Nous publions les commentaires pertinents de notre ami Rudolf Bkouche, l’un des principaux initiateurs de la
coopération entre l’université de Lille et celle de Naplouse, à propos du texte de l’OSCE (Organisation pour la
Sécurité et la Coopération en Europe), qui fait l’amalgame entre antisionisme et antisémitisme, une tendance de
plus en plus affirmée en France, qui vise à faire taire toute critique contre Israël, et toute référence aux droits
légitimes du peuple palestinien, en jouant à la fois sur la déformation des faits, sur l’intimidation, la
diffamation et la négation de toutes les autres formes de racisme et de persécutions.
Chacun d’entre nous a eu l’occasion d’être heurté(e) par un tel amalgame pernicieux, qui tend à masquer l’absence
d’arguments politiques et éthiques de la part de ceux qui y recourent. Mais le chantage à l’antisémitisme ne
parviendra pas à nous faire taire. Citoyens de toutes origines, nous continuerons à lutter ensemble pour le droit
et la justice et contre les concepts dangereux de type « choc des civilisations », qui ont pour objectif de faire
avaler l’amère pilule de la force brutale employée par les plus puissants contre les plus faibles.
« Lorsqu’on lit dans le texte de l’OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe), cette
définition de l’antisémitisme : » L’antisémitisme est une certaine perception des Juifs que l’on peut exprimer comme
de la haine à l’encontre des Juifs. Des manifestations verbales ou physiques d’antisémitisme sont dirigées contre
des individus juifs ou non-juifs et/ou leurs biens, contre des institutions de la communauté juive et contre des
lieux de culte. » on ne peut qu’approuver.
Mais lorsqu’on lit les exemples d’antisémitisme qui suivent on peut se poser quelques questions quant à l’objectif
de ce document.
Si la première liste d’exemple semble raisonnable, la seconde liste apparaît comme un soutien à l’Etat d’Israël et
par conséquent ne ressortit plus de la lutte contre l’antisémitisme. Selon ce texte, toute critique du sionisme
participe de l’antisémitisme.
Ainsi rappeler que le plan de partage de la Palestine en 1947 et la création de l’Etat d’Israël en 1948 sont une
injustice à l’encontre des Palestiniens devient de l’antisémitisme.
Ainsi le professeur Leibowitz qui dénonçait les dérives judéo-nazies1 de l’occupation de la Palestine serait
aujourd’hui dénoncé comme antisémite par l’OSCE.
Loin d’être un instrument de lutte contre l’antisémitisme, le texte de l’OSCE amalgame antisionisme et
antisémitisme, ce qui conduit à affaiblir la lutte contre l’antisémitisme qui n’apparaît plus que comme un soutien
au sionisme et à l’Etat d’Israël.
Alors qu’il importe aujourd’hui, et c’est le rôle des organisations juives qui se sont regroupées autour des Juifs
Européens pour une Paix Juste (JEPJ), de casser l’équation « juif = israélien = sioniste » et de refuser l’amalgame
entre antisionisme et antisémitisme, la définition européenne de l’antisémitisme conforte cet amalgame.
On peut voir dans cette incapacité européenne (incapacité volontaire !) de distinguer entre la lutte contre
l’antisémitisme et le soutien à l’Etat d’Israël plusieurs raisons :
1- L’Europe n’a pas réglé son problème avec les Juifs. Incapable de lutter contre l’antisémitisme au moment où il
le fallait, elle croit atténuer ses responsabilités envers les Juifs en renchérissant sur la lutte contre
l’antisémitisme, ce qui la conduit à remplacer la judéophobie qui a marqué son histoire, de l’antijudaïsme chrétien
à l’antisémitisme des temps modernes, par une judéophilie tout aussi douteuse. C’est cela qui l’amène à soutenir
l’Etat d’Israël et à se contenter de critiquer sa politique avec parcimonie. C’est cela qui l’amène aussi à oublier
l’injustice de 1948 commise à l’encontre des Palestiniens, comme si la création de l’Etat d’Israël en Palestine,
dans la » patrie ancestrale « , comme on peut le lire chez nombre d’idéologues sionistes, valait compensation, après
la Shoah, pour les siècles d’antijudaïsme et d’antisémitisme. L’un des grands penseurs européens contemporains,
Jürgen Habermas, n’a pas hésité à proclamer, dans un entretien dans le quotidien français Le Monde :
« Quel Européen pourrait, après la Shoah, contester à Israël son droit à l’existence ?comme si la question d’un
Etat juif en Palestine ne concernait que les Juifs et l’Europe, comme si cette question ne concernait pas les
Palestiniens.
