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« Au coude à coude, comme du bétail » par Gideon LEVY

Pendant qu’on demande au Hamas de « respecter les accords israélo-palestiniens », Israël les viole tous, à commencer par celui concernant le point de passage de Rafah, avec des conséquences humaines désastreuses, décrites ici par Gideon Lévy. Mais pour quels lecteurs ?


Coude à coude, comme du bétail

Ces trois dernières semaines, Laila El-Haddad les a passées dans un misérable appartement qu’elle a dû louer, contre son gré, à El Arish, en Egypte, pour elle et son fils Yousouf, âgé de deux ans et neuf mois. Tous les quelques jours, ils entreprenaient d’aller au passage de Rafah, à quelque 50 kilomètres de là, pour tenter de rentrer chez eux, à Gaza. Tentatives désespérantes : en même temps que 5.000 autres habitants de Gaza, attendant eux aussi de pouvoir retourner chez eux, elle s’est retrouvée pressée pendant des heures, avec son petit enfant, dans l’interminable file du passage de Rafah. « Coude à coude, comme du bétail », ainsi qu’elle le décrit sur son blog *, jusqu’au moment d’être, une fois de plus, honteusement refoulée.

Laila El-Haddad, jeune journaliste qui partage son temps entre Gaza et les Etats-Unis, peut se permettre de payer neuf dollars par nuit. Mais la plupart des infortunés autour d’elle, dont des malades atteints du cancer, des bébés, des vieillards et des étudiants, des invalides et des blessés, ne peuvent pas s’offrir ces extras. Certains louent une tente, pour une lire égyptienne et demie la nuit, les autres dorment tout simplement à la belle étoile, dans le froid de la nuit, où s’entassent dans les mosquées de l’endroit.

Ces gens veulent rentrer chez eux. Israël ne leur accorde même pas cela. Ce sont des gens avec des familles, des obligations et des projets, des gens qui ont des désirs, de l’honneur, mais qui se soucie de cela ? Ces dernières semaines, même le Ministre palestinien pour la qualité de l’environnement, Youssouf Abou-Safiya, a été bloqué. Laila El-Haddad raconte que lui aussi est apparu un soir, ramassant des branches sur la plage de El Arish, pour allumer un feu de camp. Cet été, au barrage, au moins sept personnes, parmi celles qui faisaient le pied de grue, sont mortes de chaleur et de déshydratation. Pour beaucoup de malades, l’attente est un cauchemar qui met leur vie en danger. Pour des étudiants, cela signifie la perte d’une année d’étude. On ne parle même pas de ces mauvais traitements dans les journaux : n’a-t-il pas en effet été mis fin à l’occupation de Gaza ?

Sans que quiconque y ait prêté attention, la Bande de Gaza est devenue le bout de terre le plus fermé au monde, après la Corée du Nord. Mais si la Corée du Nord est connue dans le monde pour être un pays totalement fermé, combien savent que tel est le cas aussi à une heure de route de Tel Aviv la turbulente ?

Le barrage d’Erez est désert : les Palestiniens ne sont autorisés à y passer, les étrangers quasiment pas, et ces deux dernières semaines, pas non plus les journalistes israéliens. De temps à autres, on y pousse encore une chaise roulante à l’intérieur des longs couloirs du contrôle de sécurité, amenant un malade condamné ou quelqu’un qui a été grièvement blessé par l’armée israélienne, pour des soins en Israël et retour. Le grand terminal qu’Israël a construit, monstre de béton et de verre aux allures de centre commercial fantastique, se dresse comme une blague particulièrement de mauvais goût, une moquerie. Au barrage de Karni, le seul canal d’approvisionnement pour un million et demi de personnes, ne sont passés, depuis janvier, que 12 camions par jour ; selon l’ « Accord sur les Passages » signé il y a un an, Israël s’était engagé à y permettre le passage de 400 camions par jour. L’excuse : la sécurité, comme d’habitude. Mais à Karni, il n’y a pas eu d’incident touchant à la sécurité depuis avril. Cela signifie non seulement une lourde misère, mais aussi des dommages pour 30 millions de dollars à l’agriculture gazaouite, à peu près la dernière source de revenus. D’après un rapport de l’ONU publié la semaine dernière, Israël a violé tous les points de l’accord. Pas de passage vers Israël, pas de passage vers la Cisjordanie et pas non plus de passage vers l’Egypte – la dernière issue.

Le passage de Rafah est fermé de manière quasiment continue depuis le mois de juin. Sur 86% des jours, le passage était infranchissable. Le mois denier, il n’a été ouvert que 36 heures, réparties sur quatre jours. La foule désespérée de ceux qui attendaient s’est ruée vers les barrières. La scène était déchirante. Puis le passage a de nouveau été fermé. La dernière fois, cela s’est produit quand le Ministre palestinien des Affaires étrangères est passé avec 20 millions de dollars dans ses affaires. Châtiment collectif : fermeture pour des semaines. Le passage, il faut le rappeler, n’est permis qu’aux Gazaouis porteurs d’une carte d’identité délivrée par Israël. Les armes ne passent pas par là, Israël l’a reconnu. La fermeture – et cela aussi, Israël l’a reconnu – est seulement destinée à exercer une pression sur les habitants.

Rafah est encombré par la foule de ceux qui attendent des deux côtés, y compris de nombreux pèlerins en route pour La Mecque. Mardi passé, le bruit a circulé que le barrage serait ouvert le lendemain. Israël n’annonce l’ouverture du barrage que la veille, à 11 heures du soir. Cela aussi fait partie des forme d’abus. « Une seule chose est sûre, c’est que personne ne sait quand le barrage sera ‘ouvert’ », a écrit Laila El-Haddad sur son blog. Elle s’est empressée de partir à six heures du matin, le lendemain, et cette fois, elle a finalement réussi à passer, mais des milliers d’autres sont restés derrière.

La veille, elle avait rapporté sur son blog des bouts de conversation avec son petit garçon : « Pourquoi on ne rentre pas à la maison ? », avait-il demandé, un soir. « Que raconter à un enfant de deux ans ? », se demandait-elle. « Qui ferme la frontière ? », demandait-il. « Des gens méchants », a-t-elle dit. « Comme dans les histoires ? Comme dans le Livre de la Jungle ? », a-t-il demandé. « Et qui sont les méchants, les Juifs ? » « Que lui répondre ? », rumine-t-elle. « Mais pourquoi ? Qu’est-ce que nous avons fait ? » « Ah ! Si seulement je savais ! Si seulement je n’avais pas à répondre ! »

Puis Laila El-Haddad a écrit une lettre ouverte au Ministre israélien de la Défense, Amir Peretz : « Que puis-je expliquer à un enfant de deux ans à propos de frontière, d’oppression, de châtiment collectif, d’occupation ? Et qu’est-ce que VOUS lui répondriez ? » Vraiment, que répondrions-nous au petit Yousouf, deux ans ? Que pourra lui répondre Peretz ? « Sécurité d’Israël » ? Quels souvenirs le petit garçon gardera-t-il de ces trois semaines où il s’est retrouvé pressé avec sa maman dans la file, à la frontière, humiliés et tristes sur le chemin de la maison, dans Gaza emprisonné et qui se consume dans sa pauvreté ? Et qui, à la fin, aura à rendre des comptes pour tout cela ?

Gideon Lévy

Haaretz, 10 décembre 2006

Version anglaise : Elbow to elbow, like cattle – www.haaretz.com/hasen/spages/798786.html

(Traduction de l’hébreu : Michel Ghys)

CAPJPO-EuroPalestine