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POURQUOI JE SOUTIENS LA SUSPENSION DES RELATIONS AVEC LES INSTITUTIONS UNIVERSITAIRES ISRAELIENNES (Par Tanya REINHART)

17 janvier – A lire, ci-dessous, la contribution de Tanya Reinhart, qui fait partie de la poignée d’universitaires pacifistes israéliens favorables à l’exercice de pressions extérieures, sur l’opinion publique et la communauté scientifique de son propre pays.


« Ce n’est pas facile pour une universitaire israélienne de soutenir, par les
temps qui courent, les appels en faveur d’une suspension des relations avec les institutions
académiques israéliennes. Comme tous les autres secteurs de la société
israélienne, les universités payent le prix de la guerre contre les
Palestiniens : il y a des coupes sévères dans les budgets, et les conditions
de travail se détériorent. Si les financements en provenance de l’Union
Européenne étaient gelés, la situation deviendrait sans nul doute encore
plus difficile. Il est donc compréhensible que le monde académique israélien
mobilise ses forces pour combattre toute tentative de de ce genre.
.
Compréhensible, certes, mais pas forcément juste.

La plupart des universitaires israéliens, comme leurs collègues français,
ont soutenu le boycott du régime sud-africain, qui a conduit en fin de
compte à l’abolition de l’apartheid. Cela signifie qu’ils reconnaissent le
boycott comme un moyen légitime au service de la communauté internationale
en vue d’obtenir un changement lorsqu’il s’agit de mettre fin à de sérieuses
violations des principes moraux et démocratiques. La question est dès lors
de savoir s’il est justifié d’établir une analogie entre la politique
israélienne et l’apartheid sud-africain.

Je crois que, bien avant même les atrocités présentes, Israël a suivi
fidèlement l’exemple de l’Afrique du Sud. Depuis les accords d’Oslo, Israël
a enfermé les Palestiniens des territoires occupés dans des enclaves isolées
de plus en plus petites (une copie directe du modèle des Bantoustans).
Contrairement à l’Afrique du Sud, toutefois, Israël a pu « vendre » sa
politique comme une action en faveur d’un compromis pacifique. Aidé par un
bataillon d’intellectuels du « camp de la paix », l’Etat d’Israël a pu
convaincre le monde qu’il est possible d’établir un Etat palestinien sans
terres, sans eau, sans la moindre chance d’indépendance économique, dans des
ghettos isolés entourés de clôtures, d’implantations, de routes de
dérivation et de postes de l’armée israélienne – autrement dit, un Etat
virtuel servant une seule finalité: la séparation (apartheid).

Mais ce que fait Israël sous la direction de Sharon dépasse de loin les
crimes du régime blanc d’Afrique du Sud. Cela a pris la forme d’un nettoyage
ethnique systématique que même l’Afrique du Sud n’a jamais tenté. Depuis le
mois d’avril de l’année dernière (après l' »opération » de Jénine), nous
assistons quotidiennement au massacre invisible des malades et des blessés
privés de soins médicaux, des faibles qui ne peuvent pas survivre dans les
nouvelles conditions de pauvreté et de ceux qui sont condamnés à mourir de
faim.

Puisque les Etats-Unis soutiennent Israël, et que les gouvernements
européens restent silencieux, c’est le droit et le devoir moral des peuples
du monde entier de faire tout ce qu’ils peuvent pour arrêter Israël et
sauver les Palestiniens. En fait, un boycott des institutions, de l’économie
et de la société israélienne est déjà en cours et se développe : boycott des
consommateurs, boycott du tourisme, mouvement de désinvestissement sur les
campus américains, et boycott culturel. Comme dans le cas de l’Afrique du
Sud, le boycott académique constitue seulement un aspect de ce mouvement
général ; mais c’est lui qui a attiré le plus de protestations. La question
sous-jacente au débat autour de cette affaire est celle de savoir s’il
existe quelque caractéristique particulière du monde académique israélien
qui devrait le dispenser du boycott général en cours. Par exemple, quelque
chose qui le distingue clairement du monde académique des Blancs d’Afrique
du Sud à l’époque de l’apartheid.

Au niveau individuel, il y a des poches de résistance et d’opposition dans
les universités israéliennes, comme ailleurs dans la société. Ainsi, près de
quatre cents universitaires israéliens (sur plusieurs dizaines de milliers, il faut le souligner)
ont signé une pétition soutenant les objecteurs de conscience. Mais les
intentions individuelles ne sont pas tellement importantes, car les appels au boycott
touchent les institutions. (Pour ma part, je ne soutiens pas le boycott des
individus.) Au niveau individuel, il est établi qu’un certain nombre
d’enseignants blancs d’Afrique du Sud étaient opposés à l’apartheid, au
moins au fond de leur cœur.

L’esprit traditionnel des universités requiert que la responsabilité
intellectuelle inclue la sauvegarde des principes moraux. Ce qui permettrait
d’exempter les universités israéliennes du boycott, ce serait une preuve
démontrant qu’elles ont effectivement œuvré pour cette sauvegarde. Mais il
n’existe pas de telle preuve. Jamais le Sénat de l’une quelconque des
universités israéliennes n’a voté la moindre résolution s’élevant contre la
fermeture fréquente des universités palestiniennes (sans même parler de
l’absence de toute protestation contre les dévastations causées dans ces
institutions au cours de la seconde Intifada). Même la fermeture de
l’université Al Qods à Jérusalem (à Jérusalem Est, annexée) en juillet dernier n’a pas fait bouger le
milieu académique israélien. Or, si dans des situations extrêmes de
violation des droits de l’homme et des principes moraux, le monde académique
refuse de protester et de prendre parti, force est de constater qu’il
collabore avec le système oppresseur.

S’il faut une indication de plus en vue de démontrer à quel point le milieu
académique israélien est loin de la perception de la réalité de l’apartheid,
il suffit de lire les arguments des opposants israéliens au boycott. Ainsi,
le professeur Idan Segev appelle la communauté intellectuelle opposée à
l’occupation à aider à « construire un dialogue ouvert entre les universités
israéliennes et palestiniennes ». Plutôt que de boycotter Israël, l’Union
Européenne devrait selon lui « nous aider à organiser un congrès scientifique
international dans l’une des universités de Cisjordanie » (« Libération », 7
janvier 2003). Bien que le campus universitaire de Jérusalem se trouve
seulement à environ 15 minutes de voiture des prisons que sont devenues les
universités de Cisjordanie, le professeur Segev ne semble avoir aucune idée
de ce qui se passe dans ces prisons. Il ne sait pas que la vie académique
palestinienne est au bord de la paralysie, que les villes et villages sont
isolés les uns des autres et soumis au blocus, que le couvre-feu règne la
plupart du temps. C’est dans cet environnement qu’il pense pouvoir organiser
une conférence afin de promouvoir le dialogue …

Le premier pas, si l’on veut vraiment promouvoir le dialogue, devrait
consister à faire partir les chars israéliens qui gardent l’entrée des
universités palestiniennes ».

Taniy Reinhart est professeur de linguistique à l’université de Tel-Aviv ;
elle fait partie des signataires israéliens de la pétition britannique
appelant au boycott des institutions académiques israéliennes. Elle est
l’auteur du livre « Détruire la Palestine – ou comment terminer la guerre de
1948 », La Fabrique 2002.