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« First of All – the Wall must Fall ! » (Tout d’abord – le mur doit tomber ! ), par Uri Avnery

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3 septembre – Dans sa chronique hebdomadaire, Uri Avnery décrit tous les aspects « inhumains » du mur actuellement construit par le gouvernement israélienle, qui « se situe entre les enfants et leur école, entre les étudiants et leur université, entre les malades et leur médecin, entre les parents et leurs enfants, entre les villages et leurs puits, entre les paysans et leurs champs. Comme un énorme bulldozer blindé qui entre dans un village et écrase et détruit tout sur son chemin sans hésiter, le mur coupe les milliers de fils qui constituent le tissu de la vie quotidienne des gens comme s’ils n’étaient pas là » et il conclut « nous ne parviendrons à la paix que si nous surmontons cette mentalité de ghetto ».


« First of all the wall must fall » : Ce slogan est né spontanément, en face du mur à Kalkiliya, à l’endroit où il devient une clôture et tourne vers l’est, pénétrant profondément en territoire palestinien. De l’autre côté du mur, les Palestiniens manifestaient. Nous cherchions une courte phrase rimée à diffuser par mégaphone. Un effort commun a abouti aux sept mots qui traduisent bien l’ensemble du message.
Il est vrai que ce mur-là n’est pas celui de Jéricho, qui aurait été détruit par les sonneries des trompettes. Ceux qui ont construit cet obstacle veulent qu’il y soit pour l’éternité, tout comme Jérusalem « unifiée » est la « capitale éternelle d’Israël ». La droite israélienne ne conçoit pas de période de temps inférieure à l’éternité. Mais parmi les Israéliens de gauche aussi, il y en a qui croient que le mur a créé une situation « irréversible ».
Pas moi. Parce que je me souviens d’autres situations « irréversibles ». Et d’autres « éternités » aussi.
Notre mur a souvent été comparé au mur de Berlin. Visuellement et politiquement, c’est une comparaison logique. Parce que le « mur de Berlin » n’était pas non plus seulement une monstruosité urbaine. C’était aussi une partie de la section allemande du rideau de fer, qui coupait toute l’Allemagne en deux et s’étendait de la mer Baltique au nord à la frontière avec la Yougoslavie au sud – presque mille kilomètres, environ la même longueur que celle programmée du monstre de Sharon.
En Allemagne également, c’était un obstacle immense, une combinaison de murs et de clôtures, de miradors et de postes de tir, de « bandes mortelles » (zones de sécurité frontalière NDT) et de chemins de ronde. Il divisait le pays, défigurait le paysage et séparait les parents des enfants. Un monstre terrifiant, qui inspirait la peur et le dégoût, un symbole de pouvoir et d’irréversibilité.
Particulièrement irréversible. Quiconque l’a vu a senti qu’il était un point de non retour dans l’histoire de l’Allemagne, que la séparation était éternelle, qu’on ne pouvait pas lutter contre elle.
En effet, des hommes politiques sérieux ont basé leur politique sur la permanence du mur. Des gens de gauche et des gens de droite s’y sont résignés. Aucun commentateur sérieux ne l’a mise en cause. La situation était « irréversible ».
Et puis, un jour, comme l’éruption totalement imprévue d’un volcan, c’est arrivé. L’horrible mur a disparu, comme de lui-même. Un ministre communiste a fait un lapsus, la police a eu un moment d’hésitation, une foule s’est rassemblée – et l’« irréversible » est devenu éminemment « réversible ». La situation avait changé. Comme les dinosaures, le terrible monstre a disparu de la surface de la terre.
(Peu de temps avant, je suis allé en voiture d’Allemagne de l’Ouest à Berlin. J’ai dû traverser un poste frontière d’Allemagne de l’Est. Des Vopos (Volkspolizei) au visage dur donnaient des ordres brutaux : « Votre passeport ! Asseyez-vous ici ! Attendez ! » Pas de « s’il vous plaît », « merci » ou « excusez-moi ». Comme les nazis dans les films d’Hollywood. Même uniforme, même képi, même comportement, même tout. Quelques jours après la chute du mur, j’y suis passé de nouveau. Les mêmes policiers étaient encore là. Mais ils étaient méconnaissables. Sourire jusqu’aux oreilles, extrême amabilité. S’il vous plaît, Monsieur. Merci, Monsieur. Voulez-vous avoir l’obligeance, Monsieur. Un instant, Monsieur. De toute évidence, non seulement les murs sont réversibles, les gens le sont également.)
