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Sissi, le grand perdant des accords de normalisation ?

Les accords passés entre Israël et des pays du golfe arabique sont une catastrophe pour l’Égypte. Le Caire perd à la fois son statut et des revenus, analyse David Hearst, rédacteur en chef de Middle East Eye.

Sissi, le grand perdant des accords de normalisation ?

 » Et ce sont les plus pauvres qui vont devoir passer à la caisse », prévient-il. 


« Premier péril à long terme, cite le journaliste, un oléoduc du désert qui était autrefois exploité comme une coentreprise secrète entre l’Iran du Shah et Israël pourrait jouer un rôle important dans la connexion du réseau d’oléoduc arabe à la Méditerranée. Le réseau de pipelines de la société Europe Asia Pipeline Company, qui s’étend sur 254 kilomètres, relie la mer Rouge au port israélien d’Ashkelon. 

Parallèlement au pipeline, DP World, propriété de l’État de Dubaï, s’associe à DoverTower d’Israël pour développer les ports et les zones franches israéliens et ouvrir une ligne de navigation directe entre le port d’Eilat sur la mer Rouge et le port de Jebel Ali à Dubaï. 

« Ni le pipeline ni la liaison portuaire ne sont de bonnes nouvelles pour le canal de Suez, pour lequel le président égyptien Abdel Fattah el-Sissi vient de dépenser 8 milliards de dollars, l’argent qu’il a forcé des hommes d’affaires égyptiens et des actionnaires ordinaires à investir dans le projet. Du jour au lendemain, le canal de Sissi se voit devancé par un moyen moins coûteux d’acheminer le pétrole de la mer Rouge vers la Méditerranée. « 

« Il y a d’autres périls plus immédiats pour son régime. Avec l’accord de normalisation, le Caire perd le rôle qu’il a joué pendant des décennies de médiateur entre les États arabes et Israël. L’Égypte étant le point de référence pour toutes les factions palestiniennes – en organisant des cessez-le-feu entre Israël et le Hamas à Gaza, ou des réunions de réconciliation entre le Fatah et le Hamas au Caire, elle avait alors dans sa manche la carte palestinienne. Il est significatif que la dernière tentative de réconciliation du Fatah et du Hamas ait eu lieu en Turquie et non au Caire. 

Pour des commentateurs comme Mohamed Ismat, écrivant dans Shorouk News, la perte du statut de l’Égypte va encore plus loin: « L’ensemble du système de sécurité nationale arabe, avec toutes ses dimensions militaires, politiques et économiques, sera totalement démantelé. Toute la rhétorique du monde arabe sur la liberté, l’unité et le développement indépendant, seront ossifiés et stockés dans des entrepôts », écrit-il. 

« Tout au long des années de confrontation avec Israël, l’Égypte a joué un rôle de premier plan dans la détermination des réactions arabes malgré ses désaccords avec tel ou tel État arabe. Cependant, cette situation ne continuera pas. Israël aspire à remplacer l’Égypte et à diriger la région arabe selon de nouvelles  équations qui feront tomber toutes les institutions de l’action arabe commune, au premier rang desquelles la Ligue arabe elle-même.  » 

« En plus de son statut, l’Égypte perd de l’argent liquide. L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont cessé de financer la dictature militaire de Sissi, dans laquelle ils avaient versé des milliards de dollars. L’Arabie saoudite a empêché les fonds et le pétrole d’aller en Égypte en raison de sa crise de balance des paiements, et le prince héritier d’Abou Dhabi, Mohammed ben Zayed, a trouvé d’autres camarades de jeux.  Verser de l’argent dans le gouffre sans fond des poches de Sissi devait devenir lassant. 

La société d’investissement Mubadala à Abu Dhabi, l’un des fonds souverains des Émirats Arabes Unis d’une valeur de 230 milliards de dollars, est particulièrement intéressante pour Israël.  Un universitaire israélien qui a passé du temps à Abu Dhabi a dit de ce fonds qu’il pourrait changer la donne pour la haute technologie israélienne. 
Mais la perspective d’un transfert des investissements émiratis de l’Égypte vers Israël est déjà en train de changer la donne pour certains hommes d’affaires au Caire. Salah Diab, le fondateur du journal Al-Masry Al-Youm, a déjà été arrêté en relation avec des entreprises qu’il possède. Mais sa dernière arrestation était différente : Diab est détenu en prison dans l’attente d’une enquête plus approfondie, et tout indique que les procureurs ont été chargés de le garder là-bas. Il n’est pas passé inaperçu à Abu Dhabi le fait que Diab est l’oncle maternel de Yousef al-Otaiba, l’ambassadeur émirati qui a joué un rôle clé dans la pré-annonce de l’accord de normalisation. 

La dernière fois que Diab a été arrêté en 2015, Otaiba est intervenu et son oncle a été rapidement libéré. Sissi n’écoute pas cette fois.  Pour montrer que les problèmes juridiques de Diab sont plus graves que par le passé, le texte de l’enregistrement d’une conversation présumée au dîner entre Diab et l’ancien candidat à la présidentielle Ahmed Shafiq a été publié sur un site de médias sociaux qui porte le nom d’un autre ancien général de haut rang,  Sami Anan.  Anan a été libéré et placé en résidence surveillée en décembre dernier après avoir purgé deux ans d’une peine de neuf ans de prison. 

