Présenté pour la première fois en juillet dernier en Jordanie par l’orchestre de Palestine, ce concert « Marie de Gaza », qui se termine par un grand espoir, après des couplets d’une grande dureté, vient d’être radiodiffusé à la veille de Noël. Et l’on n’est pas surpris par le succès qu’il rencontre.
Cette œuvre symphonique poétique et lyrique « Marie de Gaza » a été écrite par Ibrahim Nasrallah et mise en musique par Souheil Khoury.
Elle a été jouée à Amman en Jordanie par un orchestre composé de 120 musiciens et chanteurs sous la direction de Lamar Elias.
MERCI A ROLAND RICHA POUR LA TRADUCTION EN FRANÇAIS
Marie de Gaza
Marie dit à Marie :
« La paix sur terre n’est pas pour nous, ni pour mon enfant ni pour le tien. »
Marie dit à Marie :
Ô sœur de ma terre, sœur de mes pas sur terre,
sœur de mon âme, sœur de ma prière,
sœur de l’aube dans la clarté, sœur de ma grande mort en ce lieu,
de ce qui nous reste de la mort, et de ce qui peut nous rester de la vie.
La paix sur terre n’est pas pour nous.
Le ciel au-dessus de nous, ne nous voit-il pas?
Ou est-ce la croix que nous portons sur nos dos dans les champs noyés de sang
qui nous empêche d’accéder à la paix sur terre qui n’est pas pour nous?
Ô Dieu,
Paix pour nos ennemis
pour les bombardiers
pour la mort qui tombe
pour la mort qui monte.
La paix parle à la mort
elle ment
elle danse
rien ne la rassasie
ni notre sang dans l’horreur ou dans la beauté
ni notre sang dans les mers
ni notre sang dans les plaines
ni notre sang dans les montagnes
ni notre sang dans la terre
ni notre sang dans le sable
ni notre sang dans la question
ni notre sang dans la réponse
ni notre sang au nord
ni notre sang au sud
ni notre sang dans la paix
ni notre sang dans les guerres.
Ô Dieu,
Paix pour nos ennemis
pour leurs gardiens dans les pays lointains
pour leurs gardiens d’à côté
pour chaque frère-ennemi venu nous assiéger.
La paix pour un autre et autres que mes enfants.
La paix après notre massacre.
La paix avant notre massacre.
La paix pour le silence si nous crions.
La paix pour le silence si nous nous taisons.
La paix pour le silence si nous avons crié.
La paix pour la voix qui nous désigne en hurlant:
« Tuez-les, tuez-les, tuez-les, tuez-les, tuez-les ! »
et qui nous tue en silence !
Marie dit à Marie:
« La paix sur terre n’est pas pour nous, ni pour mon enfant ni pour le tien. »
La paix sur terre n’est pas pour nous,
elle est aux tyrans, aux présidents, aux armées
elle est pour le chaos et ceux qui tuent les enfants… et les adultes
elle est pour les soldats égorgeurs
qui font couler le sang
qui méprisent le martyr
qui éliminent les témoins
la paix pour le tyran d’ici
pour le tyran de là-bas
pour les chiens qui aboient d’ici
pour les hommes en armes de là-bas.
La paix pour ceux qui me crèvent les yeux pour que ne te vois pas.
Ô Dieu,
délimite l’espace et laisse-nous tout près de la mer
délimite l’espace et laisse-nous tout près… des tombes de ceux qu’on aime
nous ne partirons pas
nous resterons tout à côté,
prends nous, si telle est ta volonté
nous resterons tout à côté,
abandonne-nous, si telle est ta volonté
nous resterons tout à côté
quand tu voudras
comme tu voudras.
Sois notre rempart
nous ne fuirons pas à la tombée de la nuit.
Nous sommes tout près de ton coeur
tout près des portes de ton esprit
de l’église
de la mosquée
de la terre
de la vie ou de ce qui en reste.
Ô Dieu,
prends nous
et dépose nos âmes à côté de nos maisons en ruine
et de ce qui reste de nos corps.
Marie dit à Marie:
« La paix sur terre n’est pas pour nous, ni pour mon enfant ni pour le tien. »
La paix que nous désirons, que nous aimons, dont nous rêvons, à laquelle nous aspirons…
Une paix simple comme les larmes de ma mère
quand elle est triste ou heureuse.
La paix qui vole comme une aile.
La paix qui atterrit comme une aile.
Une paix belle comme une chanson .
La paix des animaux.
La paix de notre chatte avant qu’ils ne la tuent.
Depuis, son fantôme ne nous quitte plus. Elle miaule, elle joue, elle nous suit de partout à la trace… d’une chambre du nord jusqu’à une tente du sud.
La paix sur terre n’est pas pour nous,
ni pour Gaza, éblouissante au printemps comme nos enfants,
ni pour Akka, debout mille ans durant pour nous protéger comme nos grands-mères
ni pour la belle Jaffa
ni pour Jésus ressuscité… de notre sang, de notre chair, de notre terre et de nos résurrections.
La paix sur terre n’est pas pour nous,
ni pour Al-Qods du Prophète et du Coran.
La paix sur terre n’est pas pour nous.
La paix sur la terre est à moi, ô mon Dieu..
À moi et à toi.
Au papillon qui tourbillonne au bout des doigts des enfants montés au ciel, à tes côtés
dont les corps déchiquetés sont restés ici bas
dont les noms et prénoms sont recouverts d’ailes de colombes.
Pour eux, je chante
mille, vingt mille, quarante mille chansons.
Ô Dieu,
Que ceux qui les ont brûlés et tués
ne puissent jamais connaître la paix.
La paix sur terre a été pour nous
avant qu’elle soit à ceux qui ont brûlé et tué nos enfants.
La paix sur terre sera un jour à nouveau pour nous.
La paix est pour nous.
La paix est pour nous.
Poème d’Ibrahim Nasrallah
Traduit par Roland Richa
CAPJPO-Europalestine