Header Boycott Israël

PROCHE-ORIENT : « LE TROUBLE DES SOCIALISTES »

Partagez:

8 décembre – A lire, ci-dessous, un article remarquable de Denis Sieffert, rédacteur en chef de Politis (n°777), sur le parti-pris pro-Sharon de certains dirigeants du parti socialiste, contre l’avis d’une majorité des adhérents de base.


PROCHE-ORIENT : LE TROUBLE DES SOCIALISTES
[Denis Sieffert – Politis n°777]
L¹apparition d¹un cercle animé par des amis de M. Strauss-Kahn accentue le
malaise de nombreux socialistes à propos de l¹attitude du parti à l¹égard du
conflit israélo-palestinien. L¹absence de débats met en évidence des prises
de position individuelles qui finissent par identifier le PS à la politique
coloniale israélienne. Comme si les socialistes français avaient suivi la
dérive d’une certaine gauche israélienne. Retour sur une longue histoire.

Le conflit israélo-palestinien fait tanguer le parti socialiste. Certes, le
vieux navire en a vu d¹autres. Mais plusieurs responsables de fédérations
constatent que le fossé se creuse dangereusement entre une base très
majoritairement pro-palestinienne et une direction perçue, à tort ou à
raison, comme pro-israélienne. L¹affaire Boniface, au printemps dernier,
avait agi comme un révélateur. Et la récente création dans la mouvance
socialiste d¹un Cercle Léon-Blum, aux desseins pour le moins ambigus,
relance le débat. On se souvient qu¹au lendemain du congrès de Dijon, en mai
dernier, le directeur de l¹Institut de relations internationales et
stratégiques (Iris) avait été sèchement relevé de ses fonctions de délégué
national. Le torchon brûlait avec une partie de la direction depuis que
l¹expert en relations internationales avait adressé à François Hollande,
Premier secrétaire du PS, et Henri Nallet, alors président de la commission
internationale, une note dans laquelle il conseillait un rééquilibrage de la
position du parti dans le conflit israélo-palestinien.

Pascal Boniface estimait notamment « qu¹on ne peut mettre sur un même plan
l¹occupant et l¹occupé ». Il notait encore qu¹on « ne combattra pas
l¹antisémitisme en légitimant l¹actuelle répression des Palestiniens par
Israël ». Et il concluait en mettant en garde la direction du PS contre le
sentiment de jeunes Beurs de banlieue : « Une attitude jugée déséquilibrée
au Proche-Orient ú et bien sûr, pensent-ils, une fois de plus en défaveur
des Arabes vient confirmer que la communauté arabo-musulmane n¹est pas prise
en compte ou est même rejetée par la famille socialiste. » Il n¹en fallait
pas plus pour que cette note, et une tribune dans Le Monde du 4 août 2001
qui en reprenait l¹essentiel, soit jugée « à la limite de l¹antisémitisme »
par l¹ambassadeur d¹Israël en France, Élie Barnavi. Le signal était donné
pour ce que Pascal Boniface a qualifié de « fatwa à Paris » (1). Messages de
haine, insultes, menaces physiques, pressions sur le conseil
d¹administration de l¹Iris pour obtenir le licenciement du paria, l¹affaire
a rapidement pris une ampleur insoupçonnée. Ainsi, le député UMP Pierre
Lellouche, membre du CA de l¹Iris, démissionna de cette instance et ne
manqua pas de le faire savoir à l¹hebdomadaire Actualités juives.

L¹étonnant, au-delà de la disproportion des réactions d¹hostilité en regard
du propos de Pascal Boniface, c¹est la rapide propagation de l¹information
sur la place publique. Un homme joua dans cette campagne un rôle
particulier. Il s¹agit de l¹un des responsables de la fédération socialiste
du Val-de-Marne, Laurent Azoulay. La haine tenace, il diffusait dans le
parti, au lendemain du 21 avril 2002, une lettre circulaire sobrement titrée
: « Le Pen doit remercier Pascal Boniface. » Il y spéculait sur le fait que
la prise de position du délégué national aurait poussé « une grande partie
de la communauté juive » à « massivement » apporter son soutien à Alain
Madelin… « l¹un des rares candidats, ajoutait-il, à prendre une position
claire et courageuse sur le Proche-Orient ». Puis, comme se ravisant devant
l¹énormité de son propos, Laurent Azoulay ajoutait : « Le vote juif n¹existe
pas… sauf quand on le provoque. »

