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En direct de Naplouse : la barbarie à l’oeuvre

Wajdi raconte l’invasion de Naplouse par l’armée israélienne en ce moment, l’acharnement sur les blessés, les femmes et les bébés… et même sur les morts.


« A quoi ça ressemble une invasion ?

Les habitués de Naplouse, ou de la Palestine ont souvent l’occasion d’entendre ‘les soldats arrivent de tel ou tel check points, ils sont dans la vieille ville, ou à Balata, ils sont dans telle ou telle partie de la ville… Mais ‘pour de vrai’ qu’est-ce que ca veut dire ?

Ils y a quelques semaines, les soldats s’étaient invités chez nous. L’expérience avait été désagréable, nous sommes passés par différentes étapes à la suite de ‘ça’ : le choc, la frustration, la haine et puis surtout l’appréhension de la prochaine visite.
Tous les soirs ils sont repassés dans ‘le coin’, parfois avec des bombes sonores, parfois des buldozers… Pendant un moment je n’ai pu dormir qu’à coup de tranquilisants, tranquilisants qu’il m’est même arrivé de vomir pensant que les soldats étaient sur le point de surgir chez nous.

Et puis la vie nous a repris par d’autres préoccupations.

Le Ramadan, mois de reccueillement, mois de fête, est dans tous les esprits depuis quelques semaines. Le mois de Ramadan est aussi une importante période econonmique, il engendre de fortes dépenses… Mais la situation économique de la population, n’est pas vraiment appropriée, alors tout le monde se met a vendre ce qu’il peut : des jus de fruits, des gateaux, du hummous…
Le cours du blé a doublé partout dans le monde, ce qui signifie ici aussi.
Tous les prix ont augmentés de facon vertigineuse, en fait ils ont doublés et l’inflation semble ne plus avoir de limites.

Ce genre de préocupations, prennent tres vite le dessus sur quoi que ce soit d’autre.

Wajdi travaille avec son père depuis le debut du Ramadan, ils vendent des gateaux. Pendant ce temps là, moi je flemmarde, et je ne rechigne pas sur les grasses matinees… Il est environ 13 heures quand Wajdi vient me réveiller. Il m’annonce que les soldats n’ont pas quitté Naplouse au petit matin comme à leur habitude. Un jeune de 17 ans s’est fait tuer à 8 heures, les soldats sont dans El Ain Camp et encerclent les résistants, ces derniers n’ont plus de munitions.
Wajdi m’explique que par les microphones des mosquées il y a des appels à la population pour que les gens s’y rendent mais que personne ‘ne bouge son cul’.

Immédiatement nous prenons la decision de nous rendre sur place. En moins d’une minute je suis prête et nous partons. Cette rapidité, qui ne m’est pas habituelle, est loin d’etre de l’héroisme, c’est juste parce que je ne veux pas avoir le temps de penser, je ne veux pas avoir le temps d’avoir peur.

Nous arrivons à l’entrée du camp. Quelques journalistes et une vingtaine de volontaires de Medical Relief attendent d’être autorisés à récuperer le corps du martyr. Son corps git au milieu de la rue et nul n’a le droit de l’approcher. Avec le soleil, le corps a gonflé, je ne respire pas par le nez parce que je ne veux pas me souvenir plus tard de cette odeur. J’aperçois un blondinet, j’en deduis que c’est un ‘international’, je n’en vois pas d’autre. L’été est passé, les vacances sont finies, alors on ne voit plus de groupes de solidarité se promener dans la ville.

Des jeunes, sur le toit d’une maison un peu plus loin, jettent des pierres sur les jeeps, ils provoquent les soldats par de grands coucou.
Immédiatement les soldats ripostent par des bombes lacrymogènes, qu’ils visent d’ailleurs très bien. La diversion fonctionne et le chauffeur d’une des ambulances fonce à toute allure vers le corps. Une jeep l’arrête, nous nous pressons tous pour le soutenir. Les parents du gosse sont là aussi.

A ce moment precis de ‘l’histoire’, je ne comprends pas cette lutte pour récuperer le corps. Pourquoi, les soldats ne veulent pas que nous le prenions ? Pourquoi nous n’attendons pas que les soldats partent ?
Un journaliste se retrouve braqué par un M 16 sous la gorge, Wajdi aussi.

En fait si les soldats avaient pris le corps, ils l’auraient rendu quelques jours plus tard à sa famille complètement déchiqueté et vidé de ses organes. Je pensais que ce jeune martyr était un résistant. En réalité, Mohammed, venait d’obtenir son Taoujii (bacalaureat), il était un excellent eleve. Ce matin il se rendait a l’université.

