Mahmoud Abbas a finalement décidé de ne pas boire, cette fois, la coupe jusqu’à la lie : il a annoncé mercredi l’annulation d’un rendez-vous avec le bourreau en chef de son peuple, Ehud Olmert. La rencontre, comble de l’humiliation, devait avoir lieu à Jéricho, c’est-à-dire en territoire palestinien occupé, et non chez Olmert à Jérusalem comme cela avait été le cas pour les précédentes pitreries du même genre.
Le Président de « l’Autorité Palestinienne » n’a évidemment eu que l’embarras du choix pour motiver l’annulation de cette rencontre obscène : en l’occurrence, la décision d’Olmert, au dernier moment, de ne même pas apporter à Abbas le bout de carotte qu’il lui avait promis ces derniers jours, à savoir une (petite) partie des centaines de millions de dollars volés (pardon, « retenus à titre temporaire ») par le gouvernement israélien sur les droits de douanes de l’import-export palestinien.
Ce même mercredi, les médias israéliens annonçaient qu’une nouvelle tranche de logements de colons venaient de voir le jour dans la Vallée du Jourdain, avec l’accord gouvernemental israélien bien évidemment, mais au mépris de promesses qu’avait pourtant faites Olmert de ne pas construire dans cette partie de la Cisjordanie.
C’est dans un tel contexte qu’une agence des Nations-Unies vient de faire le constat que la création d’un Etat palestinien, y compris sur le territoire exigu de Jérusalem-Est, la Cisjordanie et Gaza, relevait désormais de la chimère, compte-tenu des situations créées par l’occupant sur le terrain. Michel Bôle-Richard, correspondant du journal Le Monde, fait la synthèse de ce rapport, ci-dessous.
Une agence des Nations unies doute de la possibilité d’un Etat palestinien
LE MONDE 05.06.07
Peut-on encore parler de la création d’un Etat palestinien viable à côté de
celui d’Israël alors que tout indique qu’elle n’est plus possible ? Faut-il
encore évoquer la « feuille de route », le plan de paix international, alors
que tout démontre qu’elle est désormais inapplicable ?
A l’occasion du 40e anniversaire de la guerre des Six-Jours (1967), deux
rapports, le premier d’Amnesty International et le second de l’office de
coordination de l’ONU pour les affaires humanitaires (OCHA), illustrent,
faits à l’appui, que l’emprise d’Israël sur la Cisjordanie est telle que la
création d’un Etat viable et continu n’est plus qu’une fiction. En effet,
selon le rapport auquel OCHA met la dernière main, parce qu’ils sont occupés
par des colons, par l’armée ou décrétés réserves naturelles, 45,47 % des 5
600 km2 que compte la Cisjordanie sont soit interdits d’accès, soit soumis à
un régime de permis pour les Palestiniens. Selon le rapport, le taux de
croissance des colonies israéliennes est de 5,5 % par an, « soit
l’équivalent de deux bus entiers qui, chaque jour, s’ajoutent aux 450 000
personnes déjà installées, c’est-à-dire trois fois la croissance naturelle
de l’Etat juif ».
Les chances d’une inversion de tendance ou d’un démantèlement des implantations
apparaissent illusoires. Ce qui signifie que les perspectives de la création
d’un Etat palestinien comme le président George Bush en avait exprimé la
« vision » le 24 juin 2002, et comme ne cessent de le répéter les autorités
israéliennes, relève de plus en plus d’une chimère.
En cela le rapport d’OCHA est on ne peut plus instructif. Il révèle tous les
détails de la façon dont l’Etat juif fait main basse sur la Cisjordanie, la
tronçonnant en une quinzaine de cantons desquels il est pratiquement
impossible de sortir pour les 2,5 millions d’habitants qui vivent sur ce
territoire. Pour OCHA, il apparaît de plus en plus difficile de faire
concorder les constatations sur le terrain avec la volonté exprimée de créer
un Etat palestinien digne de ce nom. « La réalité s’oriente dans une
direction qui va rendre la vie des Palestiniens plus difficile et ne va pas
leur permettre d’atteindre ce à quoi ils aspirent », déplore David Shearer,
directeur d’OCHA.
