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TRIBUNE : « L’’incessant combat du Camp de la Paix israélien », Par Paul KESSLER

Dans le conflit du Proche-Orient, qui suscite tant d’inquiétude un peu partout dans le monde depuis le déclenchement de la seconde Intifada, il est un acteur largement ignoré par les médias, méconnu du public, et dont pourtant la présence et les activités multiformes méritent d’être mises en relief : le Camp de la Paix israélien.


Minoritaires certes au sein de la société israélienne, mais convaincus, dynamiques et courageux, les militants pacifistes israéliens se répartissent entre des mouvements multiples dont
nous citerons ici quelques-uns des plus importants.
Le plus connu de ces mouvements est sans conteste « La Paix Maintenant » (Shalom Akhshav). A la suite de l’invasion du Liban en 1982 et durant la
première Intifada (1987-1993), il avait longtemps constitué la colonne
vertébrale du Camp de la Paix grâce à sa capacité de faire sortir dans la
rue des dizaines, voire parfois des centaines, de milliers d’Israéliens. Il
faut dire que, dans les années qui suivirent les accords d’Oslo, ce
mouvement allait ralentir son action (sans doute en raison de ses liens avec
le parti travailliste, longtemps au pouvoir). Récemment, toutefois, il a
repris ses activités avec vigueur, organisant rassemblements et
manifestations contre la politique du gouvernement Sharon.
C’est en particulier Gush-Shalom (le « Bloc de la Paix ») qui allait
reprendre le flambeau durant les années où « La Paix Maintenant » s’était
quelque peu effacé. Animé par le vétéran pacifiste Uri Avnery, Gush-Shalom
ne cesse de lutter, y compris par des actions menées sur le terrain, contre
la répression dans les territoires occupés. Citons à titre d’exemples :
l’intervention de ses militants au mois de juin dernier, aux côtés des
résidents palestiniens, dans le village d’Al-Khader (près de Bethléem) où
ils s’opposèrent aux tentatives d’expansion illégales de l’implantation
voisine d’Efrat ; au mois d’août, sa présence dans les manifestations de
protestation déclenchées à Jérusalem-Est par la fermeture de la Maison
d’Orient (qui abritait la représentation de l’Autorité Palestinienne à
Jérusalem) ; au mois de septembre, sa participation à l’action visant à
empêcher l’expulsion de 118 Palestiniens habitant des grottes dans la région
montagneuse située au sud d’Hébron.
Un rôle éminent revient au « Centre d’information sur les droits de
l’homme » (BeTselem) créé au début de la première Intifada et qui depuis
cette époque dénonce vigoureusement, dans ses publications, toutes les
infractions aux droits de l’homme commises dans les territoires occupés :
utilisation excessive de la force par l’armée, brutalités des colons,
détentions arbitraires, torture, démolition de maisons, restrictions
apportées à la liberté de mouvement, etc.
Parallèlement, le « Centre pour la défense de l’individu » (HaMoked), né
vers la même époque, s’est donné pour mission de fournir une aide juridique
à tous les Palestiniens victimes, à quelque titre que ce soit, de l’action
des autorités et des forces de sécurité israéliennes.
Le mouvement Yesh Gvul (« Il y a une limite ») fut fondé en 1982 pour
apporter son aide aux objecteurs de conscience de la guerre du Liban.
Aujourd’hui, il soutient ceux qui refusent de servir dans les territoires
occupés et qui sont au nombre de plusieurs centaines (plus d’une vingtaine
d’entre eux ont été condamnés à des peines de prison depuis le début de la
seconde Intifada, alors que d’autres ont pu s’arranger pour se faire
affecter en Israël même ou se faire réformer pour raisons « médicales » ou
« psychologiques »). Yesh Gvul mène également une propagande active, parmi les
soldats et les futurs conscrits, en faveur de l’objection de conscience. Une
autre association créée récemment, « Nouveau Profil », s’est assigné des
tâches similaires. Il faut aussi mentionner dans ce contexte le collectif
des 62 lycéens qui, au mois de septembre dernier, adressèrent une lettre à
Sharon proclamant leur intention de « refuser de prendre part à l’oppression
du peuple palestinien » et d’appeler tous les jeunes de leur âge à les
rejoindre dans ce refus.
Dans le combat pour la paix et la justice, les femmes tiennent
également un rôle important. Citons notamment les « Femmes en noir » qui, depuis 1988,
se rassemblent chaque vendredi en début d’après-midi sur une place du centre
de Jérusalem pour protester silencieusement contre l’occupation des
territoires palestiniens (elles ont entre-temps fait des émules dans
d’autres villes d’Israël, voire dans la Diaspora juive). La « Coalition des
femmes pour une paix juste », de création plus récente, participe à de
nombreuses manifestations, y compris dans les territoires occupés. Il y a
lieu de mentionner également l' »Organisation des femmes pour les
prisonnières politiques » qui, depuis la première Intifada, apporte son aide
aux détenues politiques palestiniennes.
