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Annapolis : Les Etats-Unis détiennent la clé, selon Sam Bahour et Bernard Avishai

Ce ne sont pas les termes d’un accord de paix qui posent problème, selon ces deux analystes palestinien et israélien, qui détaillent les enjeux économiques et les intérêts convergents des deux parties, mais l’absence de volonté politique. Tout dépendra de l’attitude de l’adminstration étatsunienne, estiment-ils.


« Faire advenir l’inéluctable

Tout le monde connaît les grandes lignes de l’accord de paix au Proche- Orient. Ce qui manque c’est la volonté politique d’y parvenir.

Bernard Avishai et Sam Bahour

Quiconque a entendu parler du conflit israélo-palestinien sait que les leaders attendus à la rencontre au sommet d’Annapolis, Maryland, à la fin de ce mois, n’élaboreront pas d’accord. Cela parce que les grandes lignes de cet accord ont déjà été élaborées, par morceaux, avec les propositions Clinton, au sommet de Taba, avec les propositions de la Ligue Arabe, la loi internationale y compris les innombrables résolutions des Nations Unies et les accords semi-officiels, comme l’initiative de Genève.

Aussi à ce stade n’a-t-on pas besoin d’une thérapie de couple ; c’est l’amour vache. Les puissances mondiales, à commencer par les Etats-Unis, doivent approuver publiquement cet accord, ce qui est la seule manière d’obtenir une place dans l’économie globale dont Israël et la Palestine ont besoin. Ce qui a largement été fixé, c’est ceci : à la base il y aura les frontières d’avant la guerre de 1967, et Israël indemnisera la Palestine avec de la terre (en échange) des modifications de frontières consenties ; Jérusalem sera la capitale des deux états, et la Vieille Ville sera ouverte, sans checkpoints ni zones interdites ; des forces internationales aideront au maintien de la paix, surtout là où les juridictions sont partagées. La majeure partie des réfugiés palestiniens exerceront leur droit au retour en s’installant dans le nouvel état de Palestine et en acceptant une compensation financière, même si un certain nombre d’entre eux auront le droit de revenir en Israël proprement dit ; et enfin, tous les Etats arabes, simultanément, reconnaîtront Israël. Pour plus de sûreté, il y a des détails controversés à mettre au point, y compris comment et quand les colons israéliens seront évacués et les réfugiés palestiniens rapatriés. Mais d’une manière générale, voilà cet accord, qui n’en a pas entendu parler ?

Pourquoi alors tant de gens doutent que le premier ministre israélien, Ehud Olmert, et le président de l’Autorité Palestinienne, Mahmoud Abbas puissent obtenir un OUI à Annapolis dans les semaines à venir ? Déjà les gros titres prédisent : « déraillement », « condamnés à l’échec » et « dans l’impasse ». Olmert et Abbas sont trop faibles, nous dit-on. Ils ne peuvent pas non plus vendre les compromis nécessaires à leur peuple. Mais les sondages d’opinion indiquent que ces deux leaders seraient des enfonceurs de porte ouverte en puissance. Une majorité substantielle d’Israéliens et de Palestiniens – de 60 à 70% – appuient la base de cet accord. Quand les commentateurs et les journalistes disent qu’Olmert et Abbas sont faibles, ce qu’ils veulent vraiment dire c’est ceci : ils sont personnellement impopulaires et pourraient bien perdre toute élection qui aurait lieu aujourd’hui.

Pourtant, tous les deux disposent d’un soutien provisoire pour continuer ce qu’il reste du processus de paix et, en fait, leur seule chance de retrouver un prestige politique c’est de tenir leur engagement. Mais l’horloge ne s’arrête pas. Si, à Dieu ne plaise, il y avait un combat à mort israélo-palestinien, Olmert et Abbas seront difficilement les leaders vers lesquels leurs peuples se tourneront.

Derrière leur diplomatie, il y a l’urgence économique. Olmert et le ministre israélien des affaires étrangères Tzipi Livni sont souvent pris pour des centristes, mais en réalité ils sont le produit de l’entreprise et de l’élite professionnelle d’Israël, dont l’influence est largement sous-estimée. Ils savent parfaitement bien qu’Israël ne peut pas maintenir une économie comme celle de Singapour avec une guerre ethnique comme celle de Serbie.

Au cours des années 90 relativement calmes, Israël est devenu un acteur majeur du high tech. Et au cours des dix dernières années, des douzaines d’entreprises de capital-risque ont investi plus de 11 milliards de dollars dans des start-up innovantes – du matériel médical jusqu’aux pare-feu pour l’Internet. Mais le savoir faire ce n’est pas tout pour assurer le développement constant de la croissance. Les entrepreneurs israéliens ont besoin d‘un accès sans entrave aux grandes sociétés et aux marchés globaux que seule une paix durable peut assurer.

Israël fait aussi face au risque d’une fuite des cerveaux dévastatrice si la violence ne finit pas. Une étude récente a montré que 44% des jeunes israéliens « penseraient sérieusement à quitter Israël si ça devait leur permettre un meilleur niveau de vie ». Beaucoup ronchonnent contre la disparition d’un centre laïc et contre la division rampante du pays. En Israël même, un quart des élèves du cours préparatoire sont des enfants ultra orthodoxes, et un autre quart sont des enfants palestiniens vivant, dans le fond, des vies de discriminés. Si les catégories professionnelles n’arrivent pas à faire progresser la qualité de vie générale, comment Israël réhabilitera-t-il son infrastructure éducative défaillante ou assimilera-t-il les Arabes israéliens dans une société civile urbaine ?

