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NEGOCIATIONS DE CAMP DAVID ET TABA : UN DIPLOMATE FRANCAIS REPOND AU JOURNAL « LE MONDE »

Voici la lettre adressée un diplomate, fonctionnaire des Affaires étrangères, à la rédaction du journal Le Monde, suite à un éditorial de son directeur Jean-Marie Colombani, accusant Yasser Arafay « d’avoir choisi Sharon ». Cette affirmation est régulièrement mise en avant par la fraction soi-disant éclairée du gouvernement Sharon (Shimon Peres et d’autres. Elle consiste à dire que les Palestiniens ont refusé les offres « très généreuses » qui leur auraient été faites par Barak en 2000 et janvier 2001.


Monsieur le rédacteur en chef,

J’ai suivi de très près, dans mes fonctions précédentes, les négociations israélo-américano-palestiniennes de 2000 et 2001. J’ai trouvé votre éditorial de ce jour articulé autour de l’idée selon laquelle « Sharon est, et reste, le choix d’Arafat », surprenant.

Votre affirmation va en effet à l’encontre du témoignage du négociateur américain de Camp David (juillet 2000) et Taba (janvier 2001), M. Robert Malley, que vous avez publié dans votre journal le 25 juillet 2001, qui a montré toutes les limites de l’affirmation communément admise selon laquelle les Palestiniens portaient l’entière responsabilité de l’échec de ces négociations. M. Védrine, dans l’article que vous avez publié plus récemment, le 14 mars, ne dit pas autre chose.

Les témoignages des diplomates rejoignent en l’occurrence le bon sens. Il convient en particulier de se souvenir qu’au moment de ces négociations, Arafat aurait eu bien du mal à faire confiance à Barak : peu de mois auparavant, au printemps 2000, celui-ci avait proposé la restitution à l’Autonomie palestinienne de plusieurs villages autour de Jérusalem, dont Abou Dis. En dépit de sa promesse, il n’en avait rien fait. A l’été 2000, au moment où vous vous situez, M. Malley a reconnu que les propositions américaines n’étaient pas mûres, en particulier sur Jérusalem et les réfugiés. C’est la raison pour laquelle elles ont été affinées pour aboutir aux « paramètres » Clinton de décembre 2000.

Vous suggérez qu’Arafat aurait dû faire confiance à Barak. Or vous vous souviendrez que les Israéliens eux-mêmes reprochaient à leur Premier Ministre, dont la cote de popularité était en chute libre, ses innombrables « zigzags ».

Au-delà, on aurait voulu que le Président Palestinien se montre « pragmatique », accepte les conditions « les plus généreuses jamais offertes par Israël ». Peut-on oublier que celles-ci restaient en deçà du droit international ? Les propositions Barak – Clinton, laissaient des « blocs de colonies » (80% des colons, surtout autour de Jérusalem) à Israël, les droits des réfugiés palestiniens devait être appliqués au compte goutte. Mais les propositions faites aux Palestiniens étaient-elles suffisantes pour le règlement « définitif » qu’on leur demandait ? L’accord était censé apurer la totalité du différend historique entre les deux peuples. Une fois signé, Israël aurait été affranchi de l’obligation de donner suite à un quelconque différend fondé sur une résolution antérieure des Nations Unies. Arafat pouvait-il franchir ce pas au nom de son peuple ? Etaient passées par pertes et profits la question des biens spoliés ou détruits en 1948, le préjudice causé par 33 ans d’occupation en Cisjordanie, à Gaza et à Jérusalem est, et les innombrables types de répression physique, administrative ou économique exercés par Israël. En fait, les propositions Barak-Clinton pouvaient apurer le différend de 1967, mais celui de 1948 était oublié (et celui-ci est majeur puisqu’il a permis aux Israéliens de déposséder les Palestiniens de 78% de la Palestine).

Votre éditorial suggère surtout qu’Arafat aurait « voté » Sharon : au moment où les élections s’approchaient, fin 2000 et début 2001, les sondages annonçaient tous un effondrement de Barak : eût-il été sage pour les Palestiniens de se dévoiler alors que Sharon avait dit clairement qu’il ne mettrai jamais en œuvre un accord signé sur la base des paramètres Clinton ? Le Président américain lui-même était à la veille de son départ.

Je regrette enfin que l’on comprenne à vous lire qu’en définitive, Arafat a eu ce qu’il méritait. Je doute que cette assertion soit audible aujourd’hui pour les Palestiniens, dont aucun ne faisait davantage confiance à Barak que les Israéliens eux-mêmes.

Je comprends que votre journal cherche à conserver une ligne en apparence « équilibrée ». Elle le sera mieux en collant au plus près de la vérité, sans chercher à reprendre les arguments idéologiques soutenus par certains.