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Canard enchainé : Un coup de bec malvenu

Le Canard Enchaîné vient de décerner un bonnet d’âne au ministre des Affaires étrangères Philippe Douste-Blazy, en accusant ce dernier d’ignorance crasse au sujet de la Deuxième Guerre Mondiale, et plus particulièrement en ce qui concerne le génocide des Juifs.


En l’occurrence, l’hebdomadaire satirique a rapporté, pour s’en moquer, des propos qu’aurait tenus Douste-Blazy lors de sa récente visite à Yad Vashem, le musée-mémorial dédié par Israël aux victimes de la barbarie nazie.

Consultant une grande carte de l’Europe où sont listés, pays par pays, le nombre de Juifs avant et après la guerre, Douste-Blazy aurait demandé « Il n’y a pas eu de Juifs tués en Angleterre ? », ce à quoi un responsable du musée aurait répondu : « Mais Monsieur le ministre, l’Angleterre n’a pas été occupée par les nazis ». Pour le Canard, Douste-Blazy aurait alors eu l’outrecuidance de vouloir poursuivre la discussion, puisque « sans se démonter », il aurait posé une nouvelle question : « Mais il n’y a pas eu de Juifs qui ont été expulsés d’Angleterre ? »

Et l’hebdomadaire, se croyant ironique, de suggérer au ministre de « lancer ce débat historique lors d’un prochain voyage chez Sa Gracieuse Majesté ».

L’articulet du Canard Enchaîné a suscité la curiosité d’au moins un journal israélien, le Haaretz, qui a fait lundi un article visant à ridiculiser de la même façon le ministre français.

Sauf que …. les questions imputées à Douste-Blazy sont parfaitement pertinentes, parce que les autorités britanniques ont bien été responsables, pendant la Deuxième Guerre Mondiale, de la livraison de Juifs à la machine de mort hitlérienne.

On ne parle pas seulement ici des responsabilités indirectes de l’Empire britannique lequel, s’il appuya le projet sioniste dans sa toute nouvelle colonie de Palestine à partir de 1918, le fit pour ses propres intérêts de superpuissance (à l’époque !), et jamais pour combattre l’antisémitisme sévissant en Europe.

Des lecteurs de Haaretz, sionistes convaincus, ont de ce point de vue rapidement rappelé aux détracteurs de Philippe Douste-Blazy que la Grande-Bretagne avait fermé les portes de la Palestine aux candidats juifs à l’émigration au moment même où ceux-ci avaient précisément le plus besoin de fuir l’Europe. C’est-à-dire en 1939, lorsque les nazis, outre l’Allemagne, avaient déjà pris possession de l’Autriche et de la Tchécoslovaquie, mais alors qu’ils autorisaient encore les Juifs à fuir (un an après, ce sera trop tard). Ce n’était évidemment pas par bonté d’âme envers le peuple palestinien qu’une telle mesure avait été prise par le gouvernement britannique, qui venait au contraire de réprimer sauvagement l’Intifada anti-coloniale de 1936-1939.

D’autres ont rappelé qu’au cours de cette même période précédant immédiatement la déflagration mondiale, la Grande-Bretagne avait délibérément apporté des restrictions à l’immigration (de Juifs, d’opposants politiques à Hitler juifs ou non-juifs) sur son propre sol ; on sait aussi qu’une fois la guerre déclarée, l’aviation britannique, tout en développant des techniques très sophistiquées de bombardement terroriste des populations civiles allemandes, ne manifesta pas le moindre intérêt pour les opérations nettement plus simples techniquement, mais beaucoup plus humaines, que lui proposèrent des résistants juifs : bombarder les voies ferroviaires permettant l’arrivée des trains de la mort sur les quais des camps d’extermination (Auschwitz, Treblinka … ).

Mais il se trouve, pour en revenir à la polémique lancée par le Canard Enchaîné, que les nazis ont effectivement envahi une partie du territoire britannique au cours de la deuxième guerre mondiale, et qu’ils y ont exercé leurs « talents » dans la chasse aux Juifs.

L’armée allemande s’est en effet emparée, dès 1940, des îles de Jersey, Guernesey et Alderney (les îles « anglo-normandes », face au département français de la Manche), c’est-à-dire des territoires britanniques, et elle y est restée jusqu’en 1945.

Elle a rapidement ordonné un recensement des Juifs résidant dans les îles. Et la police locale, toute britannique qu’elle était, a prêté son concours à l’occupant nazi, arrêtant les Juifs qu’elle trouvait, et les livrant ensuite aux bourreaux. Entre 12 et 14 hommes, femmes et enfants, parce qu’ils étaient catalogués comme Juifs, furent donc déportés des îles, pour un voyage sans retour. Au demeurant, la question des îles anglo-normandes et du comportement de ses institutions et de sa population sous occupation nazie (pas seulement au regard de la question juive) a donné lieu depuis des années outre-Manche à un débat animé historique très réel, n’en déplaise au Canard : animé outre-Manche depuis quelque temps : que se serait-il passé si tout le Royaume-Uni avait été envahi ? Les comportements observés à Jersey et Guernesey auraient-ils été généralisés ? Aurions-nous eu un Vichy nous aussi ? Qui aurait résisté ? Qui aurait collaboré ? etc.

« Certes, une douzaine de victimes juives seulement dans les îles anglo-normandes, on peut bien sûr dire que c’est infinitésimal par rapport à l’Holocauste dans son ensemble ; mais ce ne fut en tout cas pas infinitésimal pour les gens concernés », commente dans l’édition électronique du Haaretz le lecteur israélien Dani Reiss, pour qui la question par Douste-Blazy était donc totalement légitime.