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« Ne vous inquiétez pas, c’est seulement une autre mort d’enfant palestinien » par Leigh Brady

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Leigh Brady est une Irlandaise qui vit en Cisjordanie depuis mai 2005. Elle travaille à la section palestinienne de l’organisation internationale pour les droits des enfants, « Defence for Children International » et lance un appel au secours au nom des enfants palestiniens.


« Israël à l’évidence ne respecte ni les droits humains ni la démocratie… L’inaction de l’UE et des USA, qui ont les moyens d’imputer à Israël toute ses responsabilités, équivaut à soutenir de fait son impunité. Depuis septembre 2000, plus de 800 enfants palestiniens ont été tués. Qui prendra la responsabilité de leur mort ? Qui doit être condamné ?

Le 18 mars 2006, j’ai rendu visite à une famille dans la peine à Al Yamoun, une ville dans le nord de la Cisjordanie. Leur fillette de 7 ans avait été tuée la nuit précédente par la police des frontières israéliennes qui avait pénétré dans la ville pour arrêter des militants palestiniens « recherchés » lors d’un raid des forces de défense israéliennes (IDF).

Son nom était Akaber Abdelrahman Zaid, elle allait voir un docteur pour se faire enlever des points de suture au menton. Au lieu de cela, elle a reçu une rafale de balles dans la tête, une unité de la police des frontières a ouvert le feu sur la voiture qui l’emmenait avec son oncle.

Un porte-parole des IDF a dit que la police avait cru que les militants qu’ils recherchaient essayaient de s’échapper dans la voiture, elle a donc tiré sur les roues pour les en empêcher. L’oncle d’Akaber dit qu’il était visible que les seuls passagers dans la voiture étaient lui-même et la petite fille, précisant que les policiers avaient tiré presque à bout portant. Un journaliste d’Ha’aretz a inspecté la voiture par la suite et constaté que les quatre pneus étaient intacts. Pour des tireurs d’élite d’une unité spécialement entraînée, tirer sur des pneus de voiture à une courte distance et les manquer parait vraiment étonnant, pour le moins.

Akaber a rejoint les rangs de ces 700 autres enfants palestiniens et plus, tués par les forces de sécurité israélienne depuis septembre 2000. Qui va prendre la responsabilité de leur mort ? Qui doit être condamné ? Les militaires israéliens ont reconnu qu’en tirant sur la voiture, les policiers impliqués ont violé les consignes de tir.

J’ai hâte de savoir quelle sanction sera prise pour une violation des consignes de tir. J’ai hâte aussi de savoir quelle sanction il y aura pour le meurtre d’Akaber ; et s’il y en aura une. La réponse de l’armée jusqu’ici a été cet euphémisme : « Les forces de défense israélienne regrettent d’avoir fait du mal à une fille palestinienne et conduisent un examen complet sur les circonstances de l’évènement ». Nous verrons.

Malheureusement, des cas comme ceux d’Akaber, on en trouve à la pelle. On sait parfaitement que les forces israéliennes violent souvent les procédures de tir lors des incursions dans les Territoires occupés et bénéficient d’une totale impunité pour presque toutes les violations commises en service, notamment les meurtres d’enfants. Cette impunité étouffe les deux moyens juridiques possibles pour obtenir réparation pour les victimes, car non seulement Israël, systématiquement, ne procède pas aux enquêtes criminelles sur les méfaits des officiers des IDF, mais il se protège aussi, institutionnellement, de toute responsabilité en tant qu’Etat dans les actions civiles, en utilisant la Civil Torts Law (responsabilité de l’Etat) 5712-1952, une loi soigneusement formulée.

Un récent amendement a modifié cette loi la rendant pratiquement inapplicable pour les Palestiniens, en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza, qui ont subi des dommages de la part d’un agent de l’Etat (par exemple, les forces de sécurité israéliennes) et qui voudraient demander réparation. L’amendement s’applique rétroactivement pour les dommages causés après le 29 septembre 2000, et même aux réclamations déjà déposées devant les tribunaux et non encore jugées. Ces dispositions violent les engagements d’Israël à respecter les lois internationales relatives aux droits humains et qui permettent une indemnisation effective des victimes.

***
Mardi 5 octobre 2004. Les parents d’une fillette de 13 ans, Iman Al Hams, pleurent sur son corps dans la maison familiale lors de ses funérailles, dans le camp de réfugiés de Rafah, dans le sud de la Bande de Gaza. La fillette a été visé, et tuée, par les soldats israéliens, selon des sources militaires locales, elle s’était écartée du chemin habituel de son école.

