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LE TEMOIGNAGE OCULAIRE DU PACIFISTE JOE SMITH, SUR LE MEURTRE DE SON CAMARADE TOM HURNDALL PAR L’ARMEE ISRAELIENNE

17 avril – Le témoin oculaire Joe Smith écrit sur le meurtre de Tom Hurndall
Joe Smith, The Electronic Intifada, 12 April 2003
Traduit par Danielle Mourgue


S’il vous plaît, pas à nouveau. Nous avons entendu les tirs- nous entendons toujours des tirs- mais des tirs répétés de sniper comme ceux-ci sont particulièrement perturbants. J’ai entendu le coup de feu, j’ai entendu un cri et quand je me suis retourné j’ai vu le tas orange fluorescent sur le sol, du sang coulait de sa tête. J’ai avancé et reculé, ne sachant trop quoi faire, et en quelques secondes ma formation aux soins m’est revenue. Les Palestiniens étaient en train de le soulever pour le déplacer. « Posez-le! » avons-nous crié avec Alice, l’autre médecin.

Nous avons fini par l’allonger sur le trottoir.J’avais enlevé mes coussinets de protection et j’essayais d’arrêter l’hémorragie. On ne se préoccupe pas de gants en latex dans des moments comme ceux-là. Le sang coulait de l’arrière de sa tête. Je ne pouvais pas l’arrêter. Quelques secondes plus tard, il était soulevé à nouveau et mis dans un taxi. » Attendez l’ambulance! » Nous avons essayé de les convaincre, mais ils étaient hystériques et il nous a été arraché et transporté à toute vitesse à l’hôpital dans une Mercedes marron. L’ambulance est arrivée sur les lieux quelques minutes après, mais c’était trop tard: il était parti.
J’ai regardé le coussinet de protection plein de sang que je tenais toujours dans ma main. Pendant un bref instant, j’ai eu l’impulsion de le jeter, comme on le fait de n’importe quel déchet dans ces rues, mais j’étais incapable de m’en défaire.Je l’ai tenu pendant tout le trajet en taxi jusqu’à l’hôpital et je m’y accrochais toujours quand je me suis écroulé par terre contre les murs de la salle où l’on opérait Thomas.

Pour moi, il était mort dès le moment où nous l’avons posé par terre et où nous lui avons donné les premiers soins. Alice a essayé le bouche à bouche, et j’ai pensé que c’était inutile. Pour moi, il était mort quand on l’a enlevé de nos mains et mis dans la voiture. Même quand il a été transporté de l’hôpital Al-Najjar à l’hôpital Europa à Khan Younès, il n’était pas vivant dans mon esprit.

Il est maintenant sous assistance respiratoire à l’hôpital Saroka à B’ersheva. Il est cliniquement mort mais il respire toujours. Peu importe que son coeur continue à battre régulièrement, je continue à parler de lui au passé. Cela m’a pris un moment pour accepter que Rachel soit vraiment morte, et je pense que mon esprit compense cette perte en se préparant à une autre mort par avance.

Il s’appelait Thomas Hurndall et il était originaire de Londres.Quand il est arrivé, il y avait déjà parmi nous un Anglais qui s’appelait Tom et il a choisi le surnom de « Tab ». C’est sous ce nom que je le connaissais. Tab s’investissait corps et âme dans la protection des gens quand et où ils en avaient le plus besoin. Nous étions à Yibna, un camp de réfugiés de Rafah, juste sur la frontière égyptienne, parce qu’il était conscient des tirs incessants de l’armée israélienne auxquels est soumis ce lieu quotidiennement.

Il avait appris la nouvelle de la mort de deux frères le matin précédent, et il se dévouait à maintenir une présence dans ce lieu.Il a dit avoir éprouvé une immense colère et une immense détermination après avoir entendu des coups de feu depuis son lit, dans la maison du docteur que Rachel protégeait quand elle a été tuée. Il voulait être dans les zones les plus dangereuses, pas à cause d’une espèce de complexe du martyr, mais simplement parce qu’il savait que c’était là que l’on a le plus besoin d’internationaux.

Il était prêt à rester dans la maison la plus visée, et nous a aidé à y suspendre de grandes bannières.Il était décidé à placer une tente devant une mosquée, lieu utilisé chaque nuit par un tank israélien pour terroriser la population par des tirs.Nous étions en route pour dresser la tente le jour où on lui a tiré dessus, mais nous avions abandonné le projet à cause du malaise des Palestiniens dû à des tirs trop nombreux

Le tank était déjà en position quand nous sommes arrivés et tirait. Une tour de sécurité à proximité s’y était mise aussi et tirait les coups de feu effrayants de sniper. Nous étions derrière un grand barrage routier en train de décider quoi faire et Laura était partie devant avec des Palestiniens pour jeter un coup d’oeil. Elle portait notre veste orange fluorescent avec des bandes réfléchissantes, et était clairement indentifiable comme internationale.

Malgré, ou peut-être à cause de cela, ils ont tiré autour d’elle. Elle a dit que les coups étaient tirés sur sa droite et sa gauche, lui rendant difficile tout mouvement. Elle venait de nous rejoindre quand le tir en provenance de la tour s’est dirigé vers le barrage routier derrière lequel nous nous tenions. Des enfants jouaient sur le barrage, come ils le font souvent, et beaucoup se sont dispersés à cause des tirs.

Cependant, Thomas a remarqué qu’un garçon était trop effrayé pour bouger. Instinctivement, il l’a rapidement enlevé de la zone, alors que des tirs atterrissaient autour du petit innocent fragile. Après avoir réussi à l’évacuer, il allait partir quand il a remarqué deux petites filles devant le barrage, en plein dans la ligne de feu.