Du côté palestinien, les pressions économiques sont encore plus terribles. L’élite professionnelle palestinienne principalement installée à Ramallah – a désespérément besoin de capital à investir dans de nouveaux logements et de nouvelles infrastructures. Cette élite est hautement éduquée mais elle ne peut bâtir ni marché, ni affaires quand les checkpoints israéliens perturbent quotidiennement le commerce.
De même, elle a besoin d’un gouvernement cohérent – et non de la situation en morceaux, telle que la situation actuelle de Cisjordanie/Gaza.

Les accords d’Oslo de 1994 ont ouvert grand la porte au retour de la diaspora palestinienne, qui a commencé à investir dans le futur Etat par- dessus l’occupation militaire. Mais alors, Oslo a sombré et une nouvelle Intifada a commencé. Depuis lors, les Palestiniens ont souffert encore de la fuite de cerveaux plus encore qu’Israël. Un nombre incroyable d’hommes d’affaires de Gaza ont mis la clef sous le paillasson et cherchent à émigrer. La communauté chrétienne de Palestine, à Bethléem, parmi la mieux éduquée, est tombée de plus de 75% de la population à moins de 30%. La Palestine diplôme des centaines d’informaticiens qui cherchent du travail à l’étranger.

Abbas représente déjà un peuple dispersé et très éprouvé, avec un Hamas qui contrôle Gaza et une force substantielle à Naplouse, Jénine et d’autres villes de Cisjordanie. Son leadership s’effondrera sous le poids de la pauvreté et de l’extrémisme grandissants. La moitié des Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza ont moins de 18 ans, et 40% de tous les Palestiniens vivent dans la pauvreté. Mais si Abbas peut amener la fin de l’occupation et implanter des marchés neufs en Palestine, des masses de Palestiniens se réengageront dans la construction de l’Etat. Israël pourrait être un partenaire important dans la croissance palestinienne, en créant des emplois dans les technologies et le tourisme. Le potentiel pour une croissance de temps de paix est énorme ; Jérusalem reçoit environ 1,5 million de touristes par an maintenant, tandis qu’une ville comme Prague en attire huit millions.

Naturellement, les médias préfèrent se focaliser sur les menaces dramatiques qui planent au-dessus du processus de paix – nouvelles colonies juives dans les parages de la Cisjordanie, missiles artisanaux de Gaza ou ambitions nucléaires de l’Iran. Mais tout cela ne fait que souligner combien il est impératif d’en finir avec ce conflit et de consolider les racines de la stabilité régionale, lesquelles sont principalement économiques. Si on autorise l’occupation israélienne des territoires palestiniens à se poursuivre, alors une intifada en suivra une autre et la prochain soulèvement pourrait avoir lieu à Ammam.

Ce qui nous amène à l’argument le plus vraisemblable contre le succès d’Annapolis. Olmert et Abbas échoueront, disent les commentateurs, parce qu’ils affrontent une opposition domestique radicalement agressive – les colons biblico-belliciste ( Scripture-hawk) d’un côté, le Hamas de l’autre. Aucun des deux leaders ne peut mettre sa fragile « unité nationale » en péril au nom d’un accord de paix qui dépend de l’autre leader tout aussi faible. Mais c’est précisément là où les Etats-Unis entrent en jeu. Pour battre les jusqu’auboutistes, chacun doit montrer qu’il est mu par des forces plus importantes, économiques et géopolitiques. La force la plus immédiate ce sont les intérêts et la politique américains.

La secrétaire d’Etat, Condoleezza Rice comprend apparemment la dynamique générale. Elle a toujours déclaré que l’échec susciterait de nouvelles menaces, sans précédent. Mais en ne prenant pas publiquement parti pour cet inévitable accord, elle n’a pas mis l’accent, sur le fait que les intérêts et la sécurité des Etats-Unis sont en jeu, que tout le poids de Washington est derrière Annapolis, et que maintenant les Américains reconnaissent l’intérêt d’un accord.

Si Rice prend une position publique et ferme en exigeant un accord final, elle renforce Olmert et Abbas. Mais si elle se contente d’offrir une simple médiation, le sommet pourrait bien échouer. Et un échec signifie que le positionnement dans la région des Etats-Unis – si diminués après leur débacle en Irak – a simplement abouti au pire.

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Bernard Avisha est un écrivain et un consultant israéllien installé à Jéruslem. Son livre « The Hebrew Republic » (« La République hébreue ») paraîtra en avril.

Sam Bahour est un consultant et un entrepreneur installé à Ramallah. Il est le co-auteur de : « Homeland : Oral History of Palestine and Palestinians » («Une Patrie : Histoire orale de la Palestine et des Palestiniens ».

© Los Angeles Times 18 novembre 2007

http://www.latimes.com/news/opinion/la-op-avishai18nov18,0,7447082.story?coll=la-opinion-rightrail

(Traduit par Carole SANDREL)

CAPJPO-EuroPalestine