Là où une grande partie des médias occidentaux ont présenté le retrait de Gaza par les colons israéliens comme le début d’un processus de paix prometteur, les Israéliens les plus lucides l’analysent comme une escroquerie, une fermeture plutôt qu’une ouverture et l’amorce de jours à venir particulièrement sombres. Nous citons ci-dessous des
personnalités aussi différentes qu’Ilan Pappe, Avraham Burg et Azmi Bishara, mais c’est également le point de vue
exprimé dans la presse par d’autres observateurs israéliens, notamment notre amie Tanya Reinhart.
ILAN PAPPE : « LE DESENGAGEMENT DE GAZA ET LA PERPECTIVE DE PLUS AMPLES VIOLATIONS DES DROITS DE L’HOMME »
« Le plan de désengagement est un pas vers la consolidation d’un régime de discrimination à l’intérieur de l’Etat
d’Israël, de même que des politiques d’occupation, de colonisation et potentiellement de massacres dans les
Territoires palestiniens occupés. L’interprétation erronée qui en est fait par les medias internationaux est
regrettable en ce qu’elle permettra au gouvernement israélien de poursuivre ses plans.(…)
Il conforte la notion d »unitéralisme’ qui est désormais au coeur de la politique en Israël. Et l »unitéralisme’
signifie que les Palestiniens où qu’ils soient – au sein d’Israël, dans les camps de réfugiés, dans la Diaspora ou
dans les territoires occupés – n’ont pas leur mot à dire dans l’avenir de la Palestine et d’Israël. Donc, on peut
voter des lois racistes pour empêcher les Israélien(nes) marié(e)s des Palestinien(ne)s de vivre ensemble en Israël
(Juillet 2005), construire le Mur où bon nous semble et opérer le transfert de populations palestiniennes sans même
tenir compte de l’avis de la Cour Suprême.
Après le retrait, qui est présenté chez nous comme un traumatisme qui ne pourra se répéter, et au plan
international comme le plan le plus courageux que l’on puisse proposer aux Palestiniens, l’unitéralisme risque de
devenir sacro-saint.
En termes de droits de l’Homme, cela veut dire que la situation va empirer pour les Palestiniens. Les autorités
israéliennes n’auront plus le moindre scrupule pour déterminer, par la force brutale, qui les Palestiniens peuvent épouser, où ils peuvent vivre et travailler, combien te temps ils devront rester emprisonnés dans leurs maisons pendant les couvre-feux et les bouclages. Pire, l’armée pourra continuer à tirer et à tuer sans le moindre
complexe.
Et en interne, les citoyens israéliens (juifs et palestiniens) engagés dans la défense des droits de l’Homme seront plus durement réprimés. Non pas en douceur comme ces colons que l’on a autorisés à bloquer des autoroutes ou
auxquels on a imposé quelques jours de détention dans des conditions confortables, mais comme ces 13 Israéliens de
la minorité palestinienne abbatus en octobre 2000 alors qu’ils manifestaient pacifiquement contre les violences
exercées (sur ordre de Sharon à l’Esplanade des Mosquées, ndlr) et les centaines d’autres blessés ou condamnés à de
longues peines de prison.
Ce deux poids, deux mesures, est le signe non seulement qu’Israël ne procèdera à aucun autre retrait des
territoires occupés et ne s’engagera pas dans d’authentiques négociations de paix avec les Palestiniens, mais qu’il maintiendara le système actuel de ségrégation et de discrimination en Israël, autorisant l’extrême-droite à
perpétuer l’intransigeance israélienne et empêchant les groupes politiques palestiniens et non-sionistes en israël
de jouir de leurs droits fondamentaux concernant la liberté d’expression et la participation politique.(…)
Il reste donc du devoir des sociétés civiles occidentales de dénoncer la présentation biaisée des faits à laquelle
nous assistons et d’exercer des pressions sur leurs gouvernements afin qu’ils exigent d’Israël un retrait total
des territoires occupés en 1967, l’envoi d’une force de paix internationale et de protection des Palestiniens, tant
que l’ensemble des problèmes en suspens – la question des réfugiés, de Jérusalem et de la structure à mettre en
place pour les deux peuples – n’est pas résolu par le biais d’un dialogue pacifique.