Ayman Nour, chef du parti Ghad El-Thawra et ancien candidat à la présidentielle, a déclaré que l’arrestation de Diab « reflète l’état de désaccord entre l’Egypte et les Emirats Arabes Unis après la normalisation [avec Israël] ». 

Middle East Eye a appris qu’un autre homme d’affaires émirati qui tentait de créer une société de médias au Caire a été arrêté par les autorités égyptiennes et relâché seulement après l’intervention personnelle de Tahnoun bin Zayed, le frère de Mohammed bin Zayed. 

La perte de milliards de dollars du Golfe a durement frappé Sissi. Il a déjà sollicité le FMI (Fonds Monétaire International), a instauré l’austérité, et secoué ses hommes d’affaires les plus riches. Il n’a plus d’autre choix que de taxer ses citoyens.  Étant l’homme qu’il est, il fait d’abord payer les plus pauvres d’Egypte.

Renforcement de la surveillance de la population égyptienne

La dette nationale de l’Égypte a presque triplé depuis 2014, passant d’environ 112 milliards de dollars à environ 321 milliards de dollars. 

Dans le gouvernorat d’Assiout, 67% des habitants vivent sous le seuil de pauvreté de 736 livres égyptiennes (47 dollars) par mois. Comme l’explique l’économiste Mamdouh al-Wali, ce chiffre est irréaliste compte tenu de la flambée du coût de la vie, et le taux de pauvreté réel est certainement plus élevé. 

Malgré les difficultés de la population égyptiennes, Sissi a augmenté les prix de l’électricité, de l’eau potable, du gaz naturel et des transports publics. 

Un autre stratagème lucratif: démolir des maisons sans permis de construire – dans certains cas, des maisons familiales qui existent depuis des décennies. Les propriétaires peuvent éviter la démolition s’ils paient au gouvernement une redevance de 50 livres égyptiennes par mètre carré pour les maisons résidentielles dans les zones rurales; dans d’autres régions, la redevance pour les bâtiments commerciaux s’élève à 180 livres égyptiennes par mètre carré. 

La récession a conduit à l’arrêt de la construction. De nombreux travailleurs qui recherchent des travaux de jour sont contraints de rester chez eux. Les transports publics sont également devenus de moins en moins accessibles. Sur les trains, qui sont le moyen de transport le plus fréquemment utilisé entre la Haute et la Basse Égypte, les passagers ont vu les tarifs du transport de marchandises augmenter entre 12 et 140 livres égyptiennes par colis, en fonction du poids et de la distance parcourue.

Il n’est donc pas étonnant que ces villages aient connu une série de manifestations antigouvernementales sans précédent, mais encore pacifiques. Les gens ne pouvaient tout simplement plus en supporter davantage. 

Lorsque le lanceur d’alerte en exil Mohamed Ali a exhorté les opposants de Sissi dans le pays à participer à une «journée de rage» pour exiger le départ du président, il a lui-même été surpris de ce qui s’est passé: six jours de protestation dans plus de 40 villages, malgré une forte répression sécuritaire  . 
Le message d’Ali était simple.  Un président qui se vante du nombre de palais qu’il s’est construit ne laissera même pas les pauvres vivre dans leurs maisons sans menacer de les démolir. 

« Les nouveaux manifestants égyptiens sont – pour le moment – assez différents des révolutionnaires de 2011. Ils n’ont ni chef ni slogans politiques.  Ils sont conservateurs et religieux, mais ne sont pas organisés par les Frères musulmans. Les courageux révolutionnaires de 2011 venaient de la ville et en grande partie, mais pas entièrement, de la classe moyenne supérieure. Beaucoup avaient des diplômes. 

Les manifestants d’aujourd’hui sont issus des rangs des pauvres et des sans instruction, et beaucoup sont plus jeunes que la vague de 2011. Comme l’a écrit Abdul Rahman Yusuf, libéral laïc et fils du cheikh Qaradawi : « Le régime fait face à une population enragée qui ne le considère pas comme légitime. Il s’agit d’une confrontation directe. Il n’y a quasiment personne  pour porter la voix de ces simples roturiers qui se défendent contre un troupeau de hyènes enragées.  » 


Sissi ne peut pas se permettre de laisser ces manifestations se propager. Mais les égyptiens ne pourront supporter indéfiniment la mauvaise gestion et la corruption. Le moment arrive où la colère populaire se retournera contre le régime lui-même. Beaucoup de ces villageois sont, par tradition, armés – et ils agiront selon les codes de vengeance tribaux s’ils sont attaqués par l’armée ou la police. Jusqu’à présent, leurs manifestations ont été pacifiques. 

Ce régime militaire brutal, insensible et ruineux a été installé par les familles royales émiraties et saoudiennes. Sissi n’aurait pas rompu les rangs et trahi le président, Morsi, qui l’avait choisi comme ministre de la Défense, sans l’argent que Riyad et Abu Dhabi lui avaient promis. 

S’ils perdent Sissi et l’Égypte dans son ensemble, leurs plans de domination régionale s’effondreront bientôt.  Ensuite, la région aurait effectivement atteint un tournant – mais pas celui que ni Mohammed ben Zayed ni le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu avaient prévu. « 

(Traduit par Sarah V. pour CAPJPO-EuroPalestine)

Source et texte intégral sur : https://www.middleeasteye.net/opinion/israel-gulf-deals-usher-disastrous-new-era-egypt

CAPJPO-EuroPalestine