c’est la pratique de la justice et de l’égalité qui va faire tomber les murs de haine dans cette partie du monde. »
Udi Aloni
CAPJPO-EuroPalestine