Header Boycott Israël

Les méthodes inquiétantes d’un « pirate » israélien du marché de la désinformation, par Mediapart

« Une entreprise clandestine israélienne, spécialisée dans la manipulation électorale notamment par les réseaux sociaux, a été recrutée pour influencer des dizaines d’élections dans le monde, particulièrement en Afrique, selon le collectif de journalistes d’investigation Forbidden Stories, qui publie dans Mediapart.

Une trentaine de médias du monde entier ont révélé mercredi les activités louches d’un acteur du marché de la désinformation : une société israélienne qui se vante d’avoir réussi à influencer le cours d’une trentaine d’élections, en particulier en Afrique.

Trois journalistes de Radio France, du quotidien israélien Haaretz et du journal israélien TheMarker se sont fait passer pour des clients potentiels pour pouvoir dévoiler les méthodes de la société. Comme il est expliqué sur le site de France Inter« les employés se présentent comme d’anciens officiers de l’armée ou des services de renseignements israéliens, des experts en information financière, en questions militaires, en guerre psychologique, ou en médias sociaux. Pour comprendre ce qu’ils font réellement, nous n’avons donc eu d’autre choix que de nous présenter comme des “consultants indépendants” missionnés par un client africain qui souhaitait influencer un scrutin électoral ».

Les journalistes ont ainsi pu rencontrer son responsable, Tal Hanan, un ancien des forces spéciales israéliennes, qui se fait surnommer Jorge, au siège de la société, à Modi’in, entre Jérusalem et Tel-Aviv. Ce dernier leur a notamment expliqué pouvoir utiliser des journalistes dans sa stratégie de manipulation de l’opinion publique en leur présentant un sujet diffusé dans le journal de la nuit de BFMTV, présenté par Rachid M’Barki en décembre 2022, sur les difficultés des constructeurs de yachts à Monaco à la suite des sanctions décidées par l’Union européenne contre la Russie.

Les méthodes inquiétantes d’un « pirate » israélien du marché de la désinformation, par Mediapart
Tal Hanan, ancien des forces spéciales israéliennes, qui se fait appeler Jorge

Contactée à ce sujet par Forbidden Stories dans le cadre de l’enquête, la direction de BFMTV avait pris les devants en décidant début février de suspendre d’antenne Rachid M’Barki et de lancer une enquête. Le journaliste avait expliqué avoir suivi les consignes d’un intermédiaire, Jean-Pierre Duthion, qui se présente comme « lobbyiste ».

Ce dernier, selon un article de Libération publié à la suite de la révélation de la suspension d’antenne du présentateur, s’est fait connaître dans les années 2010 comme expatrié vivant en Syrie. Il a fourni plusieurs sujets à Rachid M’Barki, mais nie lui avoir versé de l’argent. Libération explique que Duthion « a coutume, à l’inverse, de se vanter en privé de rémunérer des journalistes en échange d’une couverture favorable de certains sujets, pour le compte de clients étrangers ».

« Nous sommes intervenus dans trente-trois campagnes électorales au niveau présidentiel », a également déclaré Jorge à ses faux clients, selon le site de Radio France. Sur ces trente-trois campagnes, leur a précisé un autre responsable non identifié, « les deux tiers d’entre elles [ont eu lieu] en Afrique anglophone et francophone. Vingt-sept ont été un succès ».

En Afrique, « nous pouvons confirmer qu’au cours de l’été 2022, alors que l’élection présidentielle kenyane approchait, Jorge s’est intéressé aux comptes de proches du futur président William Ruto », Dennis Itumbi et Davis Chirchir, membres de son équipe de campagne, selon le site Forbidden Stories.

Près de 40 000 faux comptes sur les réseaux sociaux

Pour ses activités, la société a notamment développé « depuis six ans une plateforme numérique », AIMS (Advanced Impact Media Solutions en anglais, soit « solutions avancées pour un impact médiatique »), qui lui permet de créer à volonté des faux comptes sur les réseaux sociaux, mais aussi et surtout de les activer, de les animer pour leur donner un vernis d’existence, explique le collectif.

« Début janvier 2023, le système exploitait 39 213 faux profils différents, consultables dans une sorte de catalogue. On y trouve des avatars de toutes ethnies et nationalités, de tous genres, célibataires ou en couple… Leurs visages sont des portraits de vraies personnes piochées sur Internet, et leurs patronymes, la combinaison de milliers de noms et de prénoms stockés dans une base de données », indique le site de Radio France.

Comme le détaille Haaretz« sous le nom et la photo de chaque avatar, une liste d’icônes indiquait les plateformes de médias sociaux sur lesquelles ils sont actifs. Tous les avatars ne sont pas créés égaux : il existe un système d’étoiles, classant la qualité de chacun d’eux dans le système ». D’après cette source, l’entreprise, ancien sous-traitant de l’entreprise britannique Cambridge Analytica, recourt aussi à l’espionnage de personnages clés, notamment en les plaçant sur écoute, ou en piratant leurs messageries privées ou leurs comptes Telegram. 

Aux faux clients et véritables journalistes, Tal Hanan a demandé une somme de six millions d’euros pour une campagne. Une somme qui semble bien élevée car, selon les documents récoltés par Forbidden Stories, il a facturé 160 000 dollars « pour une “phase initiale de recherche et de préparation” de huit semaines, plus 40 000 dollars de frais de déplacement »

Forbidden Stories (« histoires interdites ») est un réseau de journalistes d’investigation créé en 2017 et basé en France. Il s’est donné pour mission de poursuivre le travail d’autres journalistes menacés, emprisonnés ou assassinés. Pour cette opération, il s’agissait de poursuivre le travail entamé par la journaliste indienne Gauri Lankesh, assassinée en 2017. Elle enquêtait sur la désinformation et les « usines à mensonges ». 

La rédaction de Mediapart

CAPJPO-EuroPalestine