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LE SIONISME (contribution de Pierre STAMBUL)

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10 avril – Je précise d’abord que je suis militant de l’UJFP (Union Juive Française pour la Paix). L’UJFP a dans sa plate-forme l’évacuation des territoires occupés, le démantèlement des colonies et le soutien au peuple palestinien ou aux pacifistes israéliens. Il n’y a rien sur le sionisme. C’est volontaire pour faire entendre une « autre voix juive » la plus large possible. Je m’exprime donc sur le sionisme à titre personnel.


Je commencerai sur une confusion courante. On confond régulièrement juif, sioniste, israélite et israélien. Le sionisme, c’est une idéologie.

Le sionisme est au départ assez semblable à l’ensemble des mouvements nationalistes qui naissent en Europe centrale et orientale au XIXe siècle à la faveur du déclin des trois grands empires autrichien, russe et turc. Les Juifs d’Europe subissent alors des persécutions meurtrières (surtout en Russie), marquées par des pogroms (celui de Kichinev dont ma grand-mère fut une survivante fera 3000 morts en 1903).

À la différence des autres nationalismes qui prônent la création de nouveaux Etats-nations là où vivent les peuples dominés par les empires (Polonais, Tchèques, Roumains, Serbes …), le sionisme préconise au départ la création d’un « foyer national juif » non pas sur place, mais en Palestine qui appartient alors à l’empire ottoman. La plupart des fondateurs du sionisme sont peu (ou pas du tout) croyants. Ils font néanmoins appel à la Bible et à la religion pour choisir un territoire totalement étranger à cette Europe où vivent les 2/3 des Juifs de l’époque. Ils justifient la nécessité d’un « foyer national » comme réponse à l’antisémitisme. Pour eux, l’assimilation ou l’égalité des droits sont impossibles. Dès le départ, les sionistes inventent le mythe de « la terre sans peuple pour un peuple sans terre ». La Palestine compte pourtant 600.000 habitants vers 1900.
Pendant très longtemps, les sionistes seront très minoritaires. La plupart des Juifs européens qui s’engagent politiquement sont révolutionnaires. Ils pensent que la libération des Juifs, en tant que peuple opprimé, passe par la révolution mondiale. Il existe aussi un parti Juif révolutionnaire, le Bund, qui prône « l’autonomie culturelle » des Juifs sur place, en Europe de l’Est, sans territoire spécifique.

Les sionistes sont très minoritaires et au moment de la déclaration Balfour (1917) qui promet un « foyer » aux sionistes, il n’y a que 100.000 Juifs en Palestine, à peine plus en pourcentage que dans les pays voisins. Les premiers sionistes ont souvent été des révolutionnaires. Les kibboutz sont les résultats de leurs utopies. Un mouvement de jeunesse comme l’Hashomer Hatzaïr (dont on vient de parler à l’occasion des regrettables incidents de la dernière manifestation à Paris) se veut à la fois sioniste et communiste.

Après la guerre de 14-18, les sionistes créent l’instrument d’une véritable colonisation et ont clairement le projet de créer un Etat juif. L’Agence Juive organise l’immigration, collecte des fonds, achète des terres et crée des institutions étatiques. Le mouvement est dirigé par des sociaux-démocrates (ancêtres du parti travailliste actuel). Mais une scission fait apparaître une extrême droite. Dès les années 30, Jabotinsky qui se proclame « révisionniste » et est admirateur du régime fasciste italien de Mussolini, prône l’expulsion de tous les Arabes au-delà du Jourdain. Begin et Sharon sont les héritiers de ce courant. Un autre groupe de droite, le groupe Stern se lance dans la lutte armée contre le colonisateur britannique.

Les premières persécutions perpétrées par les Nazis provoquent une vague d’immigration. À la veille de la guerre de 39-45, il y avait 350.000 Juifs en Palestine. C’est la Shoah qui a rendu possible la création de l’Etat d’Israël. On a fait payer au peuple palestinien le génocide nazi. Pourtant, les sionistes n’ont joué qu’un rôle marginal dans la lutte contre le nazisme. La résistance juive en Europe a été essentiellement communiste et bundiste. Le groupe Stern (où militait le futur Premier ministre Shamir) avait tellement peu conscience du massacre qui se déroulait en Europe que jusqu’en 1943, il a perpétré des attentats contre les troupes britanniques.