Extraits de Adalah’s Newsletter, Volume 16, August 2005 traduits par la rédaction de CAPJPO-EuroPalestine
http://www.adalah.org/newsletter/eng/aug05/ar1.pdf
* Ilan Pappe, historien israélien, enseignant à l’Université de Haïfa.
AVRAHAM BURG : « DESENGAGEMENTS »
« Je ne crois ni dans ce désengagement, ni dans ceux qui l’entreprennent. Politiquement, je n’entrevois, après lui,
que des jours sombres », écrit Avraham Burg, religieux qui condamne « un judaïsme raciste qui s’appuie sur une colonisation violente et se protège derrière une conception sécuritaire fallacieuse. »
« Nous avons affaire à une énorme escroquerie : le sacrifice d’une zone d’implantation sans importance ni
signification à Gaza et aux abords du Sinaï contre la perpétuation des méfaits et de la perversion de l’âme
israélienne au coeur d’Hébron, à Ytzhar, Beit El et au tombeau de Patriarches, transformés en autels pour y ligoter
nos fils.(…)
Longtemps, sous le titre de « sionisme », trois récits, mi-réalité, mi-fiction, ont nourri l’attitude israélienne : l’idole sécuritaire, la sanctification de l’implantation et la supériorité de la religion juive. Tous des thèmes puissants dotés d’imposants moyens, devenus des objectifs allant jusqu’à sacraliser ce qui, auparavant, paraissait interdit. Et même si au cours des dernières années nos seuls moments de sécurité ont été les brefs et
fragiles intervalles où nous avons momentanément renoncé aux armes pour dialoguer, le dialogue est resté, pour
nous, difficile.
Comme alternative réelle, le dialogue a été effacé de notre conscience. Au nom de la sécurité, il est permis de
tirer et de tuer ; permis d’exproprier et de déposséder, de harceler et de maltraiter. Au nom de la sécurité, il
est permis de perdre son âme. Prenez toutes les clameurs des colons quant à leur « discrimination » et leur «
oppression », multipliez-les par autant qu’il vous plaira, et vous ressentirez ce que ressentent les Palestiniens
depuis de longues années, sans que nous y prêtions la moindre attention.
Extraits de l’article publié dans Le Monde du 18 août 2005 et traduit par Sylvain Cypel.
* Avraham Burg, ancien président (travailliste) du Parlement israélien et ancien président de l’Agence juive.
AZMI BISHARA : « DEMYSTIFIER LE DESENGAGEMENT »
« Le plan de désengagement de Sharon est une tentative de mettre la feuille de route sur la touche. C’est une
tentative de couper l’herbe sous le pied à quiconque voudrait lancer une initiative pour sortir de « l’impasse » (…).
L’objectif de ces « concessions » est de garantir la pérennité de larges blocs de colonies en Cisjordanie et à
Jérusalem.
C’est certainement pour cette raison qu’il a cherché pour son plan une approbation américaine plutôt
qu’arabo-palestinienne. Il avait besoin du soutien américain pour éviter toute pression internationale concernant le futur des colonies de Cisjordanie et de Jérusalem, ou sur la question du statut de Jérusalem et du Droit au retour des Palestiniens réfugiés. Il a obtenu tout cela sous forme d’échanges de lettres avec le président Bush le 14 avril 2004.
Finalement, les 6 mois de discussion avec Washington n’ont pas servi à persuader les Américains qu’Israël devait
quitter Gaza, mais à tirer le prix le plus élevé de ce désengagement. »
Extraits de Al Ahram weekly – 26 août 2005. Traduction : Claude Zurbach.
http://weekly.ahram.org.eg/2005/757…
Azmi Bishara, Palestinien de 48, est député au Parlement israélien.