Sur le plan pénal, il y a eu quelques tentatives dans le passé pour assigner les officiers devant les tribunaux, non seulement la plupart ont échoué, mais les verdicts donnent habituellement une nouvelle gifle au visage des victimes. Cinq jours seulement après le meurtre d’Akaber, Ha’aretz publiait qu’un certain capitaine « R », de la brigade Givati des IDF, s’était vu attribuer 80 000 shekels (NIS) d’indemnités par l’Etat d’Israël, après avoir été innocenté des cinq chefs d’accusation portés contre lui, liés au meurtre de Iman Al Hems, une écolière de 13 ans de Gaza. Iman avait été abattue par les forces israéliennes en octobre 2004, alors qu’elle passait à proximité de leur avant-poste. Le capitaine « R » s’était alors approché d’Iman, qui était déjà allongée par terre, blessée, et l’a tirée à bout portant. La transcription des échanges radio entre les soldats durant les faits révèlent que le capitaine « R » a simplement déclaré avoir « confirmé la mort ».

Se contredisant devant le tribunal, le capitaine « R » a dit avoir ouvert le feu sans viser directement Iman, comme dissuasion, et qu’il a cru que la jeune fille constituait une menace sérieuse. A quel point faut-il qu’un capitaine israélien soit lâche ou dérangé mentalement, pour se sentir effrayé par une écolière de 13 ans, désarmée, qui était déjà étendue sur le sol, blessée et sans force ?

De façon grotesque, les juges ont retenu sa version des faits. C’est ainsi que cela fonctionne ici, messieurs-dames : le capitaine « R » a été acquitté, récompensé par une indemnité et promu commandant, pendant que la famille d’Iman, elle, était récompensée par une autre lourde injustice qui s’ajoutait à la première avec la perte de leur enfant.

Selon le bureau de l’avocat général israélien, seules, 131 enquêtes criminelles à propos de Palestiniens tués et blessés illégalement par les forces de sécurité israéliennes ont été ouvertes de septembre 2000 à juin 2005, ce qui représente 28 actes d’accusation et seulement 7 condamnations.

Cependant, pendant la même période, l’organisation B’Tselem pour les droits de l’homme, a enquêté sur le meurtre d’au moins 1 722 Palestiniens, tués en dehors de toute action de combat par des soldats israéliens. Selon la section palestinienne de « Defence for Children International », plus du tiers de ces tués sont des enfants.

Ces chiffres révèlent des pratiques péremptoires par Israël pour son impunité, qui me plongent de plus en plus dans une incrédulité absolue. C’est ce genre d’incrédulité qui vous jette dans un état de choc. Le fait même que l’armée israélienne s’en tire pour le meurtre de centaines et de centaines d’enfants sans la moindre conséquence est si indigne, si incroyable, ça vous paralyse. Vous vous sentez impuissant, incapable de réagir, incapable de vous concentrer sur les actions qu’il faudrait engager pour remédier à la situation. En ressassant cela chaque jour, je cours le risque de devenir complètement insensible, et par conséquent, de plus en plus déphasée à chaque nouvel incident, comme tant d’autres observateurs « invités ». De l’extérieur, cela peut apparaître comme une démission. Et c’est souvent le cas. Et Israël compte là-dessus. Même le monde extérieur devient immunisé ; vous, lectrice ou lecteur, vous devenez immunnisé-e – car votre seuil d’acceptation passive de l’atrocité remonte. Il faut s’y attendre, nous avons tous besoin de nous protéger de tant d’horreurs de la vie quotidienne, afin de survivre. La peau devient plus dure. Mais ne nous leurrons pas nous-mêmes en pensant que nous ne pouvons rien faire pour changer la situation.

Notre indifférence déjà influence cette situation. Notre indifférence est un élément essentiel de l’équation qui maintient l’impunité en place : c’est une indifférence qui permet aux meurtres d’enfants de se poursuivre sans entrave. C’est cette même indifférence qui permet au terrorisme d’Etat de se générer, et par voie de conséquence, à d’autres formes de terrorisme.

Je suis horrifiée, de même que beaucoup d’autres, que ceci puisse se poursuivre sans être contesté. Naturellement, il y a des organisations de la société civile qui se consacrent à s’opposer à l’impunité d’Israël. Elles emploient toutes les procédures qui leurs sont disponibles pour dénoncer les pratiques d’Israël et exiger de l’en rendre responsable avec réparation pour les victimes.

Des manifestations de profonde inquiétude et des appels urgents à agir sont publiés presque tous les jours. Des recherches s’opèrent, des rapports sont publiés et des ressources sont disponibles, pourtant, tous ces efforts restent symboliques face à l’inertie de la communauté internationale.