Un an et demi après, et avec ses prolongements du congrès de Dijon,
l¹affaire Boniface reste aujourd¹hui encore comme un traumatisme au sein du
parti. « La direction n¹a pas été courageuse », avoue un haut responsable
socialiste qui a requis l¹anonymat. Ce qui tendrait à prouver que le courage
en la matière n¹est décidément pas facile. Rares ont d¹ailleurs été ceux qui
ont osé s¹émouvoir directement du départ de l¹expert auprès de François
Hollande. C¹est le cas notamment de la sénatrice Monique Cerisier Ben Guiga.
Dans une lettre adressée au Premier secrétaire en juillet 2003, elle
estimait que « l¹engagement pro-israélien inconditionnel de la direction de
notre parti contredit ses principes et lui fait perdre beaucoup d¹audience
en France et dans le monde ». Guy Lengagne, député du Pas-de-Calais, au
retour d¹une mission en Israël et en Palestine, écrivait avoir eu « honte »
« en tant que socialiste » en apprenant la mise à l¹écart de Pascal
Boniface. Mais à la base du parti, on n¹a guère eu vent de ces
protestations. Et on ignore plus encore les critiques formulées dans les
couloirs de la rue de Solferino. D¹où le sentiment qu¹une chape de plomb
s¹était abattue sur le parti.

La plaie encore vive s¹est rouverte avec l¹apparition publique d¹un Cercle
Léon-Blum où se retrouvent quelques-uns des censeurs les plus opiniâtres de
Pascal Boniface, à commencer par Laurent Azoulay lui-même, qui en est le
président. Créé en mai dernier, ce cénacle se présente comme l¹instrument
d¹une bataille sans concessions pour les valeurs de la République, pour la
laïcité, et contre l¹antisémitisme. Autant d¹objectifs louables. Mais dans
sa première expression publique, un quatre pages diffusé à l¹université
d¹été du PS, fin août à La Rochelle, les responsables du cercle ne
manquaient pas de s¹en prendre vivement à Pascal Boniface, décidément
l¹homme à abattre.

Plus éclairant encore : la secrétaire générale adjointe du cercle, Véronique
Bensaid, signait le seul article de ce document (hormis la présentation du
cercle lui-même) sous le titre « Sionisme antisionisme », qui laissait
supposer que la défense des valeurs de la République ne serait peut-être pas
la seule vocation du nouveau club de discussion. L¹auteur y définissait le
sionisme comme « le mouvement politique de libération national du peuple
juif », et une « variante du socialisme européen ». Ce qui en effet condamne
les Palestiniens à un antisocialisme définitif…

Plus fâcheux encore, Véronique Bensaid constatait avec effroi que «
l¹antisionisme nous dépeint le sionisme comme un mouvement colonial. »
Connaissant mal l¹histoire du mouvement dont elle se réclame, la responsable
du Cercle Léon-Blum semble ignorer que ce ne sont pas les « antisionistes »,
mais le fondateur du sionisme, Theodor Herzl lui-même, qui définissait le
sionisme comme « un mouvement colonial » (2).

Enfin, et pour faire bonne mesure, elle récusait le mot « colonie », qui ne
peut être, selon elle, que « l¹exploitation d¹un territoire étranger ». «
Peut-on parler de territoire étranger, s¹interrogeait-elle, lorsque le lien
qui unit les juifs à Israël est ancestral ? »

À lire ces lignes, on éprouve un sérieux malaise. En effet, s¹il n¹est plus
permis d¹employer le mot « colonie » pour désigner les implantations
israéliennes en Cisjordanie et à Gaza, c¹est que ces territoires sont unis à
Israël par un « lien ancestral ».

On le voit, un tel discours reproduit jusqu¹à la caricature l¹embrouillamini
habituel confondant l¹existence d¹Israël dans les frontières de 1967 et les
rêves annexionnistes de la droite israélienne dans les territoires
palestiniens. D¹où l¹idée qui se répand, chez beaucoup de militants, que le
Cercle Léon-Blum est surtout destiné à instrumentaliser la lutte pour la
laïcité et contre l¹antisémitisme au profit d¹un soutien à la politique
d¹Ariel Sharon. D¹autant plus que le document n¹évoque à aucun moment les
droits des Palestiniens à un État aux côtés d¹Israël. Les craintes n¹ont pas
été dissipées, c¹est le moins que l¹on puisse dire, par la furieuse réunion
du cercle, dimanche 23 novembre. Ils étaient quelque cinq cents personnes
dans une salle des fêtes de la mairie du XIIIe arrondissement en surchauffe
où dérapages et surenchères se sont multipliés, mêlant tout : antisémitisme,
antisionisme, forum social européen, islamisme…

Une salle saisie par le délire quand un orateur s¹est exclamé : « Oui,
antisionisme égale antisémitisme » pour mieux inviter une assistance tout
acquise « à comprendre l¹attitude de Sharon ». À la sortie, un militant
parisien qui avait espéré autre chose commentait, désabusé : « J¹ai assisté
à une grand-messe bien pro-israélienne et bien sectaire ». Mais il est vrai
que le cercle Léon-Blum, s¹il s¹inscrit dans la mouvance socialiste, n¹est
pas une officine du parti. Il n¹empêche ! Son discours, d¹une impeccable
homogénéité (3), couvrira pour longtemps la parole officielle du parti.
http://www.politis.fr/article.php3?id_article=765

Partagez: