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TRIBUNE LIBRE : « UN BOYCOTT INVENTE » (Par Pascal LEDERER)

Nous publions ci-dessous une tribune libre publiée mercredi dans le journal L’Humanité par Pascal Lederer, directeur de recherche CNRS à Orsay.


Un boycott inventé !
par Pascal Lederer (*)
Une campagne d’intimidation et de diffamation a cours en ce moment, elle vise des démocrates dont le crime est de rechercher obstinément une solution humaine, juste, respectueuse des droits de tous les peuples au conflit du Proche-Orient.
Cette campagne injuste, violente, scandaleuse se déroule sous nos yeux avec la participation de grands journaux  » objectifs « , qui n’hésitent pas à pratiquer l’amalgame et l’insinuation calomnieuse. Rares et faibles sont les voix qui s’élèvent pour défendre des accusés dont on instruit le procès sur la base de documents falsifiés et d’imputations sans fondement.
Cette campagne, qui vise à réduire au silence toute opposition à la politique coloniale menée par le gouvernement Sharon en Palestine, n’hésite pas à accuser d’antisémitisme, de pogromes potentiels des démocrates, et parmi eux de nombreux juifs qui ont voué leur vie à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme sous toutes leurs formes. Des démocrates, et parmi eux des juifs qui ont souffert dans leur chair, dans leur famille, dans leur esprit, de la haine nazie, sont traînés dans la boue par des inconditionnels du colonialisme de Sharon. Au nom de la souffrance juive, mobilisée au service de l’oppression, des personnalités respectées, représentatives, paraît-il, de leur communauté, dénoncent un antisémitisme inventé, imputé à des hommes de bonne volonté.
Et l’on voit de prétendus démocrates manifester bras dessus bras dessous aux côtés de fascistes patentés, blanchis, eux, sans doute, parce que juifs !
Car, enfin, qui appelle au boycott des universitaires israéliens ? Qu’on me montre un responsable d’une université ou d’une organisation représentative démocratique qui fasse sien ce mot d’ordre nocif et indéfendable ! Quelques personnes ont recommandé l’arrêt des contacts avec les institutions universitaires israéliennes (et non avec les universitaires), mais leur appel n’a été repris par aucune université.
Mais la motion de Paris-VI, dira-t-on ? Parlons-en ! Elle  » mandate le président de l’université pour nouer des contacts avec les autorités universitaires israéliennes et palestiniennes afin d’ouvrer dans le sens de la paix « . S’agit-il la d’un boycott ? Ou bien plutôt d’un refus de la haine et d’un appel à la paix ? Et ne serait-ce pas la raison de tout ce tapage organisé par les inconditionnels de M. Sharon ?
Mais la suspension de l’accord d’association UE-Israël réclamée par la motion ? Ne s’agit-il pas d’un boycott déguisé ? Ah vraiment ! Innombrables sont les échanges universitaires et scientifiques avec cent pays qui n’ont avec l’UE aucun accord d’association ! La suppression d’un accord d’association signifie la suppression de privilèges, de financements supplémentaires, d’avantages commerciaux, industriels et douaniers accordés au pays associé, à condition qu’il respecte les droits de l’homme et les principes démocratiques. Or Israël, aux yeux du monde entier, viole ces droits et ces principes dans ses rapports avec le peuple palestinien. (Que dire du dernier avatar de cette violence, la fermeture de trois universités palestiniennes par l’armée d’occupation ? Les pourfendeurs d’un boycott imaginaire vont-ils approuver cette manière musclée, et très réelle, de développer les échanges universitaires ?) C’est pourquoi le Parlement européen, le 10 avril 2002, a voté la suspension de l’accord d’association : un geste politique fort en faveur de la paix, d’une paix juste entre tous les peuples du Proche-Orient. Car l’accord d’association serait rétabli dès qu’Israël reprendrait le chemin d’une paix négociée, évacuerait les territoires occupés, comme il l’avait été avec les accords d’Oslo. Critiquer le vote du Parlement européen revient à blanchir le gouvernement Sharon de toute responsabilité dans les crimes de l’occupation, à lui donner carte blanche pour l’épuration ethnique que certains de ses ministres prônent ouvertement. La droite pro-Sharon va-t-elle clamer que l’UE est antisémite ? Qu’elle organise le boycott ? Que messieurs Cukierman, Lanzman, Lellouche et consorts s’expriment clairement ! Car en organisant l’hystérie autour du vote de la motion de Paris-VI, ils font le procès du vote majoritaire du Parlement européen, et au-delà de tous ceux qui critiquent le colonialisme en Palestine.
Il y a quelques semaines, un appel angoissé de près de 200 universitaires israéliens était adressé à l’opinion publique mondiale : il dénonçait la préparation par Sharon d’un nettoyage ethnique à la faveur d’une éventuelle guerre avec l’Irak. Ces universitaires appelaient, je cite,  » à exprimer de façon absolument claire que des crimes contre l’humanité ne soient pas tolérés, et à prendre des mesures concrètes pour empêcher ces crimes de se produire « .
Qui répond à l’appel de ces justes ? Ceux qui, en dénonçant l’accord d’association UE-Israël, dénoncent ces mêmes crimes, ou ceux qui insultent, ici même et là-bas, les partisans d’une paix juste ? Ceux qui regardent ailleurs et ne se soucient que de science pure ?
Qui combat effectivement l’antisémitisme ? Qui agit effectivement pour la sécurité et la dignité de tous les peuples du Moyen-Orient, pour que cessent à la fois les attentats terroristes contres les civils en Israël et pour qu’un peuple entier voie enfin reconnu son droit à l’existence ? Ceux qui votent la motion de Paris-VI ? Ou bien ceux qui la déforment et la calomnient pour lui faire dire le contraire de ce qu’elle dit ?
Il faut refuser l’intimidation ! Plus que jamais agir pour soutenir toutes les forces de paix au Proche-Orient, et en particulier la fraction de l’opinion qui, sans soutenir Sharon, est attachée à l’avenir et la sécurité d’Israël. Lutter contre l’antisémitisme et le racisme anti-arabe, exiger l’évacuation des territoires occupés, dénoncer les attentats-suicides contre des civils, refuser l’enchaînement des haines et des violences. Soutenir concrètement les refuzniks, multiplier les contacts personnels avec les universitaires, les démocrates israéliens et palestiniens, clairvoyants et courageux, qui maintiennent la perspective d’une coexistence pacifique entre deux peuples et deux Etats au Proche-Orient.
Par solidarité avec eux, il faut soutenir le vote du Parlement Européen ! Suspendre l’accord d’association UE-Israël, comme le demande la motion de Paris-VI, tant que dure l’occupation israélienne en Palestine.
(*) Physicien, directeur de recherche au CNRS, université Paris-Sud.