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TEMOIGNAGE SUR LA SITUATION EN PALESTINE

Nous reproduisons ci-dessous le témoignage d’une militante parisienne qui vient de passer 8 jours en Palestine.


Une semaine en Palestine (21-29 Janvier 2005).

Ce jour-là, la jeep n’était pas devant la porte bleue. On pouvait boycotter le checkpoint de Tantür en empruntant le chemin de terre à travers les oliviers pour atteindre le camp de Réfugiés d’Aïda (municipalité de Bethlehem). Nous respirons à pleins poumons, le ciel est lisse, l’air frais, le chemin libre. Pour un instant. En haut du chemin, plantés sur leurs jambes, armes au poing face à nous, ils sont là. Derrière assis sur un petit muret une foule d’hommes et de femmes attendent.
Dès qu’elle nous a vus, elle est arrivée d’un pas décidé. Nous montrons nos passeports, elle demande ses papiers confisqués. Elle repart s’asseoir avec sa carte. Nous restons là avec elle et les autres regardant ce jeune homme et cette jeune femme armés, casqués , bottés . C’est la jeunesse d’Israël qui harcèle à toute heure et en tout lieu les vieilles femmes et leur rend la vie impossible. Quelle insécurité représente ces femmes qui vont vendre leurs salades ? Nos deux soldats ont fini par s’en aller vers le checkpoint en contre-bas. En fin de matinée la porte bleue était fermée à clé.
A Qalandia, le checkpoint s’est modernisé. Grillage de chaque côté, un autre au centre. Les couloirs dans un sens comme dans l’autre sont recouverts d’une bâche pour protéger des intempéries les soldats sans visages qui y officient. Difficile de rencontrer un regard sous le casque vert. Un tourniquet en fin de course permet le passage au compte-goutte et facilite la vérification du sésame ouvrant la porte vers Jérusalem-Est.
Il pleuvait dru, les gens en file se pressaient les uns contre les autres pour s’abriter le plus possible sous la bâche. La soldate, du haut de ces sacs remplis de sable, se met à hurler, se lève, pointe du doigt le milieu de la file et braille des choses incompréhensibles. La pression se relâche. C’est le silence dans les rangs. C’est elle, la soldate d’une vingtaine d’années qui fait avancer par 2, par 3 ou par 4, c’est selon et au rythme qui lui convient. C’est l’ arbitraire mais elle a le pouvoir et elle est au sec. La foule trempée jusqu’aux os se tait. A la sortie de ce boyau grillagé, c’est la boue en temps de pluie, la poussière en été. Des enfants petits vendeurs ambulants cherchent à refiler leurs pacotilles. Ici il y a foule au mètre carré et ils arrivent toujours en fin de journée à récolter quelques shekels au milieu des taxis, des bus stationnés pêle-mêle dans l’attente du client. Après 18 heures, il est plus difficile de rentrer chez soi. La nuit tombe, la soldatesque est encore plus nerveuse, les taxis ou les bus plus rares.

Sur la route de Béthlehem, elles sont là serrées comme des pâtés sur les collines. A droite, à gauche. Celles au « développement naturel » et les nouvelles. Qui vit là ? Qui peut avoir envie de vivre là ? Celle-ci semble vide de toute vie. On dirait un fantôme. Pas de rideaux aux fenêtres, pas de fleurs au balcon, rien ne bouge. Du pur béton sur 3 ou 4 étages. Va-t-on installer dans cette colonie d’ Har Homa d’autres Péruviens ou d’autres Ethiopiens ? Ira-t-on encore jusqu’en Inde dénicher une vieille tribu à qui on révèlera une lointaine appartenance et les faire venir ici ? Elle semble marquer comme les anciennes forteresses un territoire avancé grignoté petit à petit aux Palestiniens.
A Jérusalem en plein quartier arabe, elles se dressent au-dessus des boutiques, linge au balcon, drapeau bleu et blanc aux fenêtres. En bas c’est vous, au-dessus c’est nous.
Le parcours dans la vieille ville d’Hébron pour atteindre la mosquée et la synagogue est hallucinant. La rue qui y mène est déserte, toutes les boutiques fermées. Au-dessus de nos têtes un filet métallique retient un amas de détritus jetés par les colons (400) qui occupent les étages supérieurs : sacs en plastique bourrés (de quoi ?), vieux matelas, carcasse de voitures d’enfants, roues de bicyclettes, etc.…On traverse au pas de course cette vieille ville qui a dû être belle il n’y a pas si longtemps. Devant la mosquée qui jouxte la synagogue deux hommes en bleu du TIPH sont là pour vérifier « que tout se passe bien »(TIPH : Temporary International Presence in Hébron, présent depuis 1996). Ils notent les harcèlements en tous genres et envoient leur rapport à leur propre gouvernement qui doivent en avoir des cartons pleins.
… A l’entrée, la jeune et jolie soldate (elle n’est pas casquée) vérifie et re-vérifie mon sac puis le jette ouvert, d’un geste dédaigneux sur la table. A la suivante ! Dans la mosquée Haram el-Ibrahim, les impacts de balles près des tombeaux des Patriarches (Abraham, Isaac, etc…) sont là depuis ce jour du 25 février 1994 où périrent 29 hommes en prière. Plus de 200 furent blessés (certains handicapés à vie) par la folie d’un colon.

