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« La terre et la liberté », par Julien LACASSAGNE

Après Jérusalem et Naplouse, Julien Lacassagne se rend à Qaryout, village entre Naplouse et Ramallah.


« Le 31 juillet, Nadia et une equipe de Darna m’accompagnent pour me deposer au village de Qaryout, ou je vais rester.

La veille, à mon arrivee à Naplouse, Nadia m’annoncait
que j’y etais envoye pour environ deux semaines afin d’y animer un camp d’ete aupres d’enfants et pour y assurer des cours de francais.

Je ne sais pas ou se trouve Qaryout, je n’ai jamais anime aucun camp d’ete, j’ai une tres maigre experience des jeunes enfants et, enfin, je n’ai jamais enseigne le francais. Et je commence quand ?

Demain, me repond Nadia dans un grand et beau sourire.
En realite, j’adore quand les choses se deroulent
comme ca.

Qaryout se situe a peu pres a mi-chemin entre Naplouse
et Ramallah. Pour s’y rendre depuis Naplouse, il faut
commencer par passer par le checkpoint d’Hawara. J’y
retrouve la meme terrible file de Palestiniens traités
comme du betail. Ils sont etroitement surveilles par des soldats israeliens goguenards, qui ne sont pas avares de remarques graveleuses au passage des femmes, ni d’insultes le cas echeant. La barbarie, toujours la barbarie.

Le soldat préposé au controle regarde mon passeport, tandis qu’un autre se croit oblige de me repeter en boucle « Bonjour, comment ca va ? » en francais avec un
sourire candide. Je ne lui reponds pas, je passe mon chemin, le visage fermé et je lui jette un regard glacial. Je n’ai vraiment pas envie de rigoler et son sourire, il peut se le garder. Ce que je vois, c’est qu’il n’a rien a faire ici, c’est tout. Et puis, je ne cesse de me demander sur qui il a tireé la veille. Avait-il ce meme sourire en appuyant sur la gachette ?

Nous montons dans un minibus qui nous emmene vers Qaryout. Je prends le temps de regarder le paysage, et j’en tombe amoureux, une faiblesse de geographe sans doute. La geographie ça sert à faire la guerre, mais ça ne sert pas toujours a faire la guerre.

C’est un beau paysage mediterraneen de collines calcaires couvertes de cultures en terrasses. Les murs de pierres seches retiennent des terres parfois presque rouges.
Triplant les espoirs de la Palestine, on y distingue trois differentes couleurs vertes, exprimant les trois principales cultures a Qaryout et dans ses alentours. Il y a d’abord le vert grise, presque metallique, des oliviers, la culture dominante. Puis, on repere assez vite des taches mouchetant cet ensemble, d’un vert clair et scintillant, ce sont les feuilles des amandiers, aux feuilles aiguisees commes des lames de couteaux. Enfin, apparait le vert mat des feuilles duveteuses des figuiers, semblables a du velours. Comme au hasard, au milieu de ces arbres, on voit aussi ramper quelques pieds de vigne. L’olive, l’amande, la
figue, le raisin, ce sont les quatre fruits qui nourrissent la population ici. Quelques troupeaux composites de chevres et de moutons s’aventurent sur les flancs des collines. Mais le pittoresque du paysage ne fait pas oublier que l’eau est rare, les feuilles tombantes des figuiers en
sont les indices.

Vivent a Qaryout environ 2500 habitants, tous musulmans. Les maisons y sont des blocs dont on monte les etages et qu’on termine peu a peu, au gre des maigres entrees d’argent susceptible d’etre epargne. La plupart des familles vivent d’une agriculture qui genere de faibles dividendes.