Il existe également, au sein du Camp de la Paix, plusieurs mouvements
religieux. Il convient d’évoquer en particulier la très active association
des « Rabbins pour les droits de l’homme » qui regroupe une centaine de
rabbins appartenant à tous les courants du judaïsme religieux et ayant en
commun le souci de préserver les valeurs éthiques qui en constituent
l’héritage le plus précieux. Entre autres initiatives, les « Rabbins pour les
droits de l’homme » se proposent, à l’occasion de la prochaine Fête des
arbres (Tou Bish’vat), de planter des dizaines de milliers d’arbres dans les
territoires palestiniens afin de remplacer ceux qui ont été déracinés par
l’armée et les colons.
Citons encore : le « Centre d’information alternatif », animé par
l’infatigable militant Michel Warschawsky et très actif sur le terrain
depuis de longues années ; le mouvement Ta’ayoush (« Partenariat
judéo-arabe ») qui, depuis le début de la seconde Intifada, s’emploie
notamment à organiser des convois de ravitaillement vers les localités
palestiniennes assiégées par l’armée et totalement coupées de l’extérieur ;
l’organisation universitaire Hakampus lo shotek (« Le campus ne se tait pas »)
; les « Médecins pour les droits de l’homme » ; le « Comité contre la torture »
; le « Comité contre les démolitions de maisons » … Cette énumération est
loin d’être exhaustive.
Bien entendu, il ne faut pas oublier non plus les nombreuses
personnalités (intellectuels, écrivains, artistes, journalistes, hommes et
femmes politiques …) qui se rangent dans le Camp de la Paix et qui à
l’heure actuelle multiplient, avec leurs homologues palestiniens, les
rencontres et les déclarations communes réclamant la cessation des violences
et la fin de l’occupation.
Répétons-le : Les mouvements pacifistes (qui au demeurant ont pignon
sur rue et s’expriment en toute liberté) représentent, malgré tout, une minorité
au sein de la société israélienne. La majorité des Israéliens a voté pour
Sharon aux dernières élections et continue à le suivre. On songe en
l’occurrence à la formule lapidaire qu’Ibsen place dans la bouche du héros
de son drame « Un ennemi du peuple » : « La minorité a toujours raison. »
Rarement elle n’a été autant justifiée.
Qu’est-ce donc qui a poussé une large majorité d’électeurs israéliens à
accorder leur confiance à Sharon malgré son passé exécrable et alors qu’il
n’offre à son peuple aucun espoir sérieux de paix ? Pour expliquer le
comportement des Israéliens, on a parfois mis l’accent (et sans doute à
juste titre) sur la peur qui les hante en permanence. Cette peur
existentielle, ce sentiment de fragilité historique, a certes sa motivation
: Il suffit de jeter un regard sur la carte pour voir Israël comme un
minuscule îlot implanté au milieu d’un océan arabo-musulman qui, tôt ou
tard, risque de l’engloutir.
Que le peuple israélien ait le souci de sa sécurité, rien de plus
naturel. La déraison consiste à rechercher la sécurité dans la conquête.
Cette mentalité anachronique, qui s’enracine dans l’expérience des débuts de
la colonisation sioniste, suffit à expliquer l’entreprise effrénée de
mainmise sur les terres palestiniennes qui se concrétise par la création
massive de colonies de peuplement. Elle explique aussi que tout retrait,
tout abandon de territoire, soit vécu par un grand nombre d’Israéliens comme
signifiant le début de la fin de l’Etat d’Israël.
Pourtant, l’expérience des dernières décennies prouve au contraire que
conquête et sécurité sont devenues incompatibles : Sur la frontière sud
d’Israël, le retrait du Sinaï a apporté au pays infiniment plus de sécurité
que la conquête de ce territoire ; et sur sa frontière nord, la conquête
d’une partie du Liban n’a fait qu’engendrer de nouvelles menaces pour Israël
jusqu’au moment où son armée s’est entièrement retirée de ce pays.
Pour le Camp de la Paix, la sécurité d’Israël ne peut être garantie que
par un accord avec ses voisins palestiniens, fondé sur la fin de
l’occupation, un partage équitable du territoire et des ressources,
l’acceptation mutuelle et l’établissement de relations de bon voisinage dans
l’égalité absolue des deux peuples. Ainsi, la poursuite de la justice se
confond, pour les pacifistes israéliens, avec une recherche réaliste de la
sécurité de leur pays.
Bien des amis d’Israël dans le monde (juifs et non-juifs) se sentent
aujourd’hui placés devant un dilemme : Faut-il continuer à défendre Israël
contre vents et marées, ou faut-il se soucier davantage des valeurs morales
en jeu dans le conflit ? Il existe une issue à ce dilemme : soutenir le Camp
de la Paix, c’est à la fois servir la justice et défendre l’intérêt bien
compris du peuple d’Israël, qui ne saurait reposer que sur la paix, la
réconciliation et la coexistence.