Ci-dessous le compte-rendu de la sénatrice Alima Boumediene
qui revient de Palestine où elle a participé à la IIème conférence internationale sur la résistance non violente, du 18 au 20 avril 2007, à Bil’in, en Palestine occupée.
« Bil’in est un petit village proche de Ramallah, qui se situe sur le tracé du mur d’annexion que construit Israël. Petit village certes, mais grande détermination de ses habitants !
Comme tout le peuple palestinien, les habitants de ce village ne se résignent pas à l’occupation de leurs terres, qui s’exerce notamment par une colonisation croissante. Comme dans beaucoup de villes de Palestine encerclées ou divisées par le mur, chaque vendredi après-midi se déroule une manifestation pour exprimer la résistance contre un mur dont la construction a été condamnée par une bonne partie de la communauté internationale.
La spécificité du combat mené à Bil’in réside dans le fait qu’il reprend plusieurs caractéristiques de la première Intifada de 1987 : une résistance populaire, non armée et démocratiquement organisée, ce qui nous paraît à cet égard exemplaire face à la violence de l’Etat d’Israël et à la répression vécue au quotidien par le peuple palestinien.
Cette résistance s’appuie sur les actions d’un comité d’habitants qui a choisi de sensibiliser l’opinion internationale par une lutte pacifique, en organisant chaque année une conférence internationale sur la résistance non violente.
Conférence où se sont exprimés cette année de nombreux responsables politiques palestiniens (Mustafa Barghouthi, Azzam Al Ahmad,…) aux côtés de citoyens israéliens, intellectuels, journalistes, etc. (Amira Hass, Jeff Helper, Ilan Pappe,…), des élus européens (Luisa Morgantini) et des élus français dont 2 parlementaires : Jean Claude Lefort et moi-même, Alima Boumediene-Thiery), diverses personnalités internationales (dont une irlandaise prix Nobel de la paix, Stephan Hessel, etc. ) ainsi que des associations de solidarité et des mouvements pour la paix européens ou israéliens, notamment de jeunes internationaux et la dernière mission du CCIPP. (Vous trouverez ci-après l’intervention publique que j’ai faite à la tribune.)
Plus qu’un événement local, cette initiative, qui se déroule pour la seconde fois, représente, par son impact politique national et international, la popularité de la cause palestinienne au-delà de la solidarité traditionnelle ou régionale, et renforce l’unité sociale et nationale du peuple palestinien dans sa lutte pour un Etat viable et indépendant.
Concernant notre participation à cette conférence, elle fut appréciée par la diversité des personnes présentes, en raison notamment de notre respect de l’autodétermination du comité des habitants tant pour ses choix que son organisation. Il faut savoir que la délégation française se composait d’une cinquantaine de personnes, en faisant la plus importante.
Notre participation à la manifestation a été massive : une centaine de pacifistes en plus des habitants du village. Des Palestiniens et des Israéliens, des Français, mais aussi des Italiens, des Espagnols, des Britanniques, des Irlandais, des Coréens, des Portoricains, des Latino-américains, des Sud Africains, des Américains etc. Une vraie manifestation internationale!
La veille, les représentants du comité populaire nous ont exposé les mots d’ordre.
Des internationaux « permanents » nous ont donné les consignes et la conduite à suivre pendant la manifestation face aux violences de l’armée. La confrontation étant rituelle, des consignes claires ont été établies : ne pas paniquer, se boucher les oreilles et ouvrir la bouche si une grenade assourdissante est lancée, respirer de l’oignon contre les gaz, rester groupés, écouter les Palestiniens, se retirer immédiatement lorsque la consigne en est donnée. Ceux des premiers rangs sont à peu près certains d’être arrêtés.
Nous sommes partis en manifestation, assez tendus en raison de la description qui nous avait été faite du déroulement des précédentes manifestations. On nous avait dit que déjà la semaine dernière, la manifestation avait été particulièrement dure pour les Palestiniens dont certains avaient été arrêtés, mais aussi pour des internationaux qui avaient été expulsés manu militari avec interdiction de retour sur le territoire.