C’est un curieux et beau nom, Qaryout. Il est vraissemblablement d’origine cananeenne : « Qura Yout »,
« Les jardins de Yout », « Hadaiq Yout » en arabe, du nom
d’un heros cananeen, mais il signifierait en meme temps « Les beaux jardins », en hommage a la fertilite
des terres car il y coule une source alimentant la
zone. Cette resurgence typique des pays calcaires existe toujours. Depuis les sommets, les eaux de ruissellement
percolent dans la roche, suintent le long de ses diaclases, l’acide carbonique qu’elles charrient la dissout par endroits, et enfin elles surgissent aux pieds des versants. C’est la fontaine de Vaucluse en somme. Mais celle de Qaryout ne rejette qu’un etroit filet d’eau. Les Cananeens ont laisse d’autres traces, des sepultures que l’on decouvre au bas des collines.

A Qaryout, je fais la connaissnce de Zoher, avec qui je vais travailler. Tres vite, le courant passe, il est d’une amabilite et d’une delicatesse extreme, et nous partageons le meme gout pour les plantes sauvages, les parties de billard americain et les plaisanteries de potaches, les memes espoirs pour la Palestine aussi.

Qaryout est situe sur une des collines de la region. Une fois installé, depuis l’un de ses flancs, je regarde autour de moi, et au milieu de ce paysage, la disgrace apparait et jette sur ce tableau une ombre noire. Qaryout est encerclé par trois colonies juives : Eli, Shilo et Rahel. Toutes sont en expansion. Elles sont facilement reperables, ce sont des lotissements sans ame dont les tuiles oranges ressortent au milieu d’une vegetation beaucoup plus verte qu’aux alentours car les implantations beneficient des reserves en eau les plus importantes, aux depens des villages palestiniens. Les expansions sont quant a elles
constituees de prefabriques. Un enorme batiment s’impose au sommet de la colline ou se trouve Shilo, c’est une academie militaire.

Les colonies surplombent le village, sur des collines
plus elevees que celle de Qaryout, et ou se trouvaient
auparavant des terres de culture appartenant a ses
habitants. Strategiquement, Qaryout est cerné et en position de faiblesse car situé en contrebas par rapport aux
colonies. Humainement, c’est un desastre, les implantations sont protegees par l’armee et les colons juifs sont eux memes organises en milices. Les soldats pratiquent regulierement des incursions sur les terres du village.

Ainsi, malgre l’intense vie sociale et la chaleur des
Qaryoutis, une evidente tension se ressent. C’est la nette impression, ou plutot la nette conscience, d’etre surveillé et controlé de l’exterieur. Car, comme toutes les villes et tous les villages de Cisjordanie, Qaryout est un ghetto. L’ancienne route qui menait en direction de Sinjel et de Ramallah a ete coupee par les Israeliens, elle est impraticable pour les Palestiens. Du coup, les terres situees en amont du barrage militaire gardant la route ont ete annexees par les colonies.

Colons et soldats pratiquent volontiers les violences
physiques; je rencontre ainsi plusieurs personnes qui
ont ete passees a tabac, et qui en gardent les blessures.
Les maisons palestiniennes jugees trop proches des colonies, ou situees sur des sites consideres comme strategiques sont detruites. On peut voir leurs soubassements en arpentant les collines. Les colons s’emparent des terres, en arrachent les oliviers, plantent de nouvelles cultures pour leur profit. Les colons vivent de l’agriculture, mais aussi des rentes que leur alloue l’Etat israelien.

Pour les Palestiniens, c’est une menace permanente. Je me souviens du premier jours de mon arrivee, lorsque le minibus est parti me laissant a Qaryout pour la quinzaine de jours qui allaient venir, je savais bien que quelque chose allait basculer. Ce n’est pas seulement l’amour des paysages qui m’a fait l’âpprécier, c’est l’attachement aux habitants de ce village, qui me manquent déjà alors que je dois prendre congé.

A eux comme a l’ensemble du peuple de Palestine, je
souhaite : « al ard wa al hourya », « la terre et la
liberte ».

Julien LACASSAGNE

CAPJPO-EuroPalestine