Cela semble paradoxal : les Etats-Unis et l’Union européenne fournissent les procédures et les outils par lesquels et avec lesquels la société civile peut censément exploiter le poids politique et économique des organisations intergouvernementales, pour remédier à ces violations des droits de l’homme commises par un Etat.

Pourtant, les USA et l’UE, systématiquement, refusent d’intervenir avec toute leur puissance politique pour arrêter la politique barbare d’Israël et ses pratiques contre les Palestiniens. N’est-ce pas l’un des rôles principaux des organisations intergouvernementales de protéger les civils contre ces quantités de violations des droits humains perpétrées par un Etat ? La Charte des Nations unies déclare explicitement que « les Nations unies doivent promouvoir le respect et l’observance universels des droits humains et des libertés fondamentales » et que « tous ses membres s’engagent à agir, en commun et séparément, en coopération avec l’Organisation dans ce but ».

Si Israël, en tant qu’Etat membre, ne respecte pas la Charte, pourquoi alors n’y a-t-il aucune pression efficiente de l’ONU pour lui faire respecter les principes de son adhésion ? L’accord d’association Union européenne/Israël qui prévoit une coopération économique et politique entre les deux parties, stipule que le respect des droits humains et des principes démocratiques est un point essentiel de l’accord.

Israël à l’évidence ne respecte pas les droits humains et la démocratie dans sa façon de traiter une nation qu’il occupe illégalement, alors pourquoi l’Union européenne n’examine-t-elle pas cette anomalie ? L’inaction de l’Union européenne et des Etats-Unis, alors qu’ils ont les moyens d’imputer à Israël toute la responsabilité de ses actes, équivaut à une participation active à la pérennisation de l’impunité de fait d’Israël.

Cette réalité déprimante me conduit à rechercher les raisons de leur inaction. Est-ce la peur ? Peut-être que les Etats-Unis et l’Union européenne se sentent menacés par Israël, comme le capitaine « R » se sentait menacé par Iman al-Hems, ou comme les 30 agents secrets israéliens se sentaient menacés par Akaber, âgée de 7 ans. Ont-ils peur qu’en critiquant ouvertement Israël, l’équilibre géopolitique tout entier s’écroule ? Ont-ils peur que les USA soient vraiment en position de bannir tous ceux qui voudraient satisfaire aux demandes de la société civile pour une intervention politique au nom des civils palestiniens ? Ont-ils si peur d’être catalogués comme antisémites qu’ils ne peuvent se décider à aller plus loin que leurs dénonciations, tout en douceur, des violations flagrantes des droits humains ? Comment leur peur peut-elle l’emporter sur leur humanité ?

D’où se trouvent les enfants palestiniens, il apparaît que même le plus sanglant et le plus horrifiant des massacres n’est pas suffisant pour mettre ces puissances supranationales en action.

Après des centaines de morts d’enfants palestiniens, et des centaines d’appels pressants à la communauté internationale qui tombent dans des oreilles de sourds, il est facile de prendre cette attitude dangereuse : « à quoi bon essayer ? ».

L’occupation conduit des millions de personnes, dans les Territoires palestiniens occupés, en Israël, en Europe, en Amérique, et dans le reste du monde, à se dire, à eux-mêmes ou aux autres : « Oui, c’est mal et injuste, manifestement, mais à quoi bon essayer de faire quelque chose pour arrêter cela si des masses d’efforts n’ont pas été capables jusqu’ici d’y mettre fin ? » Alors que cela peut être considéré comme une réaction normale, il est aussi normal, et nécessaire, pour les êtres humains, de trouver de nouvelles motivations pour continuer les tentatives.

Je fais appel aux responsables politiques pour qu’ils reconsidèrent ce qui se cache derrière leur inaction, et aux observateurs partout dans le monde pour combattre leur engourdissement et la banalité, à force de voir ou d’entendre qu’un enfant a été tué. Nous devons continuer à essayer d’obtenir justice pour les Palestiniens.

Comme la militante américaine pour les droits de l’homme, Rachel Corrie, l’écrivait dans son journal intime, quelques mois avant qu’elle ne trouve la mort, écrasée par un bulldozer de l’armée israélienne en mars 2003 :« Ceci doit s’arrêter. Je pense que c’est une bonne idée pour nous tous, de tout laisser tomber et de consacrer nos vies pour que cela s’arrête ».

Al Yamun – samedi 1 avril 2006 -IMEMC « Don’t worry – it’s just another Palestinian child’s death ».

http://www.imemc.org/content/view/17758/_ Traduction : JPP.

Publié sur le site CCIPPP le 2/4/06.

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