Les soldats nous attendaient, habitués à ce rituel hebdomadaire, ils étaient déjà placés en haut de la colline, en position armée devant le mur, munis d’un canon à eau et de trois jeeps militaires. Il est alors demandé aux internationaux et aux élus d’être au premier rang, certains levant alors les bras en l’air, d’autres brandissant des écharpes pour montrer que nous étions des élus étrangers. J’ai alors pris la décision de me positionner à la place qui m’était proposée, c’est-à-dire dans les premiers rangs, aux côtés de jeunes Israéliens et internationaux.
De nombreux drapeaux palestiniens portés par les villageois (hommes, femmes, adolescents) flottaient dans la manifestation. Certains manifestants portaient des drapeaux arc en ciel (PEACE) ou encore des panneaux avec des slogans de paix. Les jeunes Israéliens et les internationaux criaient : « Soldats, refusez la guerre !», « Nous voulons vivre en paix », « Rentrez en Israël et laissez la Palestine aux Palestiniens », « Non au mur d’annexion » « Stop à la colonisation »… Deux ou trois voitures TV et des équipes de presse filmaient et prenaient des photos.
Dès que nous sommes arrivés en vue des soldats israéliens, les choses ont aussitôt violemment dégénéré. Sans avertissement, l’armée israélienne a commencé à avancer sur nous. Les soldats ont tiré des dizaines de gaz lacrymogènes et des grenades assourdissantes pour nous disperser. On s’est mis à courir et à crier. Les yeux nous ont piqué pendant longtemps, on pleurait à grosses larmes, et les gaz continuaient. On respirait l’oignon pour calmer le feu de nos yeux. Nous avons alors vu les secours de l’UPMRC emmener un blessé. Certains ont rebroussé chemin. Il faut avouer que lorsque l’on voit un soldat israélien dégainer sa mitraillette et tirer, on oublie les consignes, et on fuit sans se poser de questions, en courrant et en suffoquant car les bombes lacrymogènes ont été plus vite que vous !
Les tirs ont cessé pendant un instant. Puis les jeeps militaires sont descendues à notre hauteur, et les tirs ont repris de plus belle, provenant d’un peu partout.
Les soldats sont ensuite entrés dans les champs et se sont dissimulés derrière les arbres pour avancer vers nous.
C’est ainsi que je me suis retrouvée seule contre un muret, encerclée par cinq soldats portant mitraillette au poing. Les mains en l’air, je leur ai dit de partir, que j’étais ici pacifiquement, que les Palestiniens voulaient vivre chez eux en paix, et qu’ils devaient refuser de participer à cette guerre injuste. D’un air méprisant, ils m’ont laissé parlé et sont alors partis vers un groupe de jeunes.
J’ai tout de suite pris la décision de suivre les soldats, ne voulant pas laisser seul ce groupe de jeunes.
Les tirs ont alors repris, provenant d’une autre rangée de soldats cachés sous les arbres et le long du mur. Derrière moi, j’ai vu Mary, notre Irlandaise prix Nobel de la Paix, s’arrêter car une balle venait de lui toucher la jambe. Les personnes qui l’entouraient s’occupaient d’elle et j’ai donc poursuivi ma descente pour rejoindre le groupe de jeunes encerclé par des soldats et un camion jeep.
Ca explosait alors dans tous les coins et la fumée du gaz lacrymogène s’amplifiait, mais une partie de la manifestation continuait toutefois d’avancer vers les soldats. Je compris alors qu’ils voulaient faire libérer un des leurs, TITO, qui s’était fait embarquer par plusieurs soldats alors qu’il plaçait un drapeau palestinien en haut d’un barbelé. Me retournant, je ne vis plus personne de la délégation française, mais les jeunes internationaux et jeunes israéliens continuaient leur marche. Je restais donc avec eux, continuant de descendre du chemin, les bras en l’air et en criant PAIX.
