Haidar Eid, universitaire palestinien spécialisé dans la littérature postcoloniale, démonte la logique raciste qui sous-tend les déclarations de Jared Kushner et son « deal du siècle ».
« Dans la littérature classique raciste, comme dans les discours du même acabit, les autochtones, qui ont le tort de ne point être blancs, sont dépeints sous les couleurs d’un groupe d’individus tous aussi feignants les uns que les autres, incapables de mener à bien leur propre vie, ni de gérer leurs affaires tout seuls.
Ils appartiennent à des entités qui, classifiées comme arriérées, font quelque peu désordre dans le paysage bien ordonné des modernes civilisations.
Même dotées des meilleures intentions, ces peuples restent des impotents et ils doivent s’estimer heureux de toutes ces brillantissimes interventions occidentales qui leur font tant de bien.
L’idéologie raciste est le socle sur lequel repose la justification de tous les rapts de terre, des occupations militaires, sous le masque de la soi-disant face humaniste du colonialisme occidental en général, et de l’israélien en particulier.
Jared Kushner, gendre et conseiller de Donald Trump pour le Moyen Orient, a récemment émis des doutes concernant la capacité des Palestiniens à se gouverner eux-mêmes:
« C’est ce qui reste encore à voir. Espérons que, avec le temps, ils finiront par y arriver… ils doivent avoir un système judiciaire à la hauteur…la liberté de la presse, d’expression, être tolérants envers toutes les religions, avant que les territoires palestiniens puissent devenir « investissables ».
Bien sur qu’Israël, à ses yeux, est doté de toutes ces qualités, même s’il se garde bien de préciser qu’un seul groupe ethnico-religieux peut en jouir.
Il a poussé plus en avant son propos lorsque lui fut posée la question de savoir si les Palestiniens pouvaient espérer être libérés de la botte militaire israélienne comme du talon de fer du gouvernement israélien. Il répondit alors laconiquement en indiquant que cela revenait à fixer la barre bien haut. Selon lui, les aspirations des Palestiniens se limitent seulement à vivre un peu mieux, c’est à dire qu’ils puissent rembourser leurs emprunts…
Ce n’est rien d’autre que du racisme, sorti tout droit de l’idéologie du Darwinisme social du dix neuvième siècle.
Une définition classique du racisme, basée sur une approche purement biologique, comme en sont animés des Jared Kushner et toute la clique de Blancs suprémacistes depuis l’Afrique du Sud, comme du sud des USA, jusqu’à l’apartheid qui règne en Israël, et qui repose sur la croyance, bien ancrée, selon laquelle les êtres humains ne sont pas égaux entre eux. La supériorité des uns par rapports aux autres, notamment en termes d’intelligence, est le fruit de caractéristiques innées puisque biologiques.
Et tout ce discours raciste est appliqué pour expliquer les différences qui existent entre les colons et les Palestiniens, en termes de condition de vie.
C’est là ce qui est censé donner une rationalité à l’idéologie raciste. C’est en suivant cette logique, que l’on en vient à estimer que les Palestiniens n’ont pas l’intelligence requise, contrairement aux Ashkénazes israéliens, pour se gouverner eux-mêmes.
Pas question de prendre en considération les différences qui seraient à même d’exister entre tel ou tel groupe social, en fonction des rapports sociaux qui ont jalonné notre histoire.
On peut raisonnablement s’interroger et se demander si J. Kushner est suffisamment cultivé, pour être à même de connaître les grands penseurs palestiniens que sont Samira Azzam, Salma Khadra Jayyusi, Ghassan Kanafani, Mahmoud Darwish, Toufik Zayyad, Ibrahim Abu Lughd, Hisham Sharabi, Naji Al-Ali, or Fadwa Touqan, pour ne mentionner que quelques uns d’entre eux.
Pour des fils à papa comme Kushner, nés avec une cuillère en argent dans la bouche, les Palestiniens ne sont pas vraiment des êtres humains, comme peuvent l’être les Israéliens ashkénazes, car ils ne produisent pas de bombes ni de machines à tuer.
Et vous voudriez qu’ils puissent aspirer à leur propre autonomie?
S’ils vivent dans le malheur, c’est parce-que, n’en doutons pas, ils sont responsables de la tragédie survenue en 1948, et qui perdure jusqu’à aujourd’hui. Ce n’est pourtant pas faute, pour Israël comme des USA, d’avoir tout essayé pour les civiliser. Oui mais voilà, les Palestiniens n’ont pas la même mentalité, c’est à dire qu’elle n’est pas à la hauteur du génie occidental.
Voilà pourquoi, ces primitifs, ces sauvages de Palestiniens doivent avoir de la gratitude pour ces généreux Ashkénazes israéliens qui acceptent, dans le désintérêt le plus total, de porter tout le poids de les gouverner.
Le message de Kushner est clair comme de l’eau de roche : Les Palestiniens n’étant pas dignes de notre confiance pour se gouverner eux mêmes, ils doivent, sans rechigner, accepter le superbe deal du siècle, et leur esclavage sous la botte israélienne.
Kushner n’est pas seulement un idéologue raciste, mais il s’inspire également de l’islamophobie, comme de l’orientalisme. Il ne fait aucun doute pour moi que, dans un passé pas si éloigné, il aurait été un ardent supporter des lois de Jim Crow, comme de l’apartheid en Afrique du Sud, dès lors que celui qui règne actuellement en Israël ne le gêne guère aux entournures.
Laisser moi finir ce billet, en citant le grand penseur du vingtième siècle que fut le très regretté Edward Saïd, qui releva, dans « Culture et Impérialisme, » que le facteur commun au colonialisme et au néocolonialisme, et qui est constitutif de l’impérialisme, réside dans la conviction des Blancs occidentaux d’êtres supérieurs à tous les peuples qu’ils ont colonisés, et à leur droit alors intrinsèque de les opprimer, pour affirmer ainsi leur supériorité. »
Par Haidar Eid, Professeur de Littérature postcoloniale et postmoderne à l’Université al-Aqsa de Gaza
(Traduit par Lionel R. pour CAPJPO-EuroPalestine)
Manifestation en Afrique du Sud
CAPJPO-EuroPalestine