En sortant de Jérusalem vers Bethlehem on se heurte au mur gris, sinueux planté là au milieu de zones urbaines ou d’un champ en pleine campagne. Impressionnant par sa hauteur
( 8 mètres). Absurde. Les hommes sont là aussi. Des hommes fatigués, parfois désespérés. Il tombera un jour lui aussi. Il est tellement stupide. Même si beaucoup de Palestiniens sont partis et partent encore il en reste qui n’ont aucune intention de quitter leur pays. En attendant, ce maudit mur ( quelle régression dans les rapports entre les hommes) fait des dégâts sur la terre et sur les hommes. Paysage ravagé : oliviers déracinés ou abattus, plantations dévastées, familles séparées, claquemurées dans leurs villages.
Le mur qui descend de Bethlehem s’arrête au bord de l’avenue qui mène au Tombeau de Rachel. Celui qui monte du camp de Réfugiés d’Aïda est de l’autre côté. Il s’agirait de rattacher le Tombeau de Rachel, un lieu de quelques mètres carrés, à la municipalité de Jérusalem. On a du mal à comprendre comment vont être raccordés les deux bouts. Les bulldozers, tractopelles, tractochargeurs, et autres gros engins déchirent la terre et interdisent toute activité. Un jardin d’enfants est vide. Il va sûrement être détruit pour faire place au mur. Plus loin, un restaurant chinois est vide lui aussi mais il ouvre encore de temps en temps paraît-il (vaut mieux téléphoner avant) grâce à l’entêtement ou au désarroi de sa patronne, une chinoise de Chine ! Il y avait dans le quartier du Tombeau de Rachel 11 restaurants, 21 magasins, 22 garages et 2 pharmacies en 2002. En 2005 il y a zéro restaurant (celui de notre chinoise est aléatoire), zéro magasin, deux garages et une pharmacie. La circulation sur l’avenue ( route Jérusalem-Hébron) est interdite aux non-juifs. Voitures, piétons sont obligés de faire un détour de plus d’un km pour reprendre la route car il y a interdiction de passer devant l’entrée du Tombeau de Rachel. Pourtant il est bien gardé par une enceinte, des soldats omniprésents secondés par des miradors.

Il y a le grand mur d’un seul tenant qui mure, emmure, enferme, séquestre des villages entiers. Il y a aussi les petits murs éparpillés ici ou là par l’armée ou les colons et qui rendent la vie impossible. De gros blocs de pierre barrent le chemin de terre : à pied on le contourne en passant dans les broussailles. Une carriole tirée par un âne ne peut passer. Il faut décharger la récolte et la recharger de l’autre côté avec ‘’aide d’une autre personne, d’une autre carriole, d’un autre âne. La récolte, la carriole, l’âne seraient-ils de dangereux terroristes ?

A Bethlehem, une dame nous accueille à la librairie-bibliothèque-office du tourisme de la Place de la Nativité. Elle parle parfaitement le français. Autour du cou une petite croix. Je lui demande comment ça se passe avec les musulmans. « Ce sont des frères, notre problème c’est l’occupation » Et elle poursuit sur les difficultés de la vie quotidienne qui n’en finissent pas. La peur n’est pas du côté que l’on croit. Ici on craint pour son enfant qui va à l’école ou à l’université, on ne compte plus les « bavures », les « erreurs » de tirs jamais sanctionnés depuis des années et des années. Et quand on voit un homme en kipa ou à chapeau noir traverser tranquillement la nuit le souk de Jérusalem on est en droit de se demander qui a peur dans ce pays ?

Nous avons rendu visite au camp de Réfugiés d’Aïda (4500 habitants) à des familles de prisonniers : beaucoup de femmes seules avec des enfants encore jeunes. Les autres sont en prison. L’une de ces familles a 3 enfants emprisonnés : 2 garçons et une fille de 30ans à 16 ans. Les autres sont mariés et vivent ailleurs. Ces parents sont seuls. Le mari dit en riant « maintenant je m’occupe de ma femme » en la prenant par les épaules. Elle rit, elle aussi.
La visite à ces familles fut éprouvante. Ce que l’on peut faire est tellement dérisoire par rapport à leurs malheurs. On emprisonne sur dénonciation ou parce qu’on a lancé des pierres sur les tanks ou pour raisons « administratives » totalement illégales. C’est une loi sortie de l’époque du Mandat britannique et qui est appliquée quand bon leur semble. L’accusé en prend pour 6 mois renouvelables sans jugement sans avocat. L’une des familles a un fils de 20 ans en prison depuis 3 ans avec ce genre de loi.

C’est au milieu de ces agressions permanentes que se niche un lieu magique de courage, d’espoir. Le Centre Culturel Al- Rowwad au camp de réfugiés d’Aïda mène depuis des années une bataille vitale, celle de la culture. Comment imaginer que dans ce local exigü qu’est le Centre, on y enseigne le théâtre, l’informatique, la vidéo, la danse traditionnelle et moderne, le violon et le français. Ces enfants qui ont vécu des traumatismes (en 2002, les Forces Armées Israéliennes ont fait plus de 150 morts lorsqu’elles sont rentrées dans le camp), qui vivent dans l’angoisse(beaucoup ont des parents proches en prison) arrivent à se concentrer sur un travail exigeent. Ils partiront cet été aux USA montrer, comme ils l’ont fait l’an dernier en France, leur capacité à réagir vers la vie malgré « une enfance volée »

On ne voit pas le bout du tunnel. L’occupation est dans les moindres recoins du pays avec les checkpoints, les colonies, le mur.
Quand tout cela va-t-il finir ? A quand le droit international ? A quand la justice ? A quand une paix juste ? Avec Abou Mazen ? Inch’Allah, répondent les Palestiniens.

Enna.