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ATTENTATS : CE QU’EN DISAIT L’INTELLECTUEL FRANÇAIS ROBERT BARRAT PENDANT LA GUERRE D’ALGERIE

Texte sur la guerre d’Algérie écrit entre 1954 et 1962 par Robert Barrat (1919-1976), ancien secrétaire général du Centre catholique des intellectuels français, militant de la lutte anticolonialiste dès la première heure. A la lecture de ces pages, des analogies avec le conflit israélo-palestinien apparaissent de manière frappante.


Allèguera-t-on que les attentats terroristes et les crimes des « fellaghas » rendaient alors tout dialogue impossible ?
« Nous ne pouvons céder au chantage de la violence. Impossible de discuter avec des chefs de bande qui s’en prennent aux populations civiles et massacrent des innocents. Il faut d’abord rétablir l’ordre. »
Tels sont les thèmes que l’éloquence officielle utilisa à l’époque pour justifier le refus de discuter du cessez-le-feu.
L’argument était parfaitement spécieux. De vieux routiers de la politique, qui avaient participé aux combats de la Résistance, étaient moins que d’autres qualifiés pour s’indigner devant les attentats terroristes, attentats d’ailleurs relativement peu nombreux à l’époque, infiniment moins nombreux en tout cas que les pertes occasionnées dans la population musulmane par la répression.
Mais Lacoste et Bourgès, au lieu de donner à la grande presse des consignes de sang-froid et de pondération, l’engagèrent au contraire à monter en épingle les embuscades, exécutions ou assassinats commandés par l’A.L.N (Armée de Libération Nationale) ; il leur fallait susciter dans l’opinion des réactions primaires d’indignation et de vengeance qui lui feraient accepter l’envoi du contingent en Algérie. Le recours à la force –ils ne pouvaient pourtant l’ignorer—ne ferait qu’augmenter le nombre des attentats terroristes, armes fondamentales des guérillas de résistance. Mais ils préfèrèrent consciemment exposer des civils européens à la mort plutôt que d’engager la lutte contre les féodaux, véritables responsables de l’insurrection.
On me dira sans doute que je prends les crimes des « fellaghas » à la légère. Je ne les prends nullement à la légère.
Je sais le poids du sang innocent versé, la douleur des parents devant l’enfant que l’on ramène sur une civière, la misère des estropiés. Le meurtre d’un petit Fiama, l’assassinat des danseurs du Casino de la Corniche, celui des victimes de la bicyclette piégée de Boufarik m’ont bouleversé. Mais pas plus que ne m’ont bouleversé le meurtre du passant mulsuman froidement abattu sous les yeux du doyen Peyrega, pas plus que l’assassinat des cinquante-trois victimes de la bombe européenne de la Casbah. Pas plus que l’assassinat légal d’Iveton, de l’étudiant Taleb, et de ses condamnés à mort algériens, victimes d’une justice française répressive.
L’amour de la patrie ne me permet pas de fermer les yeux sur les crimes commis en son nom ni de préférer de le sang d’un français criminel à celui d’un Algérien innocent.
Je n’ai jamais imaginé le peuple algérien un peuple de saints ni les combattants de l’A.L.N. les anges exterminateurs de la justice divine. L’Algérie indépendante nous révèlera sans doute, d’ici quelques années, la même proportion de pêcheurs et de justes, de fanatiques et de miséricordieux, d’imbéciles et de génies qu’un quelconque pays de l’Europe dite chrétienne. J’affirme simplement qu’il est scandaleux qu’un pays comme la France ait acculé un peuple aussi héroïque dans son malheur, aussi généreux dans la misère que le fut le peuple algérien, à mener contre nous une guerre qui ne pouvait être qu’atroce, à recourir à des moyens qui ne pouvaient qu’être ceux de la terreur.
Je crains fort que l’histoire nous donne un jour tort si nous ne renonçons pas, une fois pour toutes, au petit jeu de savoir qui a commencé et qui, dans cette guerre, s’est conduit de la manière la plus atroce.
Il est vrai que les combattants algériens ont eu systématiquement recours à la violence. Mais le problème est de savoir si nous leur avions laissé un autre choix.

Extrait du livre de Robert Barrat UN JOURNALISTE AU CŒUR DE LA GUERRE D’ALGERIE aux Editions de l’Aube poche (pages 116 à 118). Ces écrits, datant de la guerre, furent publiés pour la première fois en 1987 par Témoignage Chrétien.