Après 1945, deux réalités se chevauchent. D’un côté, il y a des milliers de rescapés du génocide qui cherchent un refuge. Il y a la culpabilité de l’Occident qui n’a rien fait pour empêcher le génocide. De l’autre, il y a le projet politique sioniste de créer un Etat juif dans lequel la population autochtone palestinienne doit être réduite à tout prix. Dès le début de la guerre de 48, le plan « Dalet » (D en Hébreu) est appliqué. La population palestinienne est poussée à l’exil. C’est la « Nakba ». Des massacres (Deïr Yassine, Tantura…) accélèrent cet exode. L’historien israélien Ilan Pappé qui a étudié les archives de cette guerre montre que cet exode de 80% de la population palestinienne était délibéré de la part des forces juives.

Dès la création de l’Etat d’Israël, le projet sioniste évolue. Il s’agit de faire immigrer à tout prix les Juifs du monde entier. L’Agence Juive organise cette immigration. Dans les pays arabes, elle rencontrera souvent la complicité de régimes ravis de se débarrasser de communautés juives pourtant très anciennes. Les communautés Yéménite, Irakienne ou Syrienne émigrent dès les années 50. La communauté Egyptienne après 1956. Les communautés du Maghreb après l’indépendance se partageront entre la France et Israël. En même temps, les anciens villages palestiniens sont rayés de la carte et les terres sont confisquées.
Le projet sioniste évolue encore après la guerre de 67. Cette guerre, qui avait été présentée à l’opinion mondiale comme une guerre de survie, devient très vite une guerre de conquête, de colonisation et de nouvelles expulsions. C’est le gouvernement travailliste qui installe les premières colonies et annexe Jérusalem-est et les localités avoisinantes. Cette radicalisation amène la droite sioniste au pouvoir (1977). Celle-ci a un projet clair : le « Grand Israël », sur les terres bibliques pour sa fraction intégriste, de la Méditerranée au Jourdain (voir du Nil à l’Euphrate) pour les plus fous. Le Sionisme, dès lors, n’a plus rien à voir avec le mouvement de libération national qu’il a prétendu être. C’est un projet colonialiste visant à conquérir le maximum de territoire pour un état juif, « ethniquement purifié ». Projet aidé par l’apport démographique des Juifs des pays de l’Est après l’écroulement de l’URSS. Projet qui transforme les Palestiniens d’Israël en citoyens de seconde zone et ceux des territoires occupés en étrangers dans leur propre pays. Projet qui « importe » des travailleurs immigrés d’Asie du Sud Est ou de Roumanie pour remplacer les Palestiniens licenciés depuis l’Intifada.
La caricature du projet sioniste, c’est ce qui s’est passé en septembre 2002 : des rabbins intégristes ont converti une communauté religieuse amérindienne du Pérou. Ils les ont amenés directement pour vivre dans une colonie entre Jérusalem et Hébron.

Le projet sioniste cherche à créer un « Israélien nouveau ». Pour cela, il faut faire disparaître l’histoire, les langues et la culture de la diaspora. Le sionisme a besoin de l’antisémitisme pour justifier son projet. Le sionisme est contre l’assimilation des Juifs dans le pays où ils vivent. Le sionisme a enfermé 1/3 des Juifs du monde entier dans un grand ghetto et il voudrait les y mettre tous. Le sionisme voudrait qu’Israël soit la fin de l’histoire juive, un peu comme Milosevic pensait que la Grande Serbie serait l’achèvement de l’histoire Serbe. Bref, le sionisme usurpe l’identité juive qui a toujours été plurielle et universaliste. C’est une caricature du messianisme.

Pour conclure :
Il me paraît clair que la dégénérescence du sionisme était inscrite dans le projet initial. Tout nationalisme qui met en avant les intérêts supposés d’un seul peuple, finit par nier les droits de tous les autres. Il finit aussi par essayer de réécrire l’histoire du peuple qu’il prétend défendre.

Quoi qu’on en pense, Israël existe. Les Palestiniens ont reconnu son existence à l’intérieur des frontières d’avant 67. La paix passe par l’évacuation de tous les territoires occupés et le démantèlement des colonies. Il ne faut pas faire d’une rupture avec le sionisme un préalable.

Les « refuzniks » (ces objecteurs de conscience qui refusent de servir dans les territoires occupés et vont en prison) que nous avons fait venir à Marseille, n’ont pas rompu avec le sionisme. C’est avec ces Israéliens que la paix se fera.

Jean-Christophe Attias et Esther Benbassa qui ont écrit « Les Juifs ont-ils un avenir ? » pensent qu’on est déjà entré dans une ère post-sioniste et que c’est la peur qui permet au projet de tenir encore. Avec la paix, la page du sionisme sera tournée. Espérons-le.

Pierre Stambul

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