Il y a bien sûr une importante différence entre le mur allemand et le mur israélien. L’Allemagne de l’Est avait une frontière fixée par un accord international (entre l’Union soviétique et les alliés occidentaux à la fin de la deuxième guerre mondiale). Le mur a été construit exactement sur cette frontière. Sa trajectoire allait de soi. Mais ici, il n’y a aucun accord, aucune frontière, aucun tracé allant de soi. Tout est déterminé par des ingénieurs anonymes.
Il est aisé de les imaginer assis dans leurs bureaux climatisés, une carte étalée devant eux. Une carte bien particulière, parce qu’elle ne montre que les colonies juives et les routes de contournement. Les villes et villages palestiniens n’y apparaissent pas. Comme si le nettoyage ethnique, que tant de gens en Israël (et dans le gouvernement Sharon) espèrent, s’était déjà produit.
Voilà ce qui est si spécifique à ce mur : il est inhumain. Les ingénieurs ont complètement ignoré l’existence d’êtres humains (non-Juifs). Ils ont pris en compte les collines, les vallées, les colonies et les routes de contournement. Mais ils ont totalement ignoré les quartiers et les villages palestiniens, leurs habitants et leurs champs. Comme s’ils n’existaient pas.
Et ainsi le mur se situe entre les enfants et leur école, entre les étudiants et leur université, entre les malades et leur médecin, entre les parents et leurs enfants, entre les villages et leurs puits, entre les paysans et leurs champs. Comme un énorme bulldozer blindé qui entre dans un village et écrase et détruit tout sur son chemin sans hésiter, le mur coupe les milliers de fils qui constituent le tissu de la vie quotidienne des gens comme s’ils n’étaient pas là.
Pour les ingénieurs, ces vies n’existent tout simplement pas. Le pays est vide de non-Juifs. Au début du XXIe siècle, ces ingénieurs agissent conformément au slogan sioniste de la fin du XIXe : « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre. »
En fait, l’idée du mur est enracinée profondément dans la conscience sioniste et cela depuis le tout début. Dans son livre « Der Judenstaat » qui a donné naissance au mouvement sioniste moderne, Theodor Herzl écrivait déjà : « En Palestine nous constituerons une partie du mur entre l’Europe et l’Asie… un avant-poste de la culture contre la barbarie. » Plus de cent ans après, le mur de Sharon exprime exactement la même conception.
Les gens de l’extérieur ne comprennent pas cela. Yasser Arafat m’a dit cette semaine que Abou Mazen, lors de son récent voyage aux Etats-Unis, a montré au Président Bush une carte du mur. Bush a été choqué. Il a secoué la carte devant le vice-Président, Dick Cheney, et s’est écrié : « Qu’est-ce que c’est que cela ? Où est l’Etat palestinien ? »
Par son existence même, le mur semble exprimer le pouvoir. Il veut dire : « Nous sommes puissants. Nous pouvons faire tout ce que nous voulons. Nous allons enfermer les Palestiniens dans de petites enclaves et les couper du reste du monde. » Mais cela n’est qu’une apparence. En réalité, le mur exprime des peurs juives anciennes. Au Moyen-Âge, les Juifs s’entouraient de murs pour se sentir en sécurité bien avant qu’ils aient été obligés de vivre dans des ghettos. Un Etat qui s’entoure d’un mur n’est rien qu’un Etat-ghetto. Un ghetto fort, certes, un ghetto armé, un ghetto qui fait peur à tout le monde environnant – mais un ghetto quand même qui ne se sent en sécurité que derrière des murs, des barbelés et des miradors.
Nous ne parviendrons à la paix que si nous surmontons cette mentalité de ghetto. Et tout d’abord, nous devons nous débarrasser du mur. »

[Traduit de l’anglais : RM/SW]

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