2- On ne doit pas oublier que ce n’est qu’après la seconde guerre mondiale et le massacre des Juifs par les nazis,
que les Juifs ont obtenu le droit d’être considérés comme des Européens. Il aura fallu six millions de morts pour
une telle reconnaissance. En échange, le nouvel Etat juif devenait culturellement et politiquement un Etat européen
; la critique européenne de la politique israélienne devenait ainsi une critique interne et l’intérêt pour les
Palestiniens venait en second, jusqu’à encore aujourd’hui ; on peut à la rigueur faire remarquer aux Israéliens
qu’ils vont trop loin, mais il n’était pas question de juger les crimes commis par l’armée israélienne comme on
juge les crimes commis par un Etat étranger comme l’Irak ou la Serbie. Aucun Etat européen n’a dénoncé la
contradiction entre la pression sur la Syrie pour qu’elle évacue le Liban après les grandes manifestations
anti-syriennes de Beyrouth et l’acceptation par ces mêmes Européens de l’occupation israélienne de la Palestine ou
du Golan syrien, ce dernier annexé au mépris de toute règle du droit international. Aujourd’hui on félicite Sharon
pour le retrait de Gaza alors qu’au même moment le gouvernement israélien renforce la colonisation en Cisjordanie
et construit un mur qui annonce des annexions de fait en Palestine.
Que le mur ait été condamné par une instance judiciaire internationale et que, malgré cette condamnation prononcée
il y a un peu plus d’un an, le gouvernement israélien continue la construction, cela ne semble pas émouvoir les
Etats européens, lesquels continuent à faire pression sur l’Autorité Palestinienne pour qu’elle fasse preuve de
modération envers ceux qui occupent la Palestine.
3- Il ne faut pas oublier non plus que la reconnaissance par l’Europe de son passé antijuif et les actes de
contrition qui l’accompagnent permettent d’occulter d’autres crimes comme ceux de la colonisation ou de la traite
négrière. On entend beaucoup moins parler de repentance pour ces derniers crimes, comme si le fait de reconnaître
une ignominie permettait d’oublier les autres. Une façon aussi de jouer la concurrence des victimes, ce qui ne peut
que profiter au mouvement sioniste qui se considère encore aujourd’hui comme le représentant des Juifs du monde. Il
importe alors, pour le mouvement sioniste, non seulement de mettre l’accent sur leur statut d’éternelles victimes,
mais de présenter les Juifs comme les plus grandes victimes, quitte à provoquer les ressentiments des autres
victimes de l’Europe. Mais n’est-ce pas un objectif du mouvement sioniste que de provoquer ce ressentiment pour
mieux crier à l’antisémitisme. On peut alors considérer le texte européen comme faisant partie de ce jeu.
Il importe que le Réseau JEPJ, en tant qu’organisation juive, dénonce cette pseudo-dénonciation de l’antisémitisme.
Il est alors nécessaire d’énoncer quelques principes qui doivent gouverner toute dénonciation de l’antisémitisme.
Toute dénonciation de l’antisémitisme doit s’inscrire dans la dénonciation générale du racisme. S’il est vrai que
chaque forme de racisme peut avoir sa spécificité, cela n’implique en rien qu’il faille les distinguer dans la
dénonciation du racisme.
Toute dénonciation de l’antisémitisme doit être indépendante de toute position de soutien à l’Etat d’Israël ou au
sionisme.
Enfin il est important de rappeler que le soutien au sionisme, parce qu’il s’oppose aux principes énoncés
ci-dessus, loin de participer à la lutte contre l’antisémitisme, ne peut que renforcer ce dernier.
Rudolf Bkouche
Membre du Bureau National de l’UJFP