Ils nous ont laissé se rapprocher d’eux, puis ils se sont mis à tirer des balles en caoutchouc. Nous nous sommes alors retournés pour nous protéger le visage et le cou. Une jeune fille israélienne à côté de moi n’a pas pu se retourner assez vite et a reçu une balle en caoutchouc dans le ventre. Quant à moi, alors que je me retournais pour me protéger le visage, j’ai reçu deux balles en caoutchouc : une qui m’a touchée le coude gauche et l’autre la cuisse gauche. Malgré la douleur, je ne me suis pas arrêtée pas pour regarder et j’ai courru me protéger derrière un arbre, à proximité des « voitures presse TV ».
Les tirs ont alors cessé un instant. Je voyais les soldats se rapprocher de nous, certains munis de caméras. Ils étaient en train de nous filmer !!! Je leur ai demandé pourquoi. Ils voulaient en fait avoir des images pour revenir plus tard arrêter les jeunes manifestants palestiniens.
Mais les soldats ne répondaient pas. Ils remontèrent alors dans leurs jeeps en haut de la vallée. Nous pensions qu’ils allaient partir… eh bien non, les tirs reprennent de plus belle.
Lorsque les jeunes du village se sont avancés pour caillasser les soldats israéliens, les responsables du comité populaire ont alors appelé à la fin de la manifestation, ne souhaitant pas de dérapages. Ils voulaient rester dans l’action non violente et refusaient que les jeunes adolescents se laissent entraîner dans le cercle infernal de la violence créé par l’armée israélienne.
Je pensais alors qu’il n’y aurait plus de tirs, mais je me trompais.
Des gaz lacrymogènes ont de nouveau été relancés, tandis que nous aidions un jeune palestinien handicapé en poussant son fauteuil roulant pour échapper aux gaz.
Longtemps après la fin de la manifestation, nous voyions encore de la fumée et nous entendions des tirs (balles caoutchoucs, grenades, gaz lacrymogènes) indiquant que les soldats se faisaient caillasser par des jeunes adolescents restés derrière nous.
Le bilan de cette manifestation, particulièrement violente selon les dires des responsables du comité populaire, fut lourd du côté des manifestants : plusieurs blessés par balles en caoutchouc, et l’arrestation d’un international malgré notre intervention, sans parler des nombreuses bombes lacrymogènes et assourdissantes, insupportables.
Bilan personnel donc, deux balles en caoutchouc, sans trop de conséquence : une petite plaie au coude qui me brûle, et une autre plaie à la cuisse avec deux énormes hématomes. N’ayant pas été soigné rapidement, mon hématome a pris de l’ampleur et ma cuisse a gonflé, passant du noir au violet, avec un volume inquiétant.
Le soir de la manifestation, une amie de la délégation m’appliquait de l’eau glacée pour faire dégonfler ma jambe. C’était douloureux sur le coup, les muscles me tirant dans le bras et la jambe gauche et mon épaule étant froissée. J’avais des courbatures partout et éprouvais des difficultés pour marcher.
Malgré cela, j’ai préfère attendre mon retour en France pour aller voir le médecin. Celui-ci, étonné, me demanda ce qu’étaient ces plaies et hématomes. Je lui racontai alors mon histoire et il fut consterné. Il me prescrit des médicaments et notamment des calmants pour les douleurs, me demandant de ne pas trop forcer pendant une dizaine de jours.
Pour moi, finalement, tout ceci n’est pas très grave. Mais je pense à tous ces Palestiniens qui vivent au quotidien cette violence et cette occupation coloniale. Quand trouveront-ils enfin justice, paix et liberté ?
Dans cette lutte non-violente, la société palestinienne prouve sa détermination à refuser la logique de guerre permanente dans laquelle veut l’entraîner l’Etat d’Israël et ses amis occidentaux, et démontre ainsi sa volonté de construire la paix et la réconciliation entre les peuples israéliens et palestiniens.
Nous savons que la paix ne peut se construire sans justice, et celle-ci nécessite l’indispensable libération nationale d’un peuple qui subit une occupation militaire coloniale qui n’a que trop longtemps duré ! »
Alima Boumediene-Thiery
Vendredi 27 avril 2007
CAPJPO-EuroPalestine