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RADIO TARIK AL MAHABBEH (NAPLOUSE) : UNE VOIX INDEPENDANTE POUR CONTRER L’OCCUPATION

NAPLOUSE – (envoyé spécial CAPJPO) – « Pas de problèmes pour venir nous voir à la station, si les check-points te laissent passer. Mais si nos discussions se prolongent, disons au-delà de 17h30, il te faudra passer la nuit ici, avec le reste de l’équipe. A cause du couvre-feu, tu comprends. Il tombe à 6 heures du soir, et ils ne plaisantent pas, crois moi. Moi-même, ce soir, je vais rentrer voir ma femme et mes enfants, et en me dépêchant : j’ai le malheur d’habiter sur la route d’arrivée habituelle des chars israéliens dans Naplouse. Alors, il faut que j’y sois à 17h45 dernier carat, sinon je vais me faire tirer dessus », avertit Amer Abdelhadi, le jeune directeur de Tarik Al Mahabbeh ( Radio-Naplouse, 97.7 sur la bande FM).


Pourtant, en cette dernière semaine d’octobre 2002, Naplouse la martyre connaît une embellie, toute passagère et toute relative, avec la levée partielle du couvre-feu total imposé au mois de juin aux 170.000 habitants de la ville et de sa périphérie, après une première vague d’assassinats et de destructions au printemps.

« Notre cité est la plus importante de Cisjordanie, par le nombre de ses habitants, mais surtout parce que c’est traditionnellement sa capitale commerciale, culturelle aussi avec l’Université An-Najjah, et même industrielle. C’est sans doute pour cela qu’Israël s’acharne encore plus ici qu’ailleurs en Palestine », estime Amer Abdelhadi, qui a décidé de rentrer au pays après les accords d’Oslo, alors qu’il résidait en Grande-Bretagne depuis une dizaine d’années.

« Au cours de ces ‘années Oslo’, mon projet n’avait rien d’héroïque ni de particulièrement original ; je m’attachais à construire une radio citoyenne, je faisais des rêves en matière de succès commercial, et cela aurait suffi à mon bonheur de petit entrepreneur privé. Mais le gouvernement et l’armée d’Israël, en provoquant l’Intifada et sa répression, en ont décidé autrement. Notre radio citoyenne et démocratique, c’est désormais à l’épreuve du sang et du feu que nous la construisons ; les Israéliens ont détruit la plupart de notre matériel, l’étranglement économique a réduit nos recettes publicitaires quasiment à zéro, j’ai épuisé toutes mes économies et je tremble à l’idée de ne pouvoir acheter de la nourriture pour mes employés qui n’ont pas reçu de salaire depuis des mois. Mais bon, ces épreuves nous rendent plus solidaires les uns des autres, et nous tirons quelque fierté du travail accompli », poursuit-il.

En raison du bouclage généralisé, qui fait que les journaux de Jérusalem n’arrivent plus à Naplouse qu’à dos d’âne, quand c’est le cas, la radio s’est ainsi révélée comme moyen de communication privilégié de la résistance civile.

Déjà, au début de l’été, Tarik Al Mahabbeh s’était fait connaître de la conscience citoyenne, en diffusant, à l’antenne, l’intégralité des résultats du baccalauréat, que personne n’aurait pu connaître, en raison du couvre-feu. Et à la rentrée, grâce à une action massive de désobéissance civile, à laquelle la radio a apporté une contribution essentielle, il a été possible de faire reculer, au moins partiellement et pour un temps, l’occupant israélien : le couvre feu permanent a été rapporté, et remplacé par un couvre-feu « nocturne seulement », de 6 heures du soir à 6 heures du matin.

« Cela faisait cent jours que la population de la ville était terrée à domicile et que de nombreux civils, des enfants notamment, avaient été tués. La rentrée scolaire était cependant là, et des parents nous ont dit à l’antenne, ‘tant pis, on ne peut pas continuer ainsi, il faut descendre tous dans la rue, et accompagner les gosses à l’école le matin ‘. Nous, à la radio, après avoir pris le temps de la réflexion compte tenu de la responsabilité morale qui nous incombait, nous avons décidé de relayer le mouvement. Ca a été dur : il y a eu encore un enfant tué et plusieurs blessés par les tirs, mais au bout de trois jours, l’armée israélienne s’est rendue à l’évidence : les Naplousiens ne céderaient pas, et elle a levé le couvre-feu total », raconte Amer Abdelhadi.