En quittant ses fonctions début mai, Alvaro de Soto, l’envoyé spécial de
l’ONU au Proche-Orient, avait déjà dressé un constat accablant : « D’un
côté, les Palestiniens doivent endurer les perpétuels ajournements des
négociations qui sont le seul espoir d’un aboutissement pacifique. De
l’autre, les perspectives d’un Etat viable sundefinedamenuisent sous leurs
propres yeux. »
Le constat d’Amnesty International est tout aussi accablant. Dans un rapport
de 45 pages intitulé « Supporter l’occupation », l’organisation internationale
dénonce « les violations répétées pendant presque quarante ans des lois
internationales que les légitimes préoccupations d’Israël en matière de
sécurité ne justifient pas ». Amnesty International passe en revue toutes
les atteintes aux droits de l’homme et le non-respect des conventions
internationales. Pour Malcolm Smart, directeur du programme sur le
Moyen-Orient d’Amnesty International, « le niveau de désespoir, de pauvreté
et d’insécurité alimentaire dans les territoires occupés a atteint un niveau
jamais atteint jusqu’à présent ».
« Les restrictions imposées sont disproportionnées et discriminatoires.
Elles sont imposées aux Palestiniens parce qu’ils sont palestiniens dans le
seul bénéfice des colons dont la présence en Cisjordanie est illégale* »,
souligne le rapport, pour qui « la charité et l’aide internationale
n’absolvent pas Israël de ses obligations ». Le ministère de la justice a
répliqué, affirmant que ce rapport était « biaisé, immoral, rempli d’erreurs
et d’imprécisions factuelles et légales » et « parle à la légère, sans leur
donner l’importance qu’ils méritent, des besoins sécuritaires légitimes
d’Israël ».
Michel Bôle-Richard
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D’innombrables interdits pour les Palestiniens
LE MONDE 05.06.07
Voici la liste des interdictions concernant les Palestiniens, selon une étude
de l’Office des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires
(OCHA).
*Interdictions permanentes :*
– les Palestiniens de la bande de Gaza ne peuvent demeurer en Cisjordanie ;
– les Palestiniens n’ont pas le droit d’entrer dans Jérusalem-Est ;
– ceux de Cisjordanie ne peuvent pas entrer dans Gaza par le point de
contrôle d’Erez ;
– ils ne peuvent pas se rendre dans la vallée du Jourdain ;
– ils ont l’interdiction d’aller dans les villages, les terres, les villes
et les alentours de la zone située entre le mur de séparation
et la « ligne verte » ;
– ils n’ont pas le droit d’entrer dans les colonies (même si leurs terres
sont à l’intérieur de la zone colonisée) ;
– ils n’ont pas le droit d’entrer en voiture à Naplouse ;
– les Palestiniens résidant à Jérusalem ne peuvent pas aller en zone A (dans
les villes palestiniennes de Cisjordanie) ;
– ceux de la bande de Gaza ont l’interdiction d’entrer en Cisjordanie par le
check-point d’Allenby (frontière jordanienne) ;
– ils ne sont pas autorisés à partir à l’étranger par l’aéroport Ben-Gourion
;
– les enfants de moins de 16 ans n’ont pas le droit de quitter Naplouse sans
un certificat de naissance (original) et sans être accompagnés par leurs
parents ;
– ceux qui ont des permis pour entrer en Israël ne peuvent le faire par les
mêmes points de contrôle que les Israéliens et les touristes ;
– les résidents de Gaza ne peuvent pas s’installer en Cisjordanie ;
– les résidents de Cisjordanie n’ont pas le droit de s’établir dans la
vallée du Jourdain, ni dans les communautés de la zone proche de la « ligne
verte » ;
– les Palestiniens ne sont pas autorisés à transporter des marchandises
entre les différents check-points de Cisjordanie.
*Assignation à résidence :*
– les résidents de certaines localités de Cisjordanie n’ont pas le droit de
voyager dans le reste de la Cisjordanie ;
– les personnes d’un certain groupe d’âge (essentiellement les hommes de
moins de 30, 35 ou 40 ans, suivant les niveaux d’alerte) n’ont pas le droit
de quitter les zones où ils habitent – en particulier Naplouse et d’autres
villes du nord de la Cisjordanie ;
*Points de contrôle et barrières :*
– en janvier, on comptait 75 points de contrôle gardés en Cisjordanie ;
– il y a en moyenne quelque 150 check-points mobiles ;
– il y a 446 obstacles placés entre les routes et les villages (cubes de
béton, murs de terre, 88 grillages en fer), et 74 km de barrières le long
des routes principales ;
– il y a 83 portes en fer le long du mur de séparation, coupant les
propriétaires de leurs terres. Seulement 25 d’entre elles sont ouvertes de
temps en temps.
Article paru dans l’édition du 06.06.07
Publié par CAPJPO-EuroPalestine