Nous sommes plantés là, devant l’entrée du camp, avec interdiction formelle de pénétrer à l’interieur, totalement impuissants.
A quelques mètres derrière, Wajdi et moi apercevons un petit bout de femme, accompagnée de deux jeunes de Medical Relief, faisant mine de repartir. Wajdi la reconnait et pressent un stratagème.. Nous les rattrapons, en quelques secondes nous voilà tous les cinq dans le camp, a l’insu de tous. Ramadan ou pas, je n’ai jamais courru si vite de ma vie. Jamais eu si peur aussi.

Comme tous les camps de refugiés, El Ain, est un vrai labyrinthe, nous nous dirigeons grâce aux habitants qui nous renseignent par leurs fenêtres: ‘les soldats sont à gauche, passez à droite’, ‘ici quelqun a besoin de soin’, ‘là bas les habitants d’une maison attendent depuis plusieurs heures’.

A chaque croisement de ruelle nous ne savons pas si nous allons trouver des résistants ou des soldats, nous courrons, nous crions ‘medical, ambulance, international’. Un homme nous appelle, son fils est malade. Il a trop de fievre, il doit être transféré à l’hopital. Nous le transportons jusqu’à l’extérieur du camp, une ambulance vient le chercher, une jeep et un buldozer sont à cette sortie. Le soldat qui véhicule le bulldozer fait brutalement tomber la pelle du véhicule, nous sursautons, il est mort de rire.

Nous rentrons à nouveau, une ruelle de soldats, une ruelle de résistants, une ruelle de soldats. Les resistants sont completements pris au piège. Les soldats nous visent lorsque nous sommes dans leurs ‘zones’, les lumières rouges qui se baladent sur nos corps nous en avertissent, les resistants nous aident à traverser les leurs.
Nous trouvons soudainement une vingtaine de personnes assises sous le soleil, en plein milieu des combats. Il y a du sang par terre, beaucoup de cartouches vide, un chien abatu entouré de mouches et il y a des soldats en face de nous. Il y a une femme assise pres du chien, ses larmes ne s’arretent pas, elle est silencieuse, par pudeur, elle fait dos aux autres.

A force de négociations, ils acceptent de nous laisser vérifier la santé de ces gens. Nous donnons de l’eau aux enfants et aux bébés. Les adultes n’en veulent pas, ils jeunent.

Nous tentons de mettre les gens en securité. Wajdi et moi sommes les seuls à parler anglais, mais nous ne comprenons pas tres bien ce que nous dit le soldat ‘porte parole’. Tout est confus. Je fini par comprendre qu’ils veulent que nous demandions aux gens de se déplacer dans une ruelle a gauche, et naturellement je vois Wajdi et les trois autres volontaires s’engoufrer dans la ruelle de droite. Ce n’est pas le temps des explications, alors je les suis.

Nous essayons d’aller le plus vite possible, mais la vieille dame que nous tentons de raccompagner chez elle, a manifestement beaucoup de mal a marcher.

Au loin j’entends les soldats hurler, je ne sais pas trop si c’est contre nous ou contre les habitants, ce n’est pas vraiment le moment non plus de se poser la question.

Nous reprenons notre souffle quelques instants à un croisement. Une balle nous frôle, ‘baisse toi et cours’ me hurle Wajdi. On nous indique une maison où un nourisson a besoin d’une aide medicale urgente. Wajdi me fait entrer dans une maison avec les deux autres volontaires de Medical Relief. J’ai à peine le temps de le voir courir avec Aiché (‘le petit bout de femme’) le bébé dans les bras. Quelques minutes plus tard, ils reviennent. Ils ont été poursuivis par les soldats, mais ils ont réussi a donner de l’oxygène au nourisson grâce à une ambulance qui les attendait plus bas.

Nous continuons notre tour dans le camp, personne ne nous appelle, une deuxième balle nous caresse, nous sortons.

Il est bientôt 3 heures du matin, les soldats ont envahi toute la ville. Ce soir à l’heure du ftour, comme toujours, la maman de Wajdi nous avait preparé un délicieux petit plat, mais à part l’eau sur laquelle nous nous sommes rués, nous n’avons rien pu avaler.

Nous ne savons pas si les gens qui attendaient ont pu rentrer chez eux ou pas, nous ne savons pas s’ils ont pu manger, nous ne savons meme pas s’ils sont en bonne santé.

Les explosions retentissent jusque sous nos fenêtres, des lumières jaunes traversent le ciel, j’entends des cris. Les images, les sons de la journée résonnent dans ma tête. Je réalise maintenant que j’entendais ‘thank you’ pendant que nous courrions, comme je ne suis pas tres sure je demande à Wajdi, il me confirme. Les habitants du camp sont pris en otage, les résistants pris au piège et moi je suis chez moi, bien au chaud. J’aimerais les mériter ces ‘thank you’.

Wajdi Yaeesh
Human Supporters Association
wajdi@humansupporters.org
www.humansupporters.orgmobile: 00972 (0) 599.388.399
Nablus – Palestine (The Occupied Territories)

CAPJPO-EuroPalestine