Malgré la volonté farouche de la population et de la municipalité de panser les plaies de la cité meurtrie, les traces de l’acharnement destructeur de l’armée israélienne sont omniprésentes : maisons et immeubles effondrés, trottoirs et chaussées enfoncés par les blindés, automobiles aplaties par les mêmes (Radio-Naplouse a recensé près d’un millier de voitures particulières délibérément endommagées), entre autres. Amnesty International vient d’ailleurs de publier un rapport accablant sur la « campagne » de Naplouse, accusant Israël et son armée de crimes de guerre répétés, que l’organisation humanitaire appelle la communauté internationale à poursuivre devant la Justice.

« Nous n’avons pas été épargnés non plus »., poursuit Amer Abdelhadi, en parcourant ses locaux dévastés par les tirs. Une vingtaine d’impacts sont encore visibles à l’intérieur, de calibres divers et variés, et les baies vitrées sont remplacées par endroits par des cartons. « Surtout, l’armée israélienne a détruit nos deux principaux retransmetteurs, et il n’est évidemment pas question de rêver à installer une antenne sur une colline des environs de la ville, elle serait aussitôt détruite par les soldats, à supposer qu’on parvienne là-haut sans encombre », explique Amer Abdelhadi. « D’ailleurs, bien que nos bureaux ne présentent pas, même de loin, le moindre intérêt stratégique, l’armée israélienne maintient régulièrement des snipers pointant notre immeuble, et tirant quand ça leur chante. Les collaborateurs de la station sont obligés de dormir dans les pièces les plus reculées, et on a quand même peur d’un ricochet toujours possible », commente-t-il.

« En réalité, ce n’est pas le terrorisme que vise l’armée israélienne, c’est toute une société, et son expression démocratique, c’est-à-dire indépendante. Parce que nous visons avant tout l’indépendance, nous n’avons pas cherché à obtenir de subventions de l’Autorité Palestinienne, à supposer qu’elle ait éventuellement un peu d’argent à nous consacrer, ce dont je doute tant Israël et son armée ont détruit un peu partout. Et nous n’avons pas renoncé, au contraire, à notre volonté de couvrir tous les sujets de manière professionnelle, y compris les sujets qui peuvent faire grincer dans la Palestine actuelle : que dire, que penser des attentats contre les civils israéliens ? Pourquoi une femme de Naplouse, accusée paraît-il d’avoir livré des informations à l’occupant, a-t-elle abattue dans la rue, sans avoir la moindre chance de pouvoir répondre de ses actes devant un tribunal ? Ou encore, la parole donnée à tous sur l’émancipation de la femme, ou cette émission que nous avons faite récemment avec des jeunes sur l’arrivée des premières règles menstruelles : pas évident tout ça, mais on ne fera pas une Palestine libre avec une langue de bois », résume le bouillant journaliste.

Seulement, Radio-Naplouse tire de plus en plus le diable par la queue, et sans aide, elle deviendra bientôt muette, définitivement muette.

Alors, il faut l’aider.

SOUTENONS RADIO-NAPLOUSE !

Amis lecteurs,

La CAPJPO, qui a, depuis sa création récente, concentré ses efforts sur son activité politique en France, a décidé d’apporter, à son tour, une contribution en matière d’aide directe, matérielle, au peuple palestinien, compte tenu de l’urgence de tant et tant de besoins, à commencer par ceux de cette radio.

Tarik Al Mahabbeh a besoin pour survivre d’un minimum de 10.000 euros par mois, une somme bien modeste pour une équipe de 20 personnes environ (la collecte d’une information fiable, a fortiori dans les conditions ultra-difficiles de la Palestine occupée, est une activité nécessitant d’importantes ressources humaines), permettant de verser des salaires ne dépassant pas 300 euros par mois et par personne.

Grâce à vos premiers soutiens, nous avons pu à ce jour collecter quelque 4.000 euros au profit de la radio, et on est donc bien loin du compte, même si d’autres actions de financement sont en cours. Nous allons notamment éditer des cartes de vœux de fin d’année, dont le produit sera reversé à Radio-Naplouse (ainsi qu’à l’association de Jeff Halper contre la démolition des maisons palestiniennes).
Alors, nous faisons appel à la solidarité financière de tous : envoyez vos chèques à CAPJPO, 16bis rue d’Odessa, 75014 – Paris, en mentionnant « Pour Radio-Naplouse » au dos du chèque. Merci d’avance.