Il allait les aider à s’échapper quand le soldat israélien dans la tour a visé et tiré une balle de gros calibre directement dans la tête de Tab. Il était totalement visible de la tour et , comme Laura, portait l’équipement hautement identifiable. Nos ambassades avaient été informées de notre présence dans cette zone et en avaient informé les autorités militaires israéliennes.

Ils savaient qui il était, ils savaient ce qu’il était, et ils savaient ce qu’il faisait. Il savait qu’il ne représentait aucune menace pour leur sécurité physique, mais il est probable qu’ils comprenaient l’attention internationale que sa présence attirait, et ils savaient que notre travail de bouclier humain les avaient empêché de terroriser les Palestiniens comme il le fallait et de détruire leurs maisons.

En ce sens, il était une « menace » pour eux. Une menace pour l’image d’Israël dans le monde. Il était une menace pour la légalité de l’occupation, et une menace pour leur conception jamais remise en cause de ces gens comme des terroristes inhumains. Le tireur ne pouvait pas tolérer ce genre de défi, et a pris des mesures mortelles pour y mettre un terme. Nous n’aurons qu’à voir comment un tel acte leur retombera dessus.

Je ne connaissais pas très bien Tab. Il n’était là que depuis une semaine, mais avait pour projet de rester le mois entier accordé par son visa. Il venait d’effectuer une semaine de travail auprès de réfugiés en Jordanie. Auparavant, il avait passé deux semaines en Irak comme bouclier humain et à faire du travail de secours. C’était un photographe brillant, et il voulait ardemment faire connaître les immenses violations des droits de l’homme que subissent les Arabes.

C’était son premier voyage au Proche-Orient, mais les trois semaines précédentes l’avaient plutôt bien préparé à ce genre de travail. Il était mûr et aussi décontracté, mais aussi extrêmement engagé et déterminé. J’ai été très surpris d’apprendre qu’il avait seulement 21 ans, né la même année que moi.

Ce jour-là, j’avais passé quelques heures à lui faire faire le tour de Rafah pour prendre des photos Nous essayions de faire une compilation de photos de la ville et de notre présence ici afin d’informer. Les enfants ici aiment les appareils photo, et nous entouraient sans cesse. Cela dérange et dépasse la plupart des gens, mais Tab trouvait cela amusant et riait doucement devant les enfants turbulents qui criaient  » Comment t’appelles-tu? » et « Comment vas-tu? ». Il a dit qu’il avait déjà appris quelques trucs, comme ne sortir son appareil qu’à la toute dernière minute.

Nous avions même eu une conversation ce jour-là sur les dangers du lieu, et sur le fait qu’aucun de nous ne les mesurait vraiment ou sinon nous n’aurions pas été là. J’ai dit que j’avais toujours confiance en mon statut d’international même après les récents actes de violence contre nous. Je pensais que les internationaux n’étaient pas délibérément visés et qu’il s’agissait seulement d’une augmentation d’imprudence et d’hostilité due à l’augmentation de l’efficacité de notre travail. J’ai dit que je ne serais vraiment intimidé que quand ils prendraient ouvertement pour cible un international clairement identifiable comme tel. Tant qu’ils n’auraient pas intentionnellement tué l’un des nôtres, je ne ressentirais pas la terreur qu’éprouvaient les Palestiniens. Le destin a des voies mystérieuses.

Je ne sais pas si je peux rester ici maintenant. Je crois qu’il est nécessaire que des internationaux restent ici et que les Israéliens ne doivent pas apprendre qu’ils peuvent intimider l’ISM en usant d’une telle violence. Je crois que cela montre à quel point notre travail est devenu efficace, et que maintenant, c’est le moment de rester et d’établir une présence encore plus forte.

Mais il me reste seulement si peu d’énergie. La mort de Rachel m’en pris beaucoup, mais m’a aussi inspiré la volonté de rester et de me jeter dans le projet Olympia Sister City et dans l’action directe non violente contre l’occupation israélienne de Rafah. J’avais prévu de rester jusqu’à la fin du mois de Mai pour atteindre ces buts, et je savais qu’il me restait au moins cela en moi. Mais cet incident m’a fait vieillir très vite, et fait que je me demande si je peux faire face à ce type de travail et à cet endroit.

Qui sait ce qu’il va lui arriver maintenant. Il semble que sa famille devra prendre la décision redoutée de le laisser ou pas sous assistance respiratoire. Je dois partir d’ici s’il meurt, je ne peux pas faire tout le travail de « shahid » à nouveau. Je ne peux non plus participer à une autre enquête militaire. Il y avait plein de Palestiniens et de témoins internationaux désireux de coopérer.

Je continuerai le travail d’information et le travail sur le plan légal en ce qui concerne la mort de Rachel, mais je ne peux en supporter deux. Je ne peux tout simplement pas. Apprendre mes limites a été une partie cruciale de mon développement personnel ici J’ai appris à dire « non » et je le dis maintenant. Cette déclaration peut-être utilisée à des fins d’information et légalement, mais c’est tout, khallas! ( NDT: assez)

Quel privilège c’est pour moi de pouvoir dire cela. Quelle chance j’ai de pouvoir partir quand j’en ai assez et classer l’évènement dans mon registre mental d’expériences intenses. Je peux partir à la seule condition de revenir avec un engagement de plus longue durée, puisque ma solidarité avec ces gens étonnants vient seulement de commencer.

Joe Smith est un militant américain de Kansas City, Missouri, basé avec l’ International Solidarity Movement à Rafah, dans Gaza occupée. Il était un ami de Rachel Corrie et était avec elle quand elle a été écrasée par un bulldozer israélien le 16 Mars2003.