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A LIRE : L’AVOCATE GISELE HALIMI, SUR MARWAN BARGHOUTI

16 décembre – Le Nouvel Observateur vient de publier une longue interview de Gisèle Halimi, qui participe à la défense du leader palestinien Marwan Barghouti, enlevé par l’armée israélienne en avril 2002, et détenu depuis cette date.


Semaine du jeudi 11 décembre 2003 – n°2040 – Monde
Elle est l’avocate du leader palestinien, qui risque la prison à vie

«Sur Israël, j’ai perdu quelques illusions»

«Dans le procès de Marwan Barghouti» – accusé d’être l’instigateur de 23 attentats – «j’ai constaté que la justice et les droits de la défense avaient été constamment bafoués»


par Gisèle Halimi

Le Nouvel Observateur. – L’ancien responsable du Fatah pour la Cisjordanie, Marwan Barghouti, accusé d’incitation au terrorisme et dont le procès doit être repris ces prochains jours en Israël, vous a demandé de l’assister en tant qu’avocate étrangère. A ce titre, vous avez suivi les audiences sans être autorisée à plaider. Pourquoi vous?
Gisèle Halimi. – Je pense que Marwan Barghouti voulait, en choisissant une avocate française, se référer aux valeurs d’un pays qui lui est cher, la France des droits de l’homme. Sa thèse de docteur en sciences politiques avait pour titre: «Cent Ans de relations franco-palestiniennes». C’est peut-être à cause de cette approche que j’ai été d’abord étonnée puis choquée de voir qu’Israël, qui reconnaît s’être mis hors la loi internationale en refusant d’appliquer les résolutions de l’ONU, n’était pas non plus un Etat vraiment démocratique. Dans le cas de Barghouti, j’ai constaté que la justice et notamment les droits de la défense, qui sont des révélateurs dans toute démocratie, avaient été constamment bafoués. Sur plusieurs points. Son arrestation a été un véritable kidnapping. Le l4 avril 2002, il a été enlevé par l’armée israélienne qui a fait irruption chez lui, la nuit, en territoire palestinien occupé. C’est un acte que l’article 49 de la 4e Convention de Genève proscrit formellement – on n’a pas le droit, quand on occupe un territoire, de procéder au moindre déplacement de population ou d’individus – et qu’il qualifie de crime de guerre. Ensuite, on lui a mis un bandeau sur les yeux, on l’a battu, maltraité, menotté, ligoté sur une chaise, on l’a soumis à des interrogatoires de dix-huit à vingt heures d’affilée, sans le faire ni boire ni manger, et cela pendant dix-neuf jours, sans que personne, même pas ses avocats, sache où il était. Ce no man’s land juridique n’a pris fin qu’au bout de trois semaines, lorsque ses avocats ont pu lui rendre visite mais jusqu’à aujourd’hui il n’a pas pu voir une seule fois sa femme, avocate, ni ses enfants ni ses amis. Il a ensuite été transféré à Beer-Sheva, dans le désert du Néguev, où il est soumis à un isolement total: selon un avocat israélien, il vit dans une cellule d’un mètre quarante sur un mètre quatre-vingts, il ne voit jamais les autres détenus, et quand il sort, il marche boulets aux pieds, menotté et seul. Aucune autorité n’a le droit de traiter ainsi ceux qu’elle détient. Je rappelle que Barghouti est un leader politique important, député élu (élections reconnues par Israël et par la communauté internationale) au Conseil national législatif palestinien!
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N. O. – Avez-vous pu le rencontrer?
G. Halimi. – Il a comparu six fois, j’ai assisté à quatre audiences et je l’ai rencontré deux fois en prison, longuement. Quand il a été transféré à Beer-Sheva son avocat israélien, Jawad Boulos, et moi avons été jetés dehors avec une seule explication: plus de visites. Or la manière dont on traite ses prisonniers est aussi un révélateur important de l’état d’une démocratie.

N. O. – On vous rétorquera en Israël que le pays est en état de guerre depuis l’Intifada et que les règles habituelles peuvent ne plus s’appliquer.
G. Halimi. – Alors il faut le dire. L’exception en droit est toujours dangereuse pour les libertés. Or lorsque les avocats ont soulevé le problème de la compétence du tribunal – civil et non militaire –, lorsqu’ils ont évoqué les conventions bilatérales israélo-palestiniennes, jamais dénoncées, qui devraient s’appliquer, leurs demandes ont été rejetées. De même qu’ont été rejetés tous les recours adressés à la Cour suprême d’Israël – qui a, ne l’oublions pas, justifié la torture! Là aussi, j’ai perdu quelques illusions.

N. O. – Sur le fond, le procès s’est-il malgré tout déroulé normalement?
G. Halimi. – Sur le fond, quand on connaît Barghouti, l’accuser d’avoir commandité des attentats semble une énormité. Ce n’est pas son champ de réflexion ni d’action. Mais si on juge sur pièces, où sont les preuves? Tous les témoins à charge sont venus dire à l’audience qu’ils avaient signé leurs accusations sous la menace. Le tribunal n’en a pas tenu compte. Des centaines de documents, correspondances diverses, ont été saisis au domicile de Barghouti. Comme on n’y a pas trouvé une seule lettre de lui prouvant une quelconque participation à un acte terroriste, on a retenu contre lui des courriers qui lui étaient simplement adressés! C’est pourtant là-dessus qu’on l’accuse d’être l’instigateur de vingt-trois attentats terroristes!

N. O. – Que risque-t-il?
G. Halimi. – La peine maximum, c’est-à-dire celle qu’un kamikaze aurait s’il survivait, puisque la peine de mort n’existe pas en Israël. Mais je voudrais dire un mot sur les droits de la défense. Quand je suis arrivée à l’aéroport de Lod, on m’a détenue deux heures dans un local de police, après avoir mis dehors le diplomate français venu m’accueillir. On m’a fait déshabiller, rhabiller, déshabiller encore, on a fouillé mes bagages, on a surtout pris ma sacoche d’avocate, mes dossiers, mes notes et mon téléphone portable pour consulter sa mémoire. J’ai protesté évidemment, on m’a répondu: «On fait des copies et on vous rend le tout»! A ma sortie d’Israël, même scénario mais là, quand les policiers ont voulu prendre les notes prises pendant mon séjour, le délégué du consul de France s’est interposé physiquement et j’ai pu sauver mes carnets. Je n’avais jamais vu cela, moi qui ai plaidé pendant huit ans aux pires moments de la guerre d’Algérie.

N. O. – Pourtant, on s’accorde à dire en Israël que Marwan Barghouti pourrait être, demain, un interlocuteur possible…
G. Halimi. – Il pourrait l’être. Il est sans doute en ce moment le leader le plus populaire parmi les Palestiniens. C’est un homme intègre, qui a lutté au sein de son propre parti contre la corruption. C’est aussi un homme de paix, un humaniste. Il m’a dit, et je le crois sincère, que voir des civils israéliens tués dans un attentat était pour lui aussi horrible que si les victimes étaient des Palestiniens.

N. O. – Mais il n’a jamais désavoué ces attentats qui le navrent…
G. Halimi. – Aucun dirigeant politique ne peut extraire ces attentats de leur contexte, qui est l’occupation. Pour désavouer les kamikazes, il faut aussi désavouer l’occupation.

N. O. – Sur la guerre et la paix, quelles sont ses positions?
G. Halimi. – Dans sa dernière plaidoirie – il assume seul sa défense politique – il a déclaré qu’Israël avait maintenant devant lui trois solutions. Soit continuer à occuper le territoire palestinien, et alors les pires violences continueront des deux côtés. Soit négocier pour permettre l’existence côte à côte de deux Etats indépendants et libres, ce qui était jusqu’alors son choix. Si cela n’était pas possible, il ne resterait plus aux Palestiniens qu’à constater que tout avait échoué et que la seule solution serait celle d’un Etat unique, dont Israël prendrait l’entière responsabilité.

N. O. – Cela ressemble à une menace. Un Etat unique devrait sacrifier soit son caractère juif, soit ses valeurs démocratiques.
G. Halimi. – En effet. Et cette perspective, à ma connaissance, n’avait encore jamais été évoquée par Barghouti. Plutôt qu’une menace, j’y vois un avertissement. Pour dire qu’il faut faire vite et que le plan de Genève – auquel Barghouti a été, dit-on, discrètement associé – est peut-être la dernière chance à ne pas laisser passer. Propos recueillis par JOSETTE ALIA

Josette Alia

L’héritier d’Arafat?
Député de Ramallah depuis 1996 et secrétaire général du Fatah en Cisjordanie, Marwan Barghouti, 43 ans, a été arrêté le 15 avril 2002 par l’armée israélienne qui l’accusait d’être le chef des Brigades des Martyrs d’Al-Aqsa, responsables de plusieurs attentats sanglants. Accusations qu’il n’a cessé de nier, depuis les premières audiences d’un procès transformé en tribune politique. Car cet universitaire, qui a passé plusieurs années en exil et en prison – où il a appris l’hébreu –, est l’un des Palestiniens les plus populaires. Membre du parti de Yasser Arafat, mais assez indépendant pour critiquer la corruption et les abus de pouvoir de l’Autorité; partisan des accords d’Oslo, mais défenseur de la lutte armée – contre les soldats et les colons des territoires occupés; incarnation de la seconde Intifada, mais interlocuteur familier des Israéliens du «camp de la paix», il est aujourd’hui considéré, malgré sa détention, non seulement comme l’un des successeurs possibles d’Arafat mais comme le partenaire quasi incontournable d’un futur processus de paix. «Sa libération renforcerait le camp modéré palestinien», estimait en septembre, dans une interview à «Haaretz», Ephraïm Halevy, ancien directeur du Mossad